Il n’y a pas de différence fondamentale entre les moyens d’existence d’un mendiant et ceux de bon nombre de personnes respectables. Les mendiants ne travaillent pas, dit-on. Mais alors qu’est-ce que le travail ? Un terrassier travaille en maniant un pic. Un comptable travaille en additionnant des chiffres. Un mendiant travaille en restant dehors, qu’il pleuve ou qu’il vente, et en attrapant des varices, des bronchites etc. C’est un métier comme un autre. Parfaitement inutile, bien sûr – mais alors bien des activités enveloppées d’une aura de bon ton sont elles aussi inutiles. En tant que type social, un mendiant soutient avantageusement la comparaison avec quantité d’autres. Il est honnête, comparé aux vendeurs de la plupart des spécialités pharmaceutiques ; il a l’âme noble comparé au propriétaire d’un journal du dimanche ; il est aimable à côté d’un représentant de biens à crédit. Bref c’est un parasite, mais un parasite somme toute inoffensif. Il prend à la communauté rarement plus que ce qu’il lui faut pour subsister et il paie cela par d’innombrables souffrances. Je ne vois rien chez un mendiant qui puisse le ranger dans  une catégorie d’êtres à part, ou donner à qui que ce soit d’entre nous le droit de le mépriser.

George Orwell

(Dans la dèche à Paris et à Londres.)