En 1927 au Liberia, le président sortant gagne l’élection la plus truquée de l’histoire.

Les tricheries électorales ne datent pas d’hier. Bourrer les urnes, acheter des voix, modifier les conditions d’accès au vote, arrêter illégalement les opposants le jour des élections, redécouper le territoire en fonction du paysage électoral (le fameux gerrymandering à l’américaine), manipuler les résultats ou faire voter les morts: il suffit de laisser parler sa fibre créative.

Des méthodes particulièrement audacieuses ont été imaginées par les dictateurs du XXe siècle pour influencer l’opinion. Le 10 avril 1938, dans la foulée de l’Anschluss (annexion de l’Autriche), les Allemands sont appelés à se prononcer sur la question suivante: «Es-tu d’accord avec la réunification de l’Autriche avec le Reich allemand qui fut décrétée le 13 mars 1938, et votes-tu pour le parti de notre chef Adolf Hitler?»

Sur le bulletin de vote, la case «oui» est représentée au centre, en grand, tandis que la case «non» est reléguée dans un coin de la feuille, en petit.

Une expérience similaire a été orchestrée par le chef d’État albanais Enver Hoxha, dont la dictature communiste est aujourd’hui considérée comme l’une des plus répressives de l’histoire. Après-guerre, il organise des élections sur liste unique où les électeurs, analphabètes pour la plupart, votent en glissant une boule dans un récipient «pour» ou «contre».

Or, «les boules des oui tombaient silencieusement dans un sac, celles des non venaient frapper une boîte en fer-blanc, peut-on lire dans Le Siècle des dictateurs. Qui oserait faire du bruit? Ils ne furent que 7% en 1945. Ils ne seraient que 0,02% lors des élections suivantes.»

Une participation électorale de 1.660%

De nombreuses régions ou pays ont fait les frais de manipulations électorales au cours de l’histoire. Particulièrement répandu en Amérique latine, en Afrique noire et dans les États-satellites du bloc soviétique, le phénomène n’a pas épargné les démocraties «stables» d’Occident. En revanche, aucune nation n’a eu à faire face à une participation électorale de 1.660%.

Aucune, sauf le Liberia, lors de l’élection présidentielle de 1927. Deux candidats s’y affrontent.

Dans le coin gauche, Thomas J. Faulkner, un outsider du Parti du peuple, tellement confidentiel qu’il n’a pas de page Wikipédia, milite pour ouvrir le pays aux investissements et à l’influence étrangère. En d’autres termes, un terroriste.

Dans le coin droit, Charles D. B. King, du True Whig Party, brigue un troisième mandat et cumule les attributs du parfait dictateur: corruption, népotisme et goût prononcé pour le port de la moustache.

Entre les deux, 15.000 Libériens appelés aux bureaux de vote.

Un suffrage en souffrance

Le résultat de l’élection est sans appel: 96.39% des bulletins sont allés au président sortant. Sauf que la participation se chiffre à près de 250.000 votants… Soit plus de seize fois le nombre d’individus répertoriés sur les listes électorales.

King lui-même aurait raflé 240.000 voix, ce qui le place non seulement à la tête du Liberia mais aussi du palmarès des élections les plus truquées de l’histoire, faisant son entrée dans l’édition 1981 du Guinness Book of World Records. Cela ne l’empêche pas de prendre ses fonctions sans contestation civile.

Cependant, embourbé dans un scandale de travail forcé et d’esclavage (dénoncé en partie par Faulkner, son adversaire n’ayant récolté «que» 9.000 votes), Charles D. B. King est contraint à la démission en 1930.

Le gavage des urnes de 1927 ne bouleversera toutefois pas l’hégémonie du True Whig Party, qui maintiendra son autorité sur la politique libérienne jusqu’en 1980.

Nicolas Méra — Édité par Sophie Gindensperger