Le procès des présumés assassins d’El Doura Diallo s’est poursuivi le 24 juillet devant le tribunal criminel de Dixinn. Les accusés : Idrissa Diallo, Abdoulaye Camara, Mohamed Bafodé Camara et sa sœur Mariam (N’nah Marie) rejettent toute participation au rapt de l’opérateur économique. Ils se rejettent la responsabilité.

Le 5 décembre 2017, quand El Hadj Abdourahmane Diallo dit El Hadj Doura a été enlevé près de son domicile à Hamdallaye, dans la commune de Ratoma, il a transité par Sonfonia (commune de Ratoma), puis à Kénendé (préfecture de Dubréka), avant d’atterrir à Maférinyah dans la préfecture de Forécariah où il a rendu l’âme. Pendant les enquêtes, le téléphone utilisé pour la rançon est localisé et retrouvé dans les mains d’un certain Mohamed Bafodé Camara, taxi-motard. Il affirme que ce téléphone lui a été offert par sa sœur, Mariam Camara. Une version qu’il a maintenue devant le juge Amadou Sy. Interpellée, Mariam Camara dit à son tour que le téléphone lui a été remis par son ex-amant, Abdoulaye Yadi Camara. Elle aussi maintient que Yadi Camara qui avait « l’habitude » de lui « faire des cadeaux », lui « a offert ce téléphone. C’est lui qui me l’a donné à Maférinyah, je ne savais pas que l’appareil avait une provenance douteuse ».

A la barre, Abdoulaye Yadi Camara jure que son ex-amante l’implique dans cette affaire par pure jalousie : «J’ai eu une liaison avec elle, nous avons un enfant. Mais nous avons rompu depuis 2007. Elle m’accuse, parce que j’ai refusé de la marier. Elle ne supporte pas de me voir avec une autre femme. Elle a juré devant des gens qu’elle allait me mettre dans des problèmes. Je ne connais rien de cette affaire. Je ne connais ni celui qui a été enlevé ni les ravisseurs encore moins comment il est décédé». Cet accusé avait d’ailleurs été libéré après avoir passé 40 jours à la Direction centrale de la police judiciaire. A l’époque, les enquêteurs avaient estimé que les charges n’étaient pas suffisantes pour qu’il soit placé sous mandat de dépôt. Il a été repris, trois semaines plus tard et logé à la Maison centrale : « Si je me reprochais de quelque chose, j’aurais eu suffisamment de temps pour prendre la poudre d’escampette. Mais je me suis rendu moi-même à la DPJ. A Forécariah, tout le monde est au courant que N’nah Marie m’en veut».

« J’ai utilisé une partie de l’argent »

Pour retrouver leur père, les enfants d’El Hadj Doura ont versé aux ravisseurs 100 000 dollars américains. Une somme qu’El Hadj Mamadou, un des présumés cerveaux du rapt, a confiée à Idrissa Diallo. La partie civile accuse ce dernier d’avoir détourné l’argent. Idrissa Diallo reconnait avoir chipoté « un peu » dans cette somme, mais jure ne pas connaître la provenance : « On a travaillé ensemble de 2009 à 2014, on est restés de bons amis. Le 10 décembre 2017, il m’a dit d’aller prendre quelque chose pour lui chez Kahn (Thierno Mamoudou, un autre accusé, ndlr). Ce dernier m’a remis 50 000 dollars ; le 15 décembre, il m’a encore remis 49 000 dollars. Il était question qu’El Hadj vienne déposer son argent à la banque. Il n’est pas allé, il ne prenait plus le téléphone ». Idrissa Diallo confie alors l’argent à deux cambistes, s’envole pour Dakar, puis se rend dans son village à Popodra. El Hadj Mamadou le recherche et le retrouve chez lui : « J’étais surpris de le voir chez moi. Il me dit que ses amis étaient à ses trousses à cause de l’argent-là. Je lui réponds que l’argent était à Conakry. Il me demande de trouver le moyen de le lui ramener à Labé. Je me suis débrouillé à lui rendre 80 000 dollars. Et 10 000 dollars devant le colonel Rahim, quand j’ai été interpellé». Sur les 10 000 autres dollars, l’accusé ne donne pas une explication claire : « Je ne peux pas dire exactement ce qui s’est passé, parce que ça fait longtemps, mais je sais que j’ai effectué des dépenses pour lui. J’ai donné 10 millions à son avocat, je lui faisais à chaque fois la monnaie. J’avais tout noté, le cahier est avec colonel Rahim». L’avocat de la partie civile l’accuse de s’être acheté une moto avec l’argent de la rançon : « Je ne m’en souviens pas, mais je ne peux pas nier que j’ai utilisé une partie de l’argent».

« Ils nous ont demandé un million de dollars»

A ce stade de la procédure, tous les accusés ont fait leurs dépositions, à l’exception de Thierno Ciré alias Kams. Cet accusé serait bien à la Maison centrale de Coronthie, mais pour une autre affaire. Il serait non détenu dans l’affaire El Hadj Doura. L’avocat de la partie civile, qui le prend pour un des cerveaux de cette affaire, n’a de cesse de réclamer sa présence au procès, mais il n’a jamais été extrait depuis la reprise des audiences. Le juge Amadou Sy a donc décidé de faire comparaitre le plaignant, en attendant de tirer l’affaire au clair.

Thierno Boubacar Diallo, un des fils du défunt, est celui qui échangeait régulièrement avec les ravisseurs. C’est à lui que ceux qui détenaient le vieil opérateur économique ont exigé une rançon : « J’étais dans le bureau de Malick Kôné, à l’époque directeur adjoint de la police judiciaire, quand j’ai reçu le premier appel des ravisseurs. Le gars m’a juste dit qu’ils ont mon père et qu’il va falloir payer de l’argent pour le retrouver». Thierno Boubacar Diallo informe ses frères. Ensemble, ils décident de négocier : « Il a rappelé, je lui ai dit que nous étions disposés à payer. Ils nous ont demandé un million de dollars au début. On ne pouvait avoir cette somme. Il m’a dit de payer 100 000 dollars, nous avons accepté».

Le 10 décembre 2017, on fait tourner Thierno Boubacar Diallo dans maints quartiers avant de récupérer la rançon. Matam, Aéroport, Bambéto, Cosa, Enco5 et Lambanyi où il a tourné jusque dans les bandes de minuit : « Mon interlocuteur me disait d’aller au Carrefour-Lambanyi, de revenir au Carrefour-Canadien, j’ai déposé l’argent dans un coin sombre, sous un poteau électrique. Il m’a rappelé, a confirmé qu’ils ont pris l’argent».

Les ravisseurs avaient assuré qu’El Hadj allait être libre dès qu’ils auront reçu l’argent. En vain, témoigne Thierno Boubacar Diallo : « Je suis resté à Lambanyi jusqu’à 3H du matin, ils n’ont pas rappelé ». Ce n’est que quatre jours plus tard qu’ils l’ont rappelé pour exiger une nouvelle rançon : «Ils ont demandé 100 000 dollars encore, j’ai exigé de parler à mon père, ce dernier ne savait pas qu’on avait déjà payé». La famille refuse de payer. Un certain Lama Kaba alias L Kaba, accusé, en cavale, contacte Thierno Boubacar, lui dit qu’il peut l’aider à faire libérer son père, « gardé à Maférinyah. Il m’a demandé 10 millions. C’est lui qui m’a parlé de Thierno Ciré Sow alias Kams ».

« Nous avons trouvé Kams dans le bureau de Malick Koné »

Lama Kaba informe la famille que le nommé Kams, un des cerveaux présumés du kidnapping, venait de perdre sa mère, il avait prévu de l’enterrer ce jour : «Pour me prouver qu’il connait l’affaire, il m’a dit d’aller attendre au cimetière de Hamdallaye. Kams nous a trouvé là-bas, mais il a compris qu’il était filé. Il est allé se cacher à Simbayah. J’ai appelé la police et la gendarmerie. Ils sont venus tard, ils ont fouillé la maison, m’ont dit qu’ils ne l’ont pas vu. Mais des sources à la police m’ont informé que c’est Malick Koné en personne qui l’aurait mis dans son véhicule et parti».

 Entre temps, le Président Alpha Condé rend visite à la famille, confie l’enquête au général Ibrahima Baldé, Haut-commandant de la Gendarmerie : « Nous avons eu une audience avec le Président de la République, je lui ai dit que l’enquête patine. Il a appelé le général Baldé. Nous sommes allés avec lui chez Malick Koné. A ma grande surprise, je trouve Kams confortablement assis dans son bureau. Cela m’a troublé».

El Hadj Mamadou Diallo a toujours clamé qu’il n’a fait que récupérer la rançon. Faux, selon le fils du défunt : « Ce sont eux qui nous montré où ils ont enterré mon père». Il a aussi démenti l’information selon laquelle le marabout, Mamoudou Diallo, de nationalité malienne, inculpé dans cette affaire, est leur beau-frère : « C’est le beau-fils d’un ami à mon père qui est à Dalaba. Moi, je ne le connaissais même pas».

L’affaire est renvoyée au 31 juillet prochain, pour la comparution de Thierno Ciré Sow dit Kams.

Yacine Diallo