Après les marchés de Dabondy, Entag, et Enco 5, c’est au tour de celui de Matoto de prendre feu. C’était aux environs de 5 heures du matin ce jeudi 20 avril. L’incendie a ravagé une vingtaine de boutiques et conteneurs à l’intérieur et à l’extérieur du marché. Les sinistrés accusent le maire de la Commune de Matoto, Mamadouba Toss Camara, d’avoir ordonné à la police de « déguerpir et mettre le feu » aux tables des étalagistes qui encombrent les voiries le long du marché et des emprises de la route.

Témoin oculaire de cette tragédie, Souaïbou Barry rapporte qu’il revenait de la mosquée avec ses amis lorsqu’ils ont aperçu les flammes. Voulant intervenir, ils auraient été empêchés par des policiers. C’est par la suite que le feu a atteint le marché via les câbles électriques.

Selon un bilan provisoire établi par les victimes, quinze conteneurs et onze magasins ont été complètement calcinés. Vingt-neuf autres sont à moitié brûlés. Ils contenaient entre autres : des postes téléviseurs, climatiseurs, téléphones portables, chaussures, vêtements, des chaussures et des appareils électroménagers… Il a fallu au moins trois heures de lutte pour que les jeunes et les sapeurs-pompiers parviennent à maîtriser les flammes.

Aux environs de 9 heures, des pickups de la police arrivent sur les lieux, la situation dégénère. Avec des jets de pierres, les sinistrés en colère perturbent la circulation et se déchaînent sur un bus transportant des conseillers nationaux du CNT. Venu constater l’ampleur des dégâts, le maire Mamadouba Toss  Camara n’a pas tardé à en faire les frais. Il a été hué et chassé. Il a fallu l’intervention de la gendarmerie, du Bata (Bataillon autonome des troupes aéroportées) et l’usage du gaz lacrymogène pour calmer les révoltés.

Parmi les sinistrés, Ibrahima Bah, vendeur de matériels scolaires. Rien n’a pu être sauvé. Ses deux boutiques sont consumées par les flammes. « C’est à 5 heures qu’on m’a appelé pour m’informer que le marché a pris feu. Constat, il ne reste plus rien. On m’a dit que ce sont les policiers qui ont mis le feu ». Il dit avoir perdu une importante somme d’argent laissée dans la boutique. Il s’en remet à Dieu et ne compte pas porter plainte.

Une commission d’enquête instituée

Accusés d’être de mèche avec les autorités et de toucher des pots-de-vin pour autoriser les étalagistes à s’installer, les administrateurs du marché ont préféré confier leur langue au chat. Cherif Aliou, président régional de la chambre du Commerce de Conakry, appelle au calme et à la patience. En tant qu’interface entre le gouvernement et le secteur privé, il se dit attristé par les dégâts causés par l’incendie dans ce marché. Il promet de s’impliquer personnellement pour que la lumière soit faite dans cette affaire. « Une Commission d’enquête mixte va être mise en place dès aujourd’hui. Ils viendront sur les lieux recueillir des informations, collecter les données et recenser les sinistrés et les pertes afin d’identifier les responsables qui seront traduits devant la Justice ». Chérif Aliou ne peut incriminer personne avant le rapport de l’enquête, mais promet de se battre auprès des autorités pour que les victimes soient dédommagées.

« Personne ne sera protégé »

Sekouba Camara, inspecteur régional du commerce, de l’industrie et des PME de Conakry, dit compatir à la douleur des sinistrés. Il assure que cet acte « infâme » ne restera pas impuni. Il précise que la Commission d’enquête a un volet judiciaire composé de la police judiciaire et scientifique qui va entendre victimes et témoins pour rassembler les preuves. « Les suspects seront mis devant les faits et répondront devant la loi ». Pour le volet administratif, un huissier de justice se chargera de faire le constat, dresser un bilan des pertes et évaluer leurs valeurs. « Nous allons rendre compte à qui de droit », déclare Sékouba Camara. Et d’ajouter : « Personne ne sera protégé. C’est aux enquêteurs de déterminer qui est responsable ou suspect, mais nul n’est au-dessus de la loi. Les suspects répondront des accusations portées à leur égard ».

Les inspecteurs ordonnent de ne rien déplacer sur les lieux. « La Gendarmerie va établir un périmètre de sécurité, car ce sont des indices qui permettront aux enquêteurs de faire le recensement ». Les victimes ne l’entendent pas de cette oreille. Elles préfèrent sécuriser leurs marchandises, du moins sauver ce qu’il en reste. Ils ont peur que la lumière ne soit pas faite ou de ne jamais obtenir réparation, surtout si une partie de l’enquête est confiée à la police, la même qui est accusée d’avoir mis le feu au marché.

Abdoulaye Pellel Bah