Entrtien réalisé par Amadjiguéne Ndoye, Financial Africa

Baromètre de l’Etat de la gouvernance en Afrique,  l’Indice Ibrahim pour la Gouvernance Africaine (IIAG), pour la première fois depuis 2010, se veut « alarmiste » du fait de la détérioration de la situation globale sur le continent. Dans cet entretien accordé à la rédaction de Financial Afrik, Mme Aïcha Bah Diallo, porte-parole de la Fondation Mo Ibrahim, revient sur les conclusions du rapport.

Quelles sont les conclusions de l’Indice Ibrahim pour la Gouvernance Africaine (IIAG) 2020 ?

Vous savez qu’au niveau de l’indice il y a quatre grandes catégories que sont : sécurité et État de droit, participation et droits de l’Homme, opportunités économiques durables et développement humain. Ces catégories sont divisées en  sous-catégories. Selon les indicateurs contenus dans ce nouveau rapport, nous constatons des progrès au niveau de deux catégories. Beaucoup de progrès d’ailleurs. Par exemple, la catégorie Fondements des opportunités économiques a connu une progression de +4,1 points, la catégorie Développement humain qui a connu +3 points, conséquence des progrès réalisés dans les sous-catégories infrastructures et santé et environnement durable. Malheureusement, le progrès est maintenant menacé par la détérioration au niveau des deux autres catégories. Nous avons la catégorie participation, droit et inclusion qui a connu un recul de – 1,4 et la sécurité et État de droit qui a connu un recul de – 0,7. Donc vous l’avez compris, il faut qu’il y ait une balance entre les catégories.

L’Indice Ibrahim 2020 montre une baisse des progrès globaux pour la première fois depuis une décennie, quelles en sont les raisons?

Effectivement, pour la première fois depuis 2010, le niveau de gouvernance globale sur le continent africain décline. Ce n’est pas considérable, moins 0.2 points (sur 100) en dix ans, mais c’est un signal d’alerte. Ce n’est pas non plus une chute inattendue, mais plutôt l’aboutissement d’une tendance longue. Car si, depuis 2010, la gouvernance globale s’est améliorée, et 6 africains sur 10 vivent en 2019 dans un pays dont la gouvernance est meilleure qu’en 2010, depuis quelques années les progrès s’atténuent. Et cette évolution a fini par déboucher, pour la première fois, sur une chute en 2019.  Comment en est-on arrivé là ? Rappelons d’abord que la gouvernance, c’est la capacité d’un gouvernement à délivrer convenablement l’ensemble de biens et services publics auquel tout citoyen est en droit de prétendre. Or d’un côté les progrès réalisés en matière de développement économique et social ont ralenti, tandis que de l’autre les dimensions relatives à la participation, aux libertés et droits fondamentaux, à l’inclusion, ont continué à se détériorer, parfois de plus en plus vite. Cette progression boiteuse finit par conduire à la chute.

Quel est le niveau de satisfaction populations par rapport à la gouvernance ?

Les sentiments des citoyens se jugent par rapport aux actes de leurs gouvernants  dans leurs pays. Le fait est que les gouvernants doivent rendre compte à la population. Maintenant, dans toutes les catégories, il faut voir par exemple si au niveau des élections c’était libre et transparent, est-ce qu’il y a eu des violences, l’attribution des marchés se fait-elle de manière transparente, le niveau de corruption, l’état de la prise en charge sanitaire, est-ce qu’il y a de l’eau courante, est-ce qu’il y a de l’électricité de manière régulière, etc. Et c’est en fonction de ça qu’on a la perception de la population. Il y a quand même eu des données au niveau de 39 pays et au niveau de ces derniers 87% de la population montre qu’elle n’est pas satisfaite. Mais nous pouvons quand même dire que depuis 2010, la gouvernance va mieux parce que 60% de la population vivent dans des pays où il fait bon vivre. 

Le rapport fait état de dysfonctionnements dans le processus électoral de beaucoup de pays africains. Que faire pour arriver à des élections libres et équitables?

En 2019,  la situation est tout de même meilleure qu’en 2010. Mais cela résulte uniquement des progrès réalisés au cours de la première moitié de la décennie. Depuis, on assiste à une détérioration de la situation, essentiellement tirée par la dégradation relevée notamment en matière d’intégrité des élections et de fonctionnement des commissions électorales. C’est le constat de plusieurs sources, car l’indicatrice « élection démocratique » est le résultat consolidé des données issues de trois sources différentes : CDD (Center for Democratic Development (CDD-Ghana), Global Integrity, et V-DEM (Varieties of Democracy Institute).

Quel impact la Covid-19 pourrait avoir sur les performances des Etats africains?

Certainement un impact considérable. D’abord il ne faut pas considérer trop vite que le continent africain est « épargné » par le virus. Plusieurs facteurs peuvent expliquer une situation qui reste meilleure que dans d’autres régions équivalentes, y compris la forte réactivité des gouvernements africains, instruits par l’expérience Ebola. Néanmoins il est vraisemblable que les chiffres restent en-deca de la réalité, et la première vague continue d’enfler : au 15 décembre, on dénombrait 2 401 953 cas répertoriés, soit + 4% en cinq jours, et + 22% en un mois, l’Afrique du Sud, le Maroc, l’Égypte, la Tunisie et l’Algérie figurant désormais parmi les pays les plus atteints. Par ailleurs la pandémie actuelle pèse de plus en plus sur des structures sanitaires déjà fragiles, et exerce un effet d’éviction préoccupant sur l’attention accordée à d’autres maladies, notamment transmissibles. En outre, le nombre d’enfants scolarisés et d’étudiants à l’abandon a considérablement augmenté.  On a vu aussi des conséquences dommageables en matière de restriction excessive des libertés, d’aggravation des violences à l’encontre des femmes notamment, des restrictions démocratiques injustifiées. Mais surtout, il est clair que l’impact de la pandémie sur le continent africain sera, est déjà, dévastateur sur les plans économiques et sociaux.  Pour la première fois depuis 25 ans, l’Afrique va rentrer en récession. La chute drastique de la demande externe de matières premières, la mise à l’arrêt du tourisme et de l’hospitalité, les mesures de confinement souvent sévères ont réduit presque à néant les perspectives d’activité, d’emploi, voire de survie pour les plus fragiles. C’est donc au total une grave menace pour les progrès conséquents qui ont été réalisés sur les plans économiques et sociaux. Et c’est aussi une attrition supplémentaire des perspectives d’avenir offertes à notre jeunesse, avec ce que cela comporte de frustrations et d’angoisses supplémentaires, d’attraction vers la migration illégale ou les réseaux criminels ou terroristes…