Feu Bah Mamadou Lamine et moi avons eu un grand nombre d’amis communs,  parmi lesquels l’ancien président de la République de Côte d’Ivoire, monsieur Laurent Koudou Gbagbo. Tous deux, nous l’avons connu et côtoyé simultanément, dans des circonstances absolument différentes. Gbagbo enseignait à la faculté d’histoire de l’Université d’Abidjan, Cocody, aujourd’hui Université nationale Félix Houphouët-Boigny. Professeur titulaire, il dirigeait également le CIRES, le Centre universitaire de Recherches Economiques et Sociales. Les cinq facultés de l’institution comptaient chacune un centre de recherche à travers lequel chaque professeur avait le devoir, l’obligation de fournir au moins un article de recherche par an, publié aux frais de la Princesse, avec un tiré à part pour accompagner sa carrière. C’est là que de multiples occasions m’ont été offertes d’entretenir avec le professeur Laurent Gbagbo, d’intenses relations académiques. J’avais quitté le quotidien Fraternité Matin pour le CUIP, le Centre Universitaire d’Information et de Programmation, spécialement chargé de l’édition scientifique, sous la tutelle du Rectorat.

Bah Lamine, lui, collaborait étroitement avec le  Groupe Fraternité Matin et dirigeait concomitamment le célèbre établissement d’enseignement secondaire, Grandjean, au Plateau où, malgré ses nombreuses occupations, Laurent Gbagbo trouvait du temps pour dispenser des cours particuliers afin d’arrondir un certain nombre de fins de mois. Le bouillant professeur ne faisait pas qu’enseigner. Il lorgnait aussi vers la politique. Les deux intellectuels n’ont pas tardé à  lier une amitié réciproque, toute de confiance, de confidences.

Un matin, Laurent Gbagbo se rend à sa banque, demande le solde de son compte et se perd dans les chiffres. Le temps de se retrouver, il se rend compte qu’une main aussi généreuse que mystérieuse a eu la gentillesse d’y déposer un montant en six chiffres. Bien avant la dévaluation du Franc CFA de 1994. Gbagbo encaisse à la fois le montant et le coup. Et le voilà devant Bah Lamine à Grandjean. Échanges de confidences, en toute confiance. Il demande à Lamine d’y réfléchir en attendant que l’on établisse l’identité du bienfaiteur.

Qui cherche trouve. C’est Houphouët Boigny ! Que faire ? Et Lamine de l’interpeler : ‘’Gbagbo, la solution est entre tes mains : si tu veux te frayer un chemin en politique, ouvre un autre compte bancaire, tu confines celui-là au repos. N’en tire plus aucun rond ! Ton poids politique ne doit pas être aussi léger qu’il ne paraisse. Ou alors tu appliques à ce magot la célèbre formule de « mange et tais-toi !»’’ Pour des raisons qui lui sont propres, Laurent Gbagbo boude son compte. Pour six mois. Le magot disparaît aussi discrètement qu’il avait apparu. Gbagbo opte pour une autre voie. Il demande à quelques jeunes journalistes, venus principalement de Fraternité Matin, de lui proposer la maquette d’un journal. Ainsi naît La Voie, le premier hebdomadaire du  Front Populaire Ivoirien, le parti de Laurent Gbagbo. Il croisera le fer si cruellement avec le PDCI que la Côte d’Ivoire post-Houphouët connaîtra l’enfer de la guerre civile. Heureusement qu’elle a pu en sortir. Pourvu que ses voisins n’y entrent pas, le Vieux « ayant toujours partagé la richesse, non la pauvreté !»

Diallo Souleymane