Après la dissolution des conseils communaux par décret de Mamadi Doumbouya du 27 mars, le gouvernement s’apprête à les faire remplacer par des délégations spéciales. Une mesure dénoncée par la classe politique et certains acteurs sociaux. Membre de l’UFDG et ancien président de la délégation spéciale de Kindia entre 2015 et 2018, Abdoulaye Bah s’est confié sur le sujet à La Lance.

La Lance : Comment réagissez-vous à la dissolution des conseils communaux ?

Abdoulaye Bah : Le décret est illégal au regard de l’article 80 du Code des collectivités locales révisé qui stipule que la dissolution peut être prononcée lorsque le Conseil communal a fait l’objet de trois suspensions, pour fautes graves ou si au moins le tiers de ses membres est reconnu coupable de crimes ou délits. Aucun des cas de figure n’est concerné par ce décret. C’est une décision fourre-tout : on se lève un beau matin, on balaie du revers de la main des conseillers élus par le peuple de Guinée. Certes, leur mandat est fini, mais les autorités actuelles, connaissant sa durée est de cinq ans et que la transition court depuis deux ans et demi, auraient pu anticiper cette situation en organisant tout simplement les élections communales. On va remplacer des conseillers élus par des délégations spéciales, des gens qui sortent de nulle part, pour leur confier la destinée des 342 communes rurales et urbaines. C’est inquiétant. Nous suspectons là une manœuvre tendant à confier les mairies à des gens qui, comme on le dit, sont dans l’esprit du CNRD pour préparer la mascarade électorale future.

Voulez-vous tenir le CNRD comme responsable de la situation d’illégitimité des conseils dissous ?

Absolument ! La junte est en train de reproduire les mêmes erreurs du passé, en mettant en exergue des intentions, des humeurs à la place des prévisions légales. C’est ce qui crée l’anarchie. Les situations vont se compliquer davantage, après la violation des lois censées préserver l’ordre public. Remplacer les conseils élus par des délégués nommés, c’est créer le désordre.

Est-ce une façon d’annoncer des contestations prochaines ?

Oui, entre autres. La loi permet aux Guinéens de manifester leur désapprobation des décisions des autorités. Au niveau de la gestion, les mairies sont très mal en point : elles manquent de ressources financières et humaines de qualité. Écarter les élus au profit des novices ne présage pas des lendemains meilleurs. Le désordre se manifestera aussi au niveau de la gestion quotidienne de ces collectivités au niveau local.

Vous-même avez été président de la délégation spéciale de Kindia…

Les délégations spéciales installées en 2015 étaient basées sur un accord entre le pouvoir de M. Alpha Condé et la classe politique d’alors. Les élections communales ne pouvant pas être organisées dans un laps de temps, il concernait uniquement 128 sur les 342 communes rurales et urbaines. Il y avait un fondement politico-juridique accepté par les Guinéens. J’ai eu l’honneur de diriger la délégation spéciale de Kindia pendant deux ans et deux mois. Nous avons pu faire ce qu’on a fait, Kindia en est reconnaissant.

Sollicitez-vous qu’un dialogue similaire décide du sort des conseils communaux ?

La culture du dialogue n’est pas la tasse de thé des autorités actuelles. Elles sont convaincues que l’arme qui a servi à défaire M. Alpha Condé est la solution pour gérer la Guinée. Cela nous a vraiment surpris, parce que le discours du 5 septembre 2021 de M. Mamadi Doumbouya allait dans le sens de dénoncer les tares du régime déchu et annoncer une nouvelle gouvernance basée sur le respect de la loi, en associant les forces sociales et politiques. Malheureusement, aujourd’hui, on est en face d’une posture unilatérale. Les conséquences sont ce qu’elles sont. Nous sommes au troisième Premier ministre, en deux ans et six mois. Cela en dit long sur l’imbroglio, les difficultés internes du pouvoir à gérer le pays. Vouloir écarter tout le monde, c’est malheureux. Le seul moyen de dialogue, s’il y en a un, c’est l’arme et le crépitement des balles. Les délégations spéciales annoncées sont une conséquence logique de cette volonté unilatérale de s’imposer par la force.

Mamadi Doumbouya n’est plus légitime que les conseils dissous. Il n’est pas le président de la République de Guinée. Il n’a aucun mandat populaire, ni bénéficiaire du suffrage des Guinéens comme cela vient de se passer au Sénégal. M. Doumbouya n’est que le président d’une transition. Il est certes le chef de l’État, puisqu’il l’incarne au plus haut niveau. On ne peut pas berner un peuple indéfiniment, l’histoire est pleine d’exemples où les présidents se sont cassés les dents en essayant de décider de la vie et de la mort de leurs peuples. La Guinée vient de loin, elle doit avancer. Le pouvoir doit le comprendre. Le 31 décembre 2024, les forces politiques et sociales décideront de l’avenir du pays.

Interview réalisée par

Diawo Labboyah Barry