Dans les pays en développement ou émergents, ces deux paradigmes sont mis en œuvre de manière corrélée ou non, avec une forte tendance de réduire la démocratie à l’organisation d’élections généralement sulfureuses et sources de graves conflits post-électoraux, parfois armés. En une année (février 2020-février2021), une bonne dizaine de ces suffrages galvaudés dont l’organisation a été traversée par de violents débats autour du troisième mandat, s’est déroulée sur le continent africain. Avec des fortunes diverses. Opaques, peu inclusifs, frauduleux, ces processus ne contribuent que très peu à la consolidation de la bonne gouvernance.

C’est au sortir de la deuxième guerre mondiale et face aux velléités d’émancipation qui traversent les milieux intellectuels nationalistes, les puissances coloniales, à leur corps défendant, se décident à promouvoir la démocratie dans les empires coloniaux pour meubler les différentes structures politiques qu’ils sont en train d’y mettre en place. C’est le début des processus électoraux et d’une vie politique démocratique intense, dans la quasi-totalité des colonies françaises dont la Guinée. Cette période qui s’étale de 1945 à 1958 est ponctuée de multiples élections dont les plus passionnantes sont les élections municipales (novembre 1955), législatives (janvier 1956), territoriales (mars 1957) et le référendum de 1958. Parmi les nombreux partis politiques et regroupements tribalistes qui animent la vie politique, en Guinée en participant à ces élections, émergent le PDG-RDA, le BAG et la DSG.

La naissance de l’Etat guinéen interrompt cette dynamique et suscite le système de parti unique qui phagocyte toutes les autres associations socio-politiques. Le BAG et la DSG se font harakiri, se sabordent. La démocratie s’en est allée. Sans stigmates, ni prégnance. En même temps que le méchant colon qui l’avait importée et instaurée. Sous le soleil des indépendances, pour s’exprimer comme Amadou Kourouma, les partis uniques dont certains évoluent en partis-Etats, éclosent et prospèrent. Durant trois décennies, le coup d’état devient la seule modalité d’alternance qui vaille, dans l’écrasante majorité des états africains. L’alibi de la Grande Muette est généralement la gestion patrimoniale et clanique de ceux qui gouvernent.

Au cours de la décade 1980, la dette souveraine devient insoutenable et handicapante pour la croissance des économies et le développement des sociétés. Cette évolution socio-économique préoccupante et l’écroulement comme un château de cartes de l’Union Soviétique et de ses satellites, aboutissent, en 1990, à la conférence de la Baule dont les instigateurs souhaitaient en faire le triomphe de la démocratie. Les conférences nationales s’organisent çà et là. Les partis uniques volent en éclats, se muent, se rénovent. Partout, les promoteurs de la démocratie sont vent debout. A dire vrai, comme le roseau, les nostalgiques de l’autocratie plient mais ne rompent pas. La démocratisation fait donc long feu. On bat en brèche les contraintes de la démocratie, au moyen des révisions et changements constitutionnels qui visent à modifier le nombre et la durée du mandat présidentiel pour aider les présidents-potentats à rempiler autant que faire se peut. L’esprit et la lettre de la Baule  s’étiolent et meurent sans avoir ni enraciné la culture et la pratique de la démocratie, ni impacté positivement la bonne gouvernance. Nombreux sont désormais les dirigeants déterminés à demeurer au pouvoir bien au-delà des deux mandats qu’impose la constitution tout en corsetant le pays dans un contexte socio-économique peu enviable.

La corruption, l’impunité, la concussion et le népotisme s’enracinent dans les mœurs et oblitèrent la bonne gouvernance. Si la Chine n’est pas un modèle d’état démocratique et de droit, force est d’admettre qu’elle est une école de bonne gouvernance. On pourrait citer en Afrique, le Rwanda de Paul Kagamé. Régulièrement accusés de dérives en matière de droits de l’homme, ces Etats sont félicités et adulés pour leur pratique de la bonne gouvernance qui sous-tend leurs performances économiques et la qualité de leur indice de développement humain.

Quelle option privilégier ? Fonder la gestion de l’État sur les principes démocratiques et de bonne gouvernance serait l’idéal. L’implémentation de la démocratie et de la bonne gouvernance dans l’écrasante majorité des États au sud du Sahara, est encore à la peine, après une soixantaine d’années de souveraineté retrouvée. « La démocratie est un luxe pour l’Afrique », avait averti Jacques Chirac, alors maire de Paris, en visite à Abidjan, chez le Président Houphouët. La réflexion avait choqué, quoiqu’elle fût pertinente, comme les faits l’ont démontré plus tard. La pratique de la bonne gouvernance est-elle donc moins difficile ?

Abraham Kayoko Doré