Après la tristesse, les larmes et les condoléances, les questions. Comment est-ce possible que le plus grand dépôt de notre pays prenne feu et explose avec autant des dégâts humains, psychologiques et matériels ? D’ailleurs est-il possible qu’un dépôt d’hydrocarbures explose instantanément ? Est-ce techniquement, administrativement possible ? Sinon, est-elle d’origine criminelle ?

Une explosion est subite, instantanée mais lorsqu’il s’agit d’un dépôt d’hydrocarbures, elle ne saurait être spontanée à moins qu’elle soit délibérément provoquée. En effet, les hydrocarbures prennent feu suite à l’apport d’une source d’énergie (étincelle, élévation de température…) Elle intervient donc après l’accumulation des poussières (usine de farine, de ciment…) ou l’élévation de la température (dépôt d’hydrocarbures). C’est pourquoi, les sociétés mettent en place un système de sécurité incendie automatique (SSIA) avec des détecteurs de poussières et de fumées….

En l’espèce, la Société Guinéenne des Pétroles, SGP, est un établissement classée pour l’Environnement ICPE dont la conception, la construction et l’exploitation nécessitent justement un SSIA dont le rôle est de détecter tout dépassement de charge des cuves (remplissage), toute élévation anormale de température, toute fumée afin d’envoyer l’alerte, sur fond sonore, au poste de commande, de procéder à l’isolement du lieu où l’anomalie a été détectée et de procéder à l’extinction automatique en arrosant la partie par le produit approprié (eau simple, poudre, eau avec mouche…) suivant la nature de l’incendie via des dispositifs de sécurité spécifiques (Sprinklers). Ainsi, si un feu se déclare quelque part dans l’enceinte de la SGP, ce système à moins qu’il soit défaillant, doit jouer son rôle d’alerte (ce qui va permettre aux occupants d’évacuer) et d’extinction. Pourquoi n’a-t-il pas fonctionné ? Soit le système est défaillant, soit l’incendie ou l’explosion est subite (ce qui se rapproche de la thèse criminelle voir Human Error).

Pourquoi procéder au dépotage d’un bateau avec un système défaillant ? Le dépotage d’un navire pétrolier était en cours, ce qui éloigne l’hypothèse d’un système défaillant. Aucune équipe ne peut entamer un dépotage sans tester son système de sécurité vu le niveau de dangerosité de l’opération. D’ailleurs, c’est une opération qui implique plusieurs équipes dont l’entrée d’abord à la SGP nécessite une séance d’induction au cours de laquelle toutes les mesures de sécurité sont rappelées. Ensuite, avant le début de l’opération, des mesures préventives et curatives y compris l’arrêt immédiat des opérations en cas d’urgence et l’évacuation. Tout au long de l’opération, des points critiques sont surveillés tels que le niveau des gaz, le niveau des cuves, le niveau de température… Ces surveillances sont normalement à la fois techniques (système d’alarme (High level, High high level) et humaines. De l’avis de plusieurs spécialistes, il est impossible que l’équipe en charge du dépotage ait ignoré l’une de ces étapes. Il est donc difficile d’imaginer que tous ces éléments indépendants les uns des autres soient défaillants au même moment.

Indépendamment de ce système automatique, il y existe des extincteurs, des robinets d’incendie armée (RIA) connectés à des cuves d’eau. Ces équipements, à la lumière des faits, n’ont  malheureusement pas pu être exploités. Mais pourquoi ? L’équipe qui y était a-t-elle été surprise par l’explosion ? Autrement dit, il n’y a pas eu de début d’incendie. L’explosion a-t-elle été soudaine, sans déclaration d’incendie préalable ? Car toute déclaration d’incendie préalable entrainerait une augmentation non seulement de la température mais aussi de la fumée ; ce qui a pour conséquence le déclenchement des systèmes qui surveillent le niveau de température mais aussi des détecteurs de fumée.

En plus, chaque cuve est entourée d’un mur appelé bund wall (dont le rôle est de retenir le produit en cas de perte de confinement) et d’un dispositif d’arrosage automatique avec sprinkler. Ce dispositif se déclenche automatiquement dès le dépassement d’un seuil de température donnée. Ce seuil, il faut le noter, ne permet ni l’inflammation encore moins l’explosion.

Le drame impardonnable

Si les dispositifs susmentionnés relèvent du plan d’urgence à usage interne, un ICPE comme la SGP devrait disposer d’autres mesures plus drastiques consignées dans un document appelé Plan d’Opération Interne (POI). Ce Plan d’Opération Interne POI décrit non seulement les différents scenarii possibles & crédibles (work pire scenaris) mais aussi les mesures à entreprendre pour chaque scenario et chaque partie prenante.

En effet, le Plan d’Opération Interne est à usage aussi interne qu’externe. Il doit être communiqué aux voisinages (communautés locales, autorités communales, sociétés avoisinantes…) Toutes doivent être préparées via des formations, des sensibilisations et des simulations sur les mesures contenues dans ce plan d’opération interne.

Au vu de la panique et de la débandade provoquées par l’explosion, il semble évident que le voisinage n’était pas préparé à ce scenario ; autrement dit, même si ce plan existait, il n’a malheureusement pas fait l’objet de communication.

Des leçons 

Au-delà de la délocalisation du dépôt, il est urgent de procéder à une réévaluation des risques au niveau des autres dépôts (Conakry, Kankan, Kamsar), implémenter les actions nécessaires, y compris les POI et communiquer celles-ci à tous les niveaux.

Tout accident est évitable pourvu qu’on se donne les moyens. Malheureusement, dans bon nombre de structures à la fois publiques, parapubliques et privées, la sécurité des biens et des personnes est reléguée au second plan. On y voit plus une charge financière alors qu’en réalité, mettre un centime dans la sécurité permet à la fois de rentabiliser et surtout de pérenniser le business. Paix aux âmes des victimes et prompt rétablissement aux sinistrés !

Ghaly Sow, Ing HSE