Le 27 septembre 2021, l’homme qui vient de faire de l’ancien exilé parisien un nouvel exilé se rend au cimetière de Bambéto. Objectif, se recueillir sur les tombes de très nombreuses victimes de la répression perpétrée par les différents régimes militaro-civils qui se sont succédé au pouvoir ces trente dernières années. L’acte est plus que symbolique.

Dans l’euphorie, deux scènes plutôt atypiques : d’un côté un homme en uniforme est inconsolable au vu des tombes d’hommes abattus comme du gibier par d’autres hommes. En l’occurrence ceux qui sont payés et habillés par les victimes. Deuxième acte abracadabrant, un autre homme en treillis se transforme en un véritable imam. Il récite des versets du saint coran comme le ferait le plus cultivé de nos imams pour le repos de l’âme des martyrs.

Pour les parents des victimes et même pour l’opinion nationale, c’est plutôt l’incrédulité. Tant l’acte était inimaginable quelques semaines plus tôt. Il n’en fallait pas plus pour que le Guinéen commence, recommence de rêver. Il espère que le moment est venu de recouvrer enfin et pour toujours la liberté à lui promise il y a 63 ans. Les soldats ont juré que, dorénavant, aucune goutte de sang ne sera plus versée pour des raisons politiques. Le tombeur du Grimpeur s’y était engagé formellement. C’était sans compter avec les revendications qui ne vont pas tarder à refaire surface. Ou encore et surtout l’impunité accordée à ceux qui ont volé, violenté et tué ces dernières années. Les actes ne tardent pas à trahir la parole.

De ce septembre d’espoir, d’espérance et d’illusions à ce jour, le bilan est des plus macabres. Peu à peu, le démon devient ange. On se rend compte que malgré la férocité de son régime, le Président-Grimpeur semble  plus tolérant que son tombeur. Alors que le Vieux s’accommodait des critiques les plus acerbes, son jeune successeur est un véritable adepte de la révolution et de sa pensée unique. Radios et télévisions observent désormais un silence de cimetières visités par des soldats. Les libertés publiques sont devenues chimériques. S’est écroulé le Mirador où se perchaient  les grandes gueules pour pourfendre la corruption et la mal gouvernance.  Le nouveau maître est décidé de refaire le monde à sa manière. Les élus locaux ont été balayés et remplacés à l’image de la pratique d’autrefois, avec le pouvoir révolutionnaire local.

En outre, les derniers événements tragiques à Siguiri, Taouyah et Kagbelen constituent la preuve, on ne plus palpable, de l’obsession du nouvel oppresseur de faire taire toutes les  voix dissonantes. Et cela sans considération de région ou de religion. Quels que soient l’origine ou le lieu de résidence du contestataire, il risque de rejoindre les martyrs ensevelis sous terre. Il ne s’agit donc pas d’une commune ou d’une communauté, comme on a tendance à le croire. Si Hamdalaye, Bambéto et Cosa détiennent le triste record de victimes consécutives aux manifestations, c’est parce que l’axe s’est aussi distingué dans la revendication et la contestation.

L’autre leçon à tirer de la semaine de manifestations est que, pour une fois, ces revendications, réprimées dans le sang, étaient d’ordre social. Les jeunes réclamaient l’électricité. Or, si une revendication débarrassée de toute connotation politique politicienne peut faire autant de victimes, il faut craindre le pire le jour où la fameuse union sacrée, qui vient de naître, exigera le départ du général des corps d’armées du pouvoir. Le bilan des victimes des différentes manifestations à Conakry et en Haute Guinée s’élève entre 5 et 8 morts, selon différentes sources. Ce bilan n’augure rien de bon pour les jours à venir. Pour le CNRD, il s’est agi d’annoncer les couleurs. Pour dissuader le plus téméraire des militants de l’opposition. Même si on nous martèle qu’il n’existe pas d’opposition en période d’exception, les tueries visent à dissuader les jeunes à renoncer à perturber le sommeil du palais Mohamed V. Pour que vive et règne le nouveau roi pour l’éternité.

Un vœu pieux en ce 21ème siècle où la jeunesse observe avec jalousie ce qui se passe sous d’autres cieux. Or quand sait que le respect de l’accord dit dynamique convenu entre la Guinée et la communauté euphorique de l’Afrique de l’Ouest relève désormais d’un miracle, il y a de quoi s’inquiéter. Doum bouillant a gommé le technocrate Goumou pour nommer le politique Amadeus Bas. Mais ce dernier risque gros. Jusqu’ici il n’était mêlé ni au pillage de l’économie nationale encore moins aux crimes de sang. A compter de la date de sa nomination, il est comptable des actes du gouvernement dont il est le chef. Même si c’est la grande muette qui perpètre les massacres, la solidarité gouvernementale, c’est pour le meilleur et pour le pire.

Habib Yembering Diallo