Contre toute attente, le goubernement, par la voix de son ministre des Hydrocarbures, vient d’annoncer une probable augmentation du prix du car-brûlant à la pompe. Alors que les fondamentaux de l’économie sont affectés par les effets pervers du Covid-19, les Guinéens devront faire face à des lendemains qui déchantent. En attendant les maux des syndicaleux curieusement silencieux, nous nous sommes tournés vers un spécialiste de la question. Il s’agit de l’ingénieur Abdoulaye Fofana.

Lynx : Depuis 2004, notre pays est confronté à la problématique du carburant. Quelle est votre lecture de cette situation ?

Abdoulaye Fofana : Merci en rappel, l’avènement de la 3ème République, suite à la tenue des premières élections présidentielles démocratiques en 2010, a permis d’engager le pays sur la voie de la relance de l’économie nationale. D’importantes mesures pour assainir les finances publiques et améliorer la gestion de l’économie ont été prises. Ces efforts ont permis une reprise de l’économie dès 2011 avec un taux de croissance établi à 4%. Le déficit hors investissement a été ramené à 1% du PIB en 2011 contre 13% en 2010. La valeur ajoutée a augmenté dans tous les secteurs avec des taux de croissance de 4,5% pour les secteurs primaire et secondaire et 3,2% pour le secteur tertiaire. Le Gouvernement s’est engagé à maintenir et renforcer cette tendance ce qui a permis d’atteindre le point d’achèvement dans le cadre de l’initiative PPTE.

En Guinée nous sommes en 2021, Selon l’Agence Ecofin : ‘’ La Banque africaine de développement (BAD) a indiqué que les économies africaines devraient progressivement se remettre des effets de la pandémie de covid-19. Toutes les économies africaines devraient renouer avec une croissance économique positive. La deuxième plus forte croissance qu’enregistrera l’Afrique en 2021 sera celle de Djibouti pour lequel la BAD table sur un chiffre de 9,9%. Il sera suivi du Botswana et de l’île Maurice (7,5% chacun), du Niger (6,9%) de la Côte d’Ivoire (6,2%), de l’Erythrée (5,7%), de la Guinée (5,6%), du Burkina Faso et du Sénégal (5,1% chacun).

Le secteur des hydrocarbures, dans certains pays d’Afrique, c’est le soulagement ! En Algérie, au Tchad, au Soudan ou en Angola, on regarde grimper avec ravissement les cours du pétrole, qui atteignent actuellement leur plus haut niveau depuis décembre 2014.

Ces pays sont producteurs et exploiteurs, d’où l’importance du prix du baril, mais pour le cas de la Guinée ou est la similitude ? Nous ne produisons rien, nous n’exploitons aucune infrastructure et la Guinée reste un pays consommateur de carburants toxiques ? Pour rappel, lors de la cérémonie de lancement du forum des investisseurs organisée par le ministère de l’Industrie, le chef du gouvernement annonçait les couleurs : « Les mois à venir vont être durs », à cause de la pandémie du covid-19.

Profitant de cette annonce, dans l’émission Mirador, le Ministre des Hydrocarbures, Diakaria Koulibaly, enchaîne et aborde la question sur le prix du carburant à la pompe qui risque d’augmenter si le prix actuel du baril reste le même. « Si le baril reste à son niveau actuel (65 dollars), naturellement, au sortir du mois de carême, il y aura une augmentation, il faut le dire clairement » La Guinée ne peut être concernée par la baisse ou l’augmentation du baril car elle n’est ni productrice ni raffineur d’hydrocarbures. La variation du prix du baril nous affecte par manque d’infrastructures de stockage et d’une chaine d’approvisionnement en produits pétroliers sure, durable et efficace sur le long terme.

En examinant la structure des prix pratiqués, on a l’impression que certains profitent au détriment de l’Etat et des citoyens. Pouvez-vous confirmer ce constat ?

La Guinée importe la totalité de sa consommation d’hydrocarbures, et le déterminisme lié à la gestion du cadre macroéconomique (taxes et droits de porte qui relèvent des Ministères en charge des Finances et du Commerce) semble l’emporter sur le déterminisme énergétique, en termes de maîtrise de la demande d’hydrocarbures et des émissions des gaz à effet de serre.

Je ne confirme rien, je suis révolté du fait que les syndicalistes du secteur pétrolier se voilent la face en évitant de soutenir que c’est l’État qui profite sur les citoyens. Des réponses s’imposent à travers vous, les médias

  • La Guinée est le seul pays au monde où l’essence est au même prix que le gasoil Explications ?
  • Pourquoi Total Guinée est majoritaire avec 47% à la SGP ?
  • Quelle est la qualité des produits pétroliers vendus en Guinée pour que l’autorité compare les prix avec les pays voisins ?
  • La Guinée est-elle importatrice de produits pétroliers liquides et gaziers ?

Ce sont des questions pertinentes pour les instances chargées du secteur, les syndicalistes sont censés être des bons défendeurs de la hausse des prix à la pompe, mais voilà ils travaillent pour les pétroliers, non ? Où est la Société Civile ? « Les Guinéens ne se plaignent pas de la qualité du carburant, mais, plutôt du coût ou de la quantité »,

Le ministre Koulibal, par balbutiements pour le commun des Guinéens, explique, en rappelant « que tous les mois, il y a une structure des prix qui est faite en fonction du prix à l’international. Et chaque mois, on calcule le prix réel en fonction du coût à l’international qu’on compare au prix officiel. Quand le prix réel calculé est supérieur au prix officiel, deux options s’offrent à nous. Soit on augmente le prix du carburant, soit l’Etat, optionnellement, décide de subventionner pour des raisons d’ordre social. C’est ce qui est arrivé au mois de mars.

Quand on a calculé la structure des prix, normalement au réel, on était supérieur au prix des 9 000 GNF à la pompe. Après le calcul, on a présenté la structure à la hiérarchie qui avait la décision, soit de nous instruire d’augmenter ou d’instruire le ministre de l’Economie de subventionner momentanément, en attendant que nous sortions de la période du mois de carême qui pointe à l’horizon. C’est cette deuxièmeoption qui a été prise. Et c’est pourquoi, vous voyez sur la note d’instruction, des moins–values donc des réductions qui sont opérées sur les taxes de l’Etat ». Voilà l’argument du patron des hydrocarbures sur une bourse mensuelle à la Koulibaly ?

« On ne peut, dans le contexte actuel de paupérisation, demander aux populations de payer la facture de la mauvaise gouvernance, car il y a d’autres possibilités que l’on peut explorer comme la réduction du train de vie de l’État, les taxes minières, la lutte contre la corruption et les détournements des deniers publics. Augmenter les recettes publiques par la mise en place d’une fiscalité moderne et équilibrée, qui ne dissuade pas les entrepreneurs d’entreprendre, et par lasuppression des nombreuses exonérations qui ne servent pas à grand-chose et qui appauvrissent l’État.

Faute de produire le pétrole, nous sommes fortement dépendants de l’extérieur. Pouvez-vous nous expliquer le mécanisme d’importation de ce produit chez nous ?

La Guinée importe la totalité de sa consommation qui a atteint, pour 2017, 893.000 tonnes métriques. Le mazout, utilisé essentiellement par les sociétés minières pour la calcination de la bauxite et EDG pour la production d’électricité, constitue le principal produit pétrolier importé. Le gasoil utilisé principalement pour le transport, la production d’électricité, les travaux publics et l’agriculture vient en seconde position. L’essence sert exclusivement pour le transport. Enfin, le kérosène est utilisé, en grande partie, par l’aviation et également pour des besoins domestiques. La Guinée doit construire des dépôts de stockage de produits pétroliers liquides et gaziers et faciliter l’émergence de privés nationaux et internationaux dans les secteurs de stockages, de raffinages, de transformation et de distribution.

Le secteur des hydrocarbures, de l’amont à l’aval, est un secteur exigeant qui nécessite de gros moyens financiers et techniques. La République de Guinée est un consommateur net de produits pétroliers hautement stratégiques dont toute rupture de stock aura des conséquences graves sur la stabilité et le développement du pays.

Il n’y a pas de mécanisme d’importation ni de subvention des produits pétroliers, les dés sont détenus par Total Guinée et VIVO, il faut prouver le contraire. Le Ministère des hydrocarbures accorde des exonérations aux secteurs miniers qu’il faudrait confirmer ?

Selon vous, quelle politique faudrait-il adopter pour réduire cette dépendance ?

Le Ministère des Hydrocarbures à travers l’ONAP a des priorités outre la vente de blocs pétroliers, c’est l’AVAL du secteur des hydrocarbures. Les priorités restent le stockage et la distribution des hydrocarbures, une nécessité pour la sécurisation de l’approvisionnement du pays en produits pétroliers et de disposer de réserves de sécurité pouvant permettre aux investisseurs privés guinéens et étrangers de soutenir une croissance face à la précarité du seul dépôt de stockage existant en Guinée, en lieu et place d’octroi de licences en amont.

La présence de ces dépôts en plein centre-ville de Conakry augure d’énormes risques de sécurité pour la population et l’environnement de la capitale guinéenne. Il est impératif de construire des dépôts d’hydrocarbures en dehors de toutes agglomérations pour garantir la sécurité, le stockage, l’approvisionnement et la redistribution des produits pétroliers en Guinée et même vers le Mali, pays sans littoral. Cette délocalisation répond à un impératif de protection de la population et du plan d’urbanisation de la capitale Conakry, elle prend en compte les risques technologiques majeurs qui sont présents, le stockage, mais aussi le transport des hydrocarbures à travers les artères de la ville de Conakry (le cas de l’armada de camions citernes aux abords des dépôts à Kaloum, source d’insécurité manifeste.) et vers l’intérieur de la Guinée.

A votre avis, l’augmentation des prix à la pompe après le mois saint du Ramadan se justifie-t-elle ?

Comme d’habitude, c’est le prix du pétrole brut qui en est à l’origine, c’est l’argument de nos gouvernants, en ce qui concerne les produits pétroliers.

En Guinée, l’augmentation des est l’apanage de l’État, aucun justificatif n’est possible dans la mesure d’un État de droit. Mon avis ne compte pas car, à tous ceux qui prendront le prétexte de l’embellie pétrolière pour céder à la facilité du court terme, rappelons que c’est quand le soleil brille qu’il faut refaire sa toiture et pas pendant la tempête.

Vous avez participé à la construction du site des entrepôts de Coronthie. Est-ce qu’il répond aujourd’hui aux normes de sécurité et aux besoins de consommation du pays ?

L’Article 58 du code pétrolier stipule :« Zones de sécurité : A la demande d’un contractant et sur proposition de l’Administration pétrolière, le ministre en charge des Hydrocarbures peut instaurer par arrêté des zones de sécurité autour d’installations où sont menées des opérations pétrolières. L’arrêté précise les coordonnées de la zone et les conditions d’accès. »

Voilà la réponse en promesses du Ministère des Hydrocarbures parue dans le site de Guinenews du 20 janvier 2020, écrit par Fidel Momou : ‘’Le ministère des Hydrocarbures entend délocaliser le dépôt pétrolier de la Société guinéenne des pétroles (SGP), situé en agglomération de la commune de Kaloum. Ce qui, estiment les autorités, est sans risques opérationnels pour les populations riveraines. L’annonce a été faite par Diakaria Koulibaly, ministre des Hydrocarbures lors d’une conférence de presse qu’il a animée vendredi 16 janvier à Conakry.

Le ministre des Hydrocarbures a rappelé la nécessité de la délocalisation du dépôt pétrolier de Coronthie qui, en 2016/2019, a enregistré trois départs de feu par suite de court-circuit. Des incendies maîtrisés, dit-il, grâce au professionnalisme et à l’efficacité du système anti-incendie du dépôt. Le département des Hydrocarbures en partenariat avec les opérateurs privés a bouclé les études de faisabilité sur le nouveau site prévu à Moribayah dans la commune rurale de Maferinyah, préfecture de Forécariah. Le coût de réalisation du projet incluant les installations de pompage des produits est estimé à 130 millions d’euros.

 Selon le ministre Koulibaly, 5 sociétés sur 13 initialement inscrites sur le vivier s’engagent financièrement à hauteur de 55%. Les huit autres ayant désisté en raison de surface financière inconfortable. L’Etat devant couvrir le reliquat, soit 45%, à travers la structure des prix de produits pétroliers sans impacter la programmation budgétaire, a-t-il souligné. Pour Diakaria Koulibaly, cela permettra de rehausser la participation de l’Etat dans l’actionnariat du dépôt de 7% à 45% lui assurant ainsi une minorité de blocage et un poids dans la sphère décisionnelle du nouveau dépôt pétrolier.

 Le ministre des Hydrocarbures a annoncé également la finalisation de contrats pétroliers en cours. Il a fait cas des avancées dans les négociations en vue de la conclusion de contrats pétroliers avec les compagnies australienne Woodside, françaises Total exploration et anglaise BP, lesquelles compagnies sont d’une qualification internationale avérée, selon Diakaria Koulibaly’’.

Je soulignais tantôt que  la présence de ces dépôts en plein centre-ville de Conakry augure d’énormes risques de sécurité pour la population et l’environnement de la capitale guinéenne. Il est impératif de construire des dépôts d’hydrocarbures en dehors de toutes agglomérations pour garantir la sécurité et le respect de l’environnement. Des dispositions sécuritaires s’imposent à la place des promesses. Il est temps d’agir.

Propos recueillis par Le Rossignol