La Côte d’Ivoire a perdu, dans la soirée du 1er août 2023, un des éminents hommes qui ont marqué la vie politique du bled depuis l’indépendance. Aimé Henri Konan Bédié s’en est allé à l’âge de 89 ans. Sans doute, il n’y a pas que les militantes et les militants du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) qui pleurent HKB, mais tous les Y-voit-rien. Comme ils ont pleuré Félix Houphouët Boigny euh…Nana Boigny, le père spirituel du disparu. Yako !

Dans le microcosme politique ivoirien, Henri Konan Gros-Bébé, était l’un des derniers des Mohicans. C’était un vrai dinosaure. Tenez ! Après de brillantes études de droit à Poitiers (France) et un bref passage à la Caisse nationale des prestations familiales et de prévoyance sociale, HKB est nommé ambassadeur à Washington où son sens aigu de l’entregent n’échappe pas à la vigilance du Président Nana Boigny qui le ramène au bled et en fait son ministre de l’Économie et des Finances. Il tient bon les cordes de la bourse. Avec Mohamed Diawara au Plan et Abdoulaye Sawadogo à l’Agriculture, ils forment la Troïka dont la pertinence de la vision et des options socio-économiques est le ferment et le levain du développement humain durable de la Côte d’Ivoire.

Ce succès n’épargne pas l’enfant de Daoukro des vicissitudes de la politique. Il est débarqué du gouvernement au bout de 12 ans, en 1977. L’homme vit brièvement les affres de la traversée du désert avant de rejoindre la Banque Mondiale. Là aussi, il ne reste pas longtemps et revient au bercail où s’impatiente sa génération, pour assouvir sa soif de pouvoir. On n’attend que le départ du « Vieux ». Ah, les félons et les ingrats ! Il fédère les moins vieux, partisans du renouveau générationnel et parvient à s’installer au perchoir d’où, par le jeu constitutionnel, il conquiert la Présidence de la République à la mort du Prési Nana Boigny. La mauvaise conjoncture économique, la perte de l’illusion d’une Côte d’Ivoire prospère, la baisse du pouvoir d’achat pour les plus vulnérables sur fond de paupérisation croissante et fort, le désire de rattrapage des populations du nord, amènent un petit groupe de sous-officiers dont le plus connu est IB (Ibrahima Coulibaly), à le prier poliment d’aller planter ses pénates ailleurs. Il s’exile en France. Mais l’homme au cigare frappé de ses initiales, a déjà dans les tripes, le virus de la politique. Il revient quelques années plus tard au pays et à la direction de son parti, le PDCI qu’il dirige jusqu’à sa mort, la semaine dernière.

Henri Konan Gros-Bébé a été un homme débonnaire, généreux, reconnaissent ses proches et ceux qui l’ont approché. La ténacité et la détermination en politique ont été aussi sa « marque déposée ». Il a résisté à ses adversaires et obtenu souvent ce qu’il a voulu par la ruse ou la force. Depuis la disparition du « Vieux », dans le landernau politique y-voit-rien les alliances se nouent et se dénouent au gré du temps, des opportunités, des intérêts des uns et des autres, des vicissitudes de la politique. On a observé des alliances contre nature. Au centre de ce jeu de poker menteur, trois hommes : Henri Konan Gros-Bébé, ADO-au mur et Laurent le Bravo-rien, tous anciens chefs d’Etat. Ils se sont roulés les uns et les autres dans la farine, sans état d’âme. Pour le bonheur et le malheur de leurs compatriotes, les Y-voit-rien.

Abraham Kayoko Doré