Après Lumumba, Kaunda, l’ancien président de la Zambie, récemment décédé, tente naturellement la plume du chroniqueur. Différents aussi bien par leur itinéraire que par leur tempérament, les deux partagent tout de même la même histoire et la même géographie. Des deux côtés de la frontière séparant le Congo et la Zambie, on parle le même swahili, on déguste le même mbinzo aux pistaches. En plus, Ils se sont tous les deux engagés très jeunes dans la lutte contre le colonialisme (belge pour l’un et anglais pour l’autre).

Après avoir payé le tribut le plus lourd à l’Esclavage et à la Colonisation, le monde bantou dont ils sont issus nous a logiquement donné les plus belles figures du nationalisme africain : Lumumba, Mandela, Nyerere, Kenyatta, Mondlane, entre autres. Ajoutons malgré tout Mugabe, ce Sékou Touré local qui a commencé sous les traits du libérateur et fini sous le manteau du despote sanguinaire et corrompu.

Sur les bancs de cet aréopage, la place de Kaunda n’apparaît pas à première vue. C’est vrai qu’il n’avait ni le charme de Nyerere ni l’autorité de Kenyatta ni l’aura de Lumumba ni le poids historique de Mandela. Modeste mais ferme,   discret mais clairvoyant, bref, anti-bling-bling  notoire, il était ce qu’il est convenu d’appeler un président normal bien avant que François Hollande ne consacre l’expression. Il  ne ressemblait pas  à N’Kwame Nkrumah ou à Sékou Touré, non plus. Il manquait d’envolées lyriques pour ce qui est du premier et de penchant pour l’esbroufe et pour la démagogie  pour ce qui est du second. Ce qui fait qu’il passa inaperçu.  Maintenant qu’il est parti pour toujours, on réalise nettement la droiture de sa personnalité et la portée décisive de son œuvre.

Avec le recul, on est en droit de se poser la question : Sans Kaunda, l’Afrique australe serait-elle devenue ce qu’elle est aujourd’hui avec un Mozambique et une Angola libres et une Afrique du Sud débarrassée du virus de l’apartheid ? Pas si sûr. L’Histoire aurait évidemment suivi son cours mais pas si vite, pas si bien. Pour preuve, cette réaction à chaud du président sud-africain, Cyril Ramaphosa :» Merci. Nous ne pourrons jamais rembourser cette dette.»

Il est facile de dénoncer le colonialisme, l’impérialisme et d’autres épouvantails en « isme » depuis Conakry ou Bamako, beaucoup plus difficile depuis Lusaka. La vie ne se conçoit pas comme un long fleuve tranquille quand les voisins s’appellent Salazar puis Caetano (en Angola et au Mozambique), Ian Smith (en Rhodésie du Sud), Verwoerd puis Vorster puis Botha (en Afrique du Sud). Et pourtant, Kaunda que d’aucuns prennent pour un personnage effacé voire falot tiendra bon et jusqu’au bout devant cette épouvantable galerie de monstres. Nul doute que c’est la « Ligne de Front » qu’il a créée en 1974 avec  entre autres la Tanzanie et le Botswana qui aura eu raison du glacis blanc d’Afrique australe. Certainement pas les bruyantes résolutions la défunte OUA !  

Hélas, cet homme simple et cordial n’évitera pas, non plus le «piège sans fin»° du parti unique. Il reconnaîtra tout de même sa défaite aux élections pluralistes de 1991 et quittera le pouvoir sans se laisser prier. Les tyrans grandissent à nos yeux quand ils ont la finesse de se plier aux injonctions de l’Histoire. 

Requiem in pace, président Kaunda !

Tierno Monénembo

°« Un piège sans fin » est le titre d’un roman de l’écrivain béninois, Olympe Bhêly-Quenum.