Dans nos mosquées, le cas Nanfo Diaby est toujours pendant dans cette atmosphère permanente de bord de guerre civile qui fait le charme du pays agonisant qui est le nôtre. Certains prennent notre bouillant apôtre du N’Ko pour un précurseur à vénérer ; à couvrir abondamment de lauriers. D’autres souhaiteraient mettre le feu à son domicile avant de le jeter sous les roues d’une bétaillère. Nanfo Diaby est devenu la pomme de discorde nationale, une aubaine en quelque sorte quand on sait combien les Guinéens sont friands de coups de gueules et de chicanes.

Cet homme controversé que l’on imagine souvent en proie à l’enfer de la lassitude et de l’isolement, peut tout de même s’estimer heureux : il vient de faire des émules et pas n’importe où, au Sénégal, ce pays voisin à la légendaire tolérance ethnique, idéologique et religieuse. Là-bas, un imam de Kolda a officié toute une série des prières en langue poular et à ma connaissance, cela n’a soulevé que quelques vaguelettes, en tout cas pas l’espèce de tsunami que nous avons connu ici. C’est vrai que nous sommes chez Léopold Sédar Senghor, ce démocrate, ce fin lettré qui se targue à juste titre d’avoir inculqué à son peuple le sens de la mesure et du discernement. Tout le contraire de notre chère patrie où les incultes qui nous gouvernent depuis 1958 nous ont imposé le goût de l’excès et de la démesure : excès de sang, excès de tribalisme, excès de corruption, excès de paresse et de débauche. Bref, tout ce qu’il faut pour bâtir un pays prospère, dynamique et harmonieux !

Aux dires de mon ami Guélel Kumba, célèbre bluesman sénégalais installé à Oxford dans le Mississippi, il y a longtemps que des prières se déroulent en langue poular au Sénégal (notamment au milieu des années 90 sous la direction du défunt grand érudit Mamadou Samba Diop dit Murtudho) sans déranger grand-monde. Il reste qu’avec ou sans Nanfo Diaby, avec ou sans Murtudho, le problème restera entier tant que nos érudits n’auront pas répondu précisément aux trois questions précises que je posais dans ces mêmes colonnes tout au début de cette affaire. Est-ce le Coran qui oblige de prier en arabe ? Si oui, quel verset ? Ou sont-ce plutôt les hadiths ? Et si oui, lequel ? Ou alors, s’agit-il d’une simple habitude et qu’il convient de ne pas perturber les habitudes ? Une réponse pédagogique (je veux dire sans fanatisme et sans passion) à ces trois questions nous sortirait définitivement du flou qui, on le sait, est une source inépuisable de querelles et de quiproquos.

En attendant, nous sommes obligés de revenir à la seule personne qui a tenté d’y apporter une réponse, le professeur Mohamed Talbi. Selon cet Arabe, Tunisien, sans doute l’un des meilleurs islamologues de son époque, il n’est pas question une seule fois des Arabes dans le Coran ni de leur langue ni de leur ethnie. Ce qui me paraît parfaitement logique car, contrairement au Judaïsme, l’Islam ne reconnaît aucun peuple élu. En ce sens, la langue arabe n’est pas sacrée, c’est le Coran qui est sacré. Quant au Prophète, il n’a pas été choisi en raison de ses origines ethniques mais en raison de sa pureté intrinsèque.

Dans quelle langue, prier ? Cette question ne date pas d’aujourd’hui et elle ne concerne pas que l’Islam. Longtemps, les Chrétiens ont été unanimes à penser que leurs prières ne pouvaient être exaucées que si elles étaient formulées en latin, la langue de Ponce-Pilate, paradoxalement ! Curieusement, personne n’a jamais songé à prier en araméen, la langue maternelle de Jésus !!! Il fallut des années de coups de poing et de joutes oratoires (on se souvient du fabuleux combat d’arrière-garde de Monseigneur Lefebvre dans les années 70) avant que le Concile Vatican II ne préconise d’adapter l’église à son époque et donc de s’adresser à Dieu dans la langue de son choix.

Comme le disait Mohamed Talbi (encore, lui !) : « La religion n’est ni une identité, ni une culture ni une nation. C’est une relation personnelle à Dieu, une voie vers lui. On peut être musulman de culture hollandaise, française ou chinoise ».  Je suis tenté d’ajouter à cette très belle citation, celle du célèbre poète foutanien, Thierno Samba Mombéya : « Nous comprendrons mieux la parole du prophète dans notre propre langue ».

La place exclusive de l’arabe dans la prière du croyant est-elle une question de dogme ou une simple question de génération ? Moi, j’ai tendance à croire que c’est une simple question de génération et que comme le Christianisme, l’Islam sera amené à évoluer sur beaucoup de sujets dans les années à venir. Déjà, il y a peu, on a vu des femmes imams et sans voile officier des prières dans une mosquée parisienne.

Ne vous en faites donc pas, Monsieur Nanfo Diaby, je suis sûr que dans dix, quinze, vingt ans au maximum, vous ne serez plus ni une curiosité malsaine ni une bête à abattre. Vous serez devenu pour parler comme François Hollande, un imam normal. Après tout, Dieu parle toutes les langues, c’est lui qui les a créées.

Tierno Monénembo