Jamais, depuis la vague d’indépendances des années 60, les Africains n’ont autant exprimé
qu’aujourd’hui leur volonté de mettre fin à la politique paternaliste de l’ancienne puissance
coloniale. Les deniers coups d’Etat dans les trois pays « protégés ou occupés » par l’armée
française ont cristallisé les débats. D’autant plus que le déluge prédit par les Français après leur
départ ne s’est pas produit.

L’arrivée au pouvoir d’un duo, qui a battu campagne sur le slogan « indépendance totale » de l’un
des plus grands alliés de la France en Afrique francophone, n’arrange pas les affaires françaises.
Emmanuel Macron fait les frais de la politique de ses prédécesseurs. Le mythe français est en
train de tomber partout. Au moment où la République Centrafricaine déroule le tapis rouge aux
soldats russes, le Burkina Faso expulse trois diplomates français.

A observer tous ces faits, on dirait que les jours de la FrançAfrique sont comptés. Mais entre une
volonté exprimée par une élite dont l’objectif est souvent inavoué –comme c’est le cas des offices
putschistes qui veulent s’éterniser au pouvoir- et les réalités sociales sur le terrain, il y a un fossé
de plus en plus profond. Même Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye savaient que pour
faire passer leur discours de campagne auprès de la jeunesse sénégalaise, il fallait tirer à boulet
rouge sur Macky Sall et son allié, la France. A plus forte raison les trois putschistes, Goïta du
Mali, Traoré du Burkina et Tiani du Niger. Pour ces trois, dont les pays étaient « protégés ou
occupés » par la France, le seul discours capable de trouver des oreilles attentives et réceptives,
dans un contexte anti-français, est celui de l’indépendance totale vis-à-vis de Paris. Et même de
Washington pour le Niger.

Malgré tout, ce que la France lâche par la main droite, elle le récupère par la main gauche. Si,
incontestablement, elle est en perte de vitesse sur le plan politique et militaire, elle marque des
points sur le plan culturel et sportif. Quand on observe l’engouement que les clubs du Vieux
continent suscitent en Afrique, particulièrement en Guinée, on se rend compte que la fin de
l’influence européenne et de facto française sur le Continent noir n’est pas pour demain. Il n’est
pas exagéré de dire que, pour nos dirigeants, à la recherche du moindre indice pouvant calmer les
jeunes désœuvrés de la haute banlieue de Conakry, le championnat européen constitue une
aubaine. Pour avoir la paix, il suffit juste qu’EDG fournisse l’électricité pendant les matches
PSG, Barça et autre Real Madrid. Le tour est joué.

Même des personnalités insoupçonnées, prennent part au débat footballistique qui déchaine les
passions sur la toile. Or, comme dit le vieil adage, l’exemple vient d’en haut, l’imitation d’en bas.
Là où le championnat européen ne laisse pas indifférents des avocats, des journalistes et autres
personnalités qui comptent dans le pays, ce n’est pas monsieur tout le monde qui fera le contraire.
Résultat, les activités sont quasiment paralysées les soirs de matches des grands clubs. Taxis, à la
fois autos et motos, sont rangés les conducteurs prennent d’assaut les vidéos clubs, de nouveau
bondés pour cause de délestage dans les foyers.

Cette jeunesse, qui abandonne tout pour regarder un match sans intérêt, veut prendre ou reprendre
son indépendance vis-à-vis de la France. De passage, il faut noter que le poste téléviseur que l’on
regarde est Made in China, les images sont de Canal France et bien évidemment les clubs
français, espagnols, anglais ou allemands. A la fin, tout ce qui vient d’ailleurs est important. A
contrario, tout ce qui est local, est dévalorisé. Comme le championnat national, dont les
supporteurs de Barça, PSG et autre Real, ne connaissent même pas l’agenda. Alors qu’ils
connaissent la nationalité, le salaire et le palmarès de tous les joueurs évoluant sur le Vieux
continent.

Au plan culturel, la France demeure, malgré tout, la seule courroie de transmission entre pays
africains. Sans RFI et France24, l’hostilité de soi-disant nationalistes de tout acabit, le Guinéen ne
saurait jamais ce qui se passe au Mali voisin. Et vice-versa. Apparemment, l’Alliance des Etats
sahéliens (Mali-Burkina Faso-Niger) envisagerait la création d’un média commun aux trois pays.
En attendant, le bouquet Canal+ reste le seul capable de diffuser les images et le son de nos
chaines « nationales ». Il faut le leur reconnaître.

En outre, la France, avec une vision à long terme, a inséré le Fulfulde et le Mandenkan dans la
grille des programmes de RFI. La rédaction de ces deux langues est à Dakar. Grâce à ces
programmes, il n’y a plus de frontières entre le peulh de Guinée et celui du Cameroun. Ni entre le
Djoula de la Gambie et le Bambara du Mali. La France sait que pour avoir la poche, il faut avoir
la tête d’abord.

Si nous pensons que notre ancien maître va faire tous ces investissements rien que pour nous faire
plaisir, nous nous trompons. Et lourdement. Si nous pensons que ce « sacrifice » sera vain, nous
nous trompons également. Il y aura forcément un retour sur investissement. Si l’Afrique veut
prendre réellement son indépendance, elle commencera par produire ce qu’elle consomme et
consommer ce qu’elle produit. Tout le reste n’est que populisme, démagogie et slogan creux.

Habib Yembering Diallo