L’audition des témoins se poursuit au procès du massacre du 28 septembre 2009 qui se tient au tribunal criminel de Dixinn délocalisé à la Cour d’Appel de Cona-crime, à Kaloum.

Mercredi 29 novembre, Ansoumane Camara alias Baffoe commandant de la CMIS (Compagnie mobile d’intervention et de la sécurité) numéro 1 de Kameroun au moment des faits, a expliqué au tribunal ce qu’il a vu, entendu et fait le jour du massacre au 28 stade critique. Non sans difficultés. Puisque le parquet et le juge ont relevé des variations dans sa déclaration à la barre par rapport à celle tenue devant le juge d’instruction.

De la veille du meeting

 Ansoumane Camara alias Baffoe a expliqué qu’à la veille du 28 septembre 2009, il a été appelé par le dirlo général de la police, le commissaire divisionnaire Valentin Haba, qui l’a « instruit dans un premier temps de consigner tous les hommes » à l’issue d’une réunion qu’ils avaient tenu à l’état-major général des armées, sis au Camp Samory Touré à Kaloum. Ce qui fut fait. Mais le soir, plus tard, le directeur l’a rappelé, pour lui dire que la manif de l’opposition allait avoir lieu et elle est interdite. « Après la planification que je devais mettre, je devais planifier mes hommes de la Cimenterie en passant par Lansanayah-barrage, jusqu’à la périphérie du stade. Les points qui m’avaient été indiqués étaient la Fondis, Landréah-port, la station Oasis et la Pharma-Guinée, mais que l’Esplanade du stade et l’intérieur du stade devaient être gérés par le groupement de la gendarmerie qui avait pour base dans l’enceinte de la mairie de Dixinn. Donc, la police n’avait rien avoir avec les installations du stade, voire l’esplanade. Donc, il m’a été ordonné de planifier les hommes à 4h du matin. Sur mes instructions, les chefs de section ont fait la mise en place… »

Le jour du massacre

Le 28 septembre 2009, le Baffoe affirme qu’il est sorti vers 5h 30 pour contrôler l’effectivité de la présence des hommes aux postes indiqués. Vers 9h, il était en tournée à Coza, quand le dirlo général de la police l’a appelé pour lui dire qu’il y a de petits regroupements au stade, d’aller constater. « J’ai foncé. Effectivement, il y avait des petits regroupements mais il n’y avait pas assez de monde. J’ai informé le directeur. Il a dit : ‘’Non, ça ne se doit pas. Dispersez-les’ ! Sans effort, nous avons parlé aux gens, ils ont quitté. Nous avons poussé le dispositif jusqu’à Oasis. Pendant ce temps, derrière moi, j’ai entendu les populations qui étaient en train d’applaudir. C’était l’arrivée du ministre Tiegboro, venu sensibiliser. Parce que dans la transition, c’était l’un des membres du gouvernement qui était populaire. Le ministre ne pouvait même plus tenir à terre. Il était obligé de monter sur notre Mamba, pour s’adresser à la population que la manifestation était interdite et que le lendemain, le Président avait dit que la manifestation pouvait se tenir. Mais cela a permis aux gens de se regrouper, le temps que le ministre a pris pour expliquer le contour, la foule était devenue nombreuse et est devenue compacte. Quand ils ont compris qu’ils maîtrisaient la situation, certains ont commencé à jeter les cailloux. Le ministre était en insécurité pour sa sécurité, sa protection l’a descendu dans le camion blindé, pour le protéger et la foule a été dispersée jusqu’au niveau de l’Echangeur. On a mis un dispositif pour stopper. Pendant que j’étais à la pharmacie Manizé, mon adjoint qui était sur le dispositif vers la Fondis m’appelle, pour me dire qu’il était face à la crème de l’opposition, le président Dalein, le président Sidya, le président Fall et tout le monde était-là.  Je lui ai dit de les stopper. Heureusement, comme le ministre était là, il était mieux placé, j’ai informé le ministre, il est allé vers eux. Le temps pour le ministre de discuter avec eux, pour leur demander de reporter la manifestation, la population a démonté le dispositif qui était derrière, ils se sont retrouvés à l’esplanade. La foule était tellement compacte que le dispositif sécurité, nous avons tous fui. Nous sommes allés attendre à Donka en face du camp Camayenne ». De passage, Baffoe a indiqué qu’en tant que spécialiste en maintien d’ordre, il n’était pas d’accord avec la méthode du colonel Tiegboro qui tenait à parler à la foule. « Je savais que si la foule devient nombreuse, on ne peut pas la disperser. Sinon, on risque de se faire mal et causer des dégâts au sein des populations ». Mais qu’il a reçu un coup de fil de son directeur, qui lui a dit d’obéir aux ordres du ministre Tiegboro Camara. Ainsi, vers 13h, dit-il, colonel Tiegboro Camara était venu leur signifier le mécontentement du capitaine Moussa Dadis qui avait dit que la police et la gendarmerie n’avaient pas fait leur travail, il les a instruits de libérer la route. « De la Fondis jusqu’à l’esplanade, tout était barricadé avec des obstacles qu’une seule personne ne pouvait pas dégager. Il a fallu utiliser nos camions mambas pour dégager certains obstacles. On a perdu plus de 1h de temps, pour enlever ces obstacles, pour permettre aux gens de circuler. »

De l’arrivée des bérets rouges

En dégageant donc les barricades, à peine arrivé à l’esplanade, Ansoumane Camara dit avoir vu les militaires (bérets rouges) de la garde présidentielle descendre. « J’ai vu deux camionnettes de l’armée. Vous savez les éléments de la protection du président Dadis avaient deux camionnettes très basses, les agents s’asseyaient dos à dos, plus un véhicule de commandement, je ne sais pas qui commandait. Les agents sont descendus, ils sont entrés dans le stade. Entre temps, j’ai vu le commandant Toumba venir seul, à pied, à pas de géant. Cela a trouvé déjà que les militaires dans le camion étaient déjà entrés, il y avait déjà les coups de sommation ». Selon Baffoe, les gaz lacrymogènes étaient finis avec lui et ses hommes, qu’ils n’étaient pas armés et qu’ils étaient en danger. Il a pris ses éléments, ils sont entrés au commissariat du stade. « Là où les militaires débarquent, notre mission était terminée », a-t-il déclaré. Et dire après que les militaires sont entrés à l’intérieur du stade, les tirs ont retenti.  « Quelques temps après, j’étais arrêté devant le commissariat spécial, j’ai vu Toumba venir avec les leaders protégés. Je ne savais pas où il les amenait en ce moment. Suivi du ministre Tiegboro aussi qui avait certains leaders, y compris le président de l’UFDG, ils sont partis. Nous, nous étions là. Après que tout le monde a quitté, il y a eu un silence de mort. J’ai cherché à joindre le directeur général de la police Valentin à travers le numéro de Toupou qui était le chef de cabinet. J’ai demandé où ils étaient, il a dit qu’ils étaient au camp Samory, il y avait un PC (Poste de commandement) qui avait été installé où les chefs de corps se retrouvaient pour suivre les évènements en direct. J’ai dit tout travail cessant, j’ai dit de dire au DG de venir constater ce qui se passe maintenant au stade et il va rendre compte à qui de droit. Aussitôt, ils sont venus. Nous, on n’avait pas pu entrer au stade, mais au stade annexe, il y avait beaucoup de fracturés, de blessés, ils se débrouillaient. Il fallait les porter assistance, la Croix-Rouge est venue les prendre. Ils ont constaté les faits, nous sommes entrés dans le stade. C’est là où j’ai vu des blessés et certains morts de mes yeux. Ils sont partis, mais nous, nous n’avons pas démonté notre dispositif en banlieue. Nous sommes rentrés à la base, pour aller gérer ceux qui avaient été arrêtés et essayer de dire aux autres de ne pas quitter leur position, parce que la situation était dans la main des militaires ».

De la variation

Après avoir narré tout cela, le président du tribunal, Ibrahima Sory 2 Tounkara, a rappelé à Ansoumane Camara Baffoe qu’il avait été auditionné devant le juge d’instruction. Se souvenait-il de tout ce qu’il avait dit ? Baffoe a bégayé, avant de dire : « Peut-être, oui ! » A la phase des questions, le procureur a relevé que chez le juge d’instruction, affoe avait dit que les militaires sont arrivés, à leur tête, Toumba Diakité. « Non, je n’ai pas dit cela, peut être que le juge a compris autrement ou bien il n’a pas bien entendu mon français », a rétorqué Ansoumane Camara. Instant de discussion entre lui et le président du tribunal qui a demandé de tenir compte de quelle version entre celle tenue à la barre et celle chez le juge d’instruction. Difficile choix de Baffoe qui soutient mordicus avoir vu Toumba Diakité seul. Le président du tribunal a demandé au greffier de noter cette variation du témoin et a rappelé que le faux témoignage est puni par la loi. L’audience reprendra lundi 4 décembre.

Ibn Adama