Nous ne pleurerons pas la mort de la dynastie Bongo mais nous attendrons de voir avant de mêler notre voix au délire avec lequel la rue accueille Brice Oligui Nguéma, le nouvel homme fort de Libreville. Les raisons qui nous poussent à la prudence ne manquent pas par les temps qui courent. L’avalanche de coups d’Etat survenue avant la chute de celui qu’il faut bien appeler le président Bongo II a fait de nous le chat échaudé du proverbe.

Nous avons, soutenu dans ces colonnes (en nous bouchant le nez, c’est vrai !) tour à tour, les putschs de Bamako, de Conakry et de Ouagadougou. Nous pensions en effet que le troisième mandat d’Alpha Condé était un crime contre l’Etat et que le Mali et le Burkina Faso se trouvaient en pleine déliquescence du fait de l’incurie sans borne des régimes d’Ibrahima Boubacar Keïta et de Roch Marc Christian Kaboré. Nés dans une génération ravagée par 65 ans de pseudo-In dépendance, je veux dire d’esbroufe et de coups de trique, affamée de  pain et de liberté, accrochée à l’espoir comme le naufragé à l’épave, nous avons une tendance irrépressible à succomber au chant des sirènes.

Nous nous disions qu’à défaut de devenir de nouveaux Rawlings ou de nouveaux Sankara,  Assimi Goïta, Mamadi Doumbouya et Ibrahima Traoré auraient au moins le mérite de nous faire oublier Moussa Traoré, Lansana Conté, Yaya Jammeh et consorts. Emporté par notre enthousiasme, nous avions même été jusqu’à dire dans un journal guinéen que Mamadi Doumbouya serait peut-être notre nouveau Soundiata Keïta. J’ai bien peur qu’il ne devienne notre Dadis Camara-bis. Ibrahima Traoré ne nous semble pas mieux inspiré. Quant  à Assimi  Goïta, ses médiocres résultats aussi bien sur le plan sécuritaire que sur le plan économique ont fini par l’éloigner des forces populaires qui l’avaient soutenu au  début.  

Maintenant que nous les avons vus à l’œuvre, nous savons qu’aucun de ces trois colonels ne nous sortira du trou. En Guinée, au Mali, comme au Burkina, l’euphorie est passée. C’est la cuite atroce des lendemains de fête. A Ouaga et à Bamako, l’insécurité au nom de laquelle on a sorti les tanks, n’a pas reculé. Au contraire, au nord comme au centre du pays, les djihadistes sont chez eux comme le poisson dans l’eau. A Conakry, on pille les caisses de l’Etat et on fauche les manifestants avec encore plus de frénésie qu’au temps d’Alpha Condé. Pire, la transition qui est la raison d’être de ces déplorables juntes n’est plus à l’ordre du jour. On prend prétexte ici du terrorisme grandissant, là du détournement de biens publics pour la faire oublier.

Tout porte à croire que les militaires cherchent à gagner du temps pour durer le plus longtemps possible afin de manipuler les prochaines élections si jamais elles ont lieu, soit pour eux-mêmes soit pour un politicien de leur choix. En tout cas, l’exultation avec laquelle ils ont accueilli leur nouvel acolyte de Niamey ne nous pousse guère à l’optimisme.

Décidément,  l’Afrique est un navire ivre ! Il ne vogue pas. Il démultiplie les dilemmes. Il va de Charybde en Scylla, des griffes de Foccart aux crocs de Prigojine, des mains des dictateurs séniles à celles des jeunes putschistes aux dents longues.

Nous avons envie de prononcer le mot malédiction. Mais lors d’un séjour en Haïti, (ce grand et beau pays depuis longtemps abonné au malheur), notre ami, le poète et éditeur, Rodney Saint-Eloi nous l’a formellement interdit : «Ça n’existe pas, un peuple maudit, il n’y a que des élites en faillite».

Tierno Monénembo

Source : Le Point