Dans une tribune au vitriol, l’ancien Khalifa des droits humains, Gassama Diaby, demande aux journaleux de ne plus reconnaître la HAC, la Haute autorité des cancans qui est devenue plus coercitive que régulatrice. Le moment choisi par l’ancien ministre pour dire son fait à l’institution est loin d’être fortuit : la Journée internationale de la liberté de la presse est le moment de bilan. En Guinée, le bilan est le plus sombre de la période post révolutionnaire.

D’où est partie cette presse, qui se trouve aujourd’hui dans la gueule du loup ? Au début des années 90, deux grands groupes de presse voient le jour : L’Indépendant et Le Lynx. Devant l’engouement suscité par les deux journaux, leurs fondateurs trouvent qu’un hebdo ne suffit pas. Le premier sort Le Démocrate. Le second renforce Le Lynx par La Lance. Dans un pays qui n’a connu jusqu’ici que Horoya (version papier de La Voix de la Révolution), ces journaux s’achètent comme des petits pains. Les articles sont photocopiés et distribués dans tout le pays.  

L’immeuble Baldé Zaïre, siège du satirique Le Lynx, devient le lieu de rendez-vous de l’intelligentsia africaine. Avec des scribouillards et des artistes venus ou revenus de tous les horizons, la presse naissante ne manque pas de talents. On se souvient entre autres de l’écrivain Williams Sassine, du dramaturge Ahmed Tidiani Cissé.

La décennie 90 est marquée par une grande vitalité médiatique. Mais aussi par quelques difficultés inhérentes à tout début. Certains journalistes, comme l’Administrateur général du Lynx et certains de ses employés font face à cinq procès et deux séjours en prison. Un certain Boubacar Yacine Diallo (l’actuel Prési de la HAC, ironie du sort !), démissionnaire de son poste de DG à la RTG et fondateur du bimensuel d’investigation L’Enquêteur, est arrêté le 19 décembre 2002. Il lui est reproché le crime de lèse-majesté, un article faisant état de la démission de l’inspecteur général des armées. La veille même, Abdoulaye Condé, dirlo de publication de La Nouvelle Tribune est convoqué et entendu au bureau de l’aide de camp du président de la République d’alors, le général Fory Coco. Il est aussi accusé d’avoir publié un article intitulé « Qui a tué Conté ? »  Relatant le récit du voyage du chef de l’Etat à Djeddah, au cours duquel ce dernier serait tombé malade.

D’autres journaleux étrangers, comme le Béninois Serge Daniel, correspondant de RFI, sont expulsés. Obligeant BBC et Africa N°1 à engager des correspondants guinéens, pour éviter de nouvelles expulsions. D’où l’avènement du trio, Mouctar Bah, Amadou Diallo et Ben Daouda Sylla. En juillet 2000, le Conseil national de la communication (CNC) retire l’accréditation à ces derniers. L’institution de régulation regrettant « que des journalistes guinéens, sous le couvert de la liberté de la presse, n’hésitent pas à monnayer cette liberté contre quelques piges en devises pour traîner leur pays dans la boue. »

Malgré ces pressions psychologiques, administratives et économiques, les journaleux n’ont jamais courbé l’échine. Au contraire, ils exigeaient toujours davantage. Particulièrement la libéralisation des ondes. Eux, en premier lieu, l’opposition, la société civile et les partenaires au développement font de la libéralisation du secteur de l’audiovisuel une condition non négociable. Finalement, le président Fory Coco cède. Le décret de libéralisation est signé le 20 août 2005. Les premières stations sont lancées l’année suivante. Nostalgie FM, la première radio privée du pays, commence à émettre le 14 août 2006.  

Contrairement à ce que certains prophètes de malheur avaient prédit et prévu, les radios privées ne jettent pas de l’huile sur le feu. Malgré quelques manquements, elles font montre de responsabilité. Certaines émissions comme « Société débat » de Familia FM, brisent le tabou et donnent la parole aux acteurs politiques et sociaux du pays. Plus tard, des émissions interactives, comme la Grogne matinale sur Soleil FM, libérèrent définitivement la parole.

Les thuriféraires racontaient au chef de l’Etat d’alors que tel ou tel autre a écrit telle ou telle autre chose sur lui ou sur son gouvernement. Il leur rétorquait de faire leur travail et de laisser les journalistes faire le leur. Après sa disparition, son successeur n’a jamais caché son admiration pour la presse. Il confessera publiquement son admiration pour la corporation. L’homme savait que dans la société, les médias ont leur importance. Fait inédit : un groupe de journalistes rend visite au capitaine El Dadis, au sommet de sa gloire. Parmi eux, il y a un qui souffrait d’un handicap physique. A sa question de savoir « si ce monsieur est journaliste », la réponse est affirmative. Séance tenante, le bouillant capitaine ordonna qu’une voiture neuve lui soit remise.

C’est autant dire que les différents chefs d’Etat qui se sont succédé en Guinée ces trente dernières années se sont bien accommodés de la presse. Certains ont même été des modèles. Dépénalisant les délits de presse avec la loi organique portant liberté de la presse : L/2010/002/CNT du 22 juin 2010. Un bémol tout de même. Ces dernières années, des Officiers de la police judiciaire et des magistrats, soumis à de très fortes pressions, ont usé et abusé de la loi ordinaire L/2016/037/AN relative à la Cybersécurité et de la protection des données à caractère personnel pour arrêter et juger de nombreux journaleux.

Malgré son irritation vis-à-vis de la presse, le Prési Grimpeur ne franchira pas le Rubicon. Des émissions talk-show comme Les Grandes Gueules, Africa 2015, Mirador et même On refait le monde, pour ne citer que celles-là, ne sont pas souvent tendres avec le pouvoir. Mais ce dernier s’en accommode. Sachant que toute tentative de faire taire les médias a plus d’inconvénients que d’avantages. Connaissant le rôle dévolu à chaque entité dans une société, l’ancien président s’était abstenu de fermer les radios et télévisions. Ni directement ni indirectement.

Il aura fallu l’avènement du CNRD au pouvoir pour remettre en cause les acquis de ces trente dernières années. Dès lors, il revient aux journaleux, comme l’a dit Gassama Diaby, de choisir : soit coopérer avec l’oppresseur dans l’hypothétique et chimérique espoir qu’il va desserrer l’étau, soit résister pour recouvrer la liberté chèrement acquise.

Habib Yembering  Diallo