« Le devoir de mémoire consiste à préserver et à transmettre aux plus jeunes la mémoire et les valeurs républicaines des hommes et femmes qui ont défendu le territoire national et ses idéaux. La paix et l’histoire doivent être au cœur de l’apprentissage civique des générations futures. La citoyenneté fait partie de ce devoir de mémoire. Chaque citoyen doit connaître et sauvegarder l’héritage des anciens combattants ».

Le 22 novembre 1970, en plein mois de ramadan, des assaillants guinéens et portugais, venus par la mer, débarquent à Conakry en divers endroits. L’objectif des militaires portugais qui relèvent de l’armée coloniale est de libérer des prisonniers détenus en Guinée par les nationalistes du PAICG (Parti Africain pour l’indépendance du Cap-Vert et de la Guinée).

Quant aux Guinéens, ils sont déterminés à débarrasser la Guinée du régime dictatorial du Parti-Etat. Plus heureux, les Portugais atteignent rapidement leur objectif et retournent rapidement avec leurs compatriotes libérés. Quoique les Guinéens sont parvenus à investir le Camp Boiro et à libérer les prisonniers politiques dont de nombreux Ministres qui y sont détenus, ils ne parviendront pas à atteindre leur but : renverser le régime du PDG-RDA. Leur échec radicalisera la révolution et endeuillera profondément des milliers de famille. Sékou Touré a cette redoutable et finesse phrase : « A quelques choses malheur est bon ». Et le malheur s’abat ! Les représailles sont terribles, à la hauteur de ce que les responsables du Parti-Etat considèrent comme une outrecuidance : tenter de renverser Sékou Touré et liquider la révolution. Des tribunaux populaires sont constitués et une rhétorique est savamment construite pour justifier les choix idéologiques, politiques et culturels et vouer aux gémonies les « anti-Guinéens dont le tort est d’aspirer à autre chose que la révolution.

Dès le 25 janvier 1971, quatre personnalités (Ministres et hauts fonctionnaires) sont pendues sous le pont du 8 novembre, à l’entrée de Kaloum. Aussitôt après, sont pendus dans tous les chefs-lieux de préfectures une ou trois personnes. C’est le début de quelque chose qui ressemble à un pogrome, une purge politique. Des dizaines de ministres, ambassadeurs, gouverneurs de région et de bien d’autres hauts fonctionnaires ou anciens fonctionnaires sont arrêtés et jetés au gnouf où beaucoup meurent de diète noire ou alors tout bonnement fusillés.

La relation de cette page noire de notre histoire est porteuse de controverse qui handicape aujourd’hui la narration orale et écrite de l’histoire de la période révolutionnaire (1958-1984). Cette perception de notre histoire persiste encore aujourd’hui dans la mémoire et la conscience collective de bon nombre de nos compatriotes, notamment les émules des dirigeants du PDG-RDA. Frais, moulus des universités guinéennes de l’époque, pétris de l’idéologie de la révolution, ils ne parviennent pas à prendre du recul pour adopter une posture objective. Ils agissent soit par idolâtrie, soit par ignorance, soit par mauvaise foi. Ils persistent à distiller la propagande développée par Sékou Touré et son parti, propagande qui consistait à présenter les Guinéens qui étaient venus tenter de renverser le régime comme des renégats, des traîtres, voire des anti-Guinéens.

La diaspora guinéenne pour sa part considère cette opération comme une volonté de libérer la Guinée d’une dictature féroce, cruelle à laquelle l’armée ne pouvait mettre fin. Cela était devenu évidant dans un contexte africain pourtant marqué par de nombreux coups d’Etat militaires. On peut donc considérer qu’il s’agit d’un geste ou d’une démarche désespérée des patriotes exaspérés par les affres infligées à leur pays par un despote.

Voilà donc deux versions quasiment opposées du même événement vieux de 53 ans ! Cela est d’autant plus grave qu’il s’agit d’un événement qui est l’un des points de repère d’un vécu politique du pays et qui mérite en conséquence d’être relaté avec exactitude aux futures générations. Que va-t-on leur dire ? La difficulté à narrer cet événement est aussi celle de toute la période révolutionnaire. On comprend dès lors les raisons pour lesquelles les manuels d’histoire actuellement en usage en Guinée sont muets sur cette période. Mais va-t-on continuer à faire l’impasse sur cet important pan de l’histoire contemporaine du pays ? Il est remps que les historiens nous écrivent ce qu’il faut en retenir qui ne nuise pas à nos valeurs les plus fondamentales. A vos plumes donc !

Abraham Kayoko Doré