Apparemment, de nombreux Guinéens, dont ceux du pouvoir, se montrent étonnés de la puissante chaine de solidarité engendrée par la regrettable explosion du principal dépôt de car-brûlant du pays situé en plein cœur de Kaloum. Les discours officiels le soulignent amplement. Les interviews, parfois ciblées, de l’homme de la rue l’exposent éloquemment. Les bénéficiaires en parlent ouvertement. Pourtant, c’est loin d’être une première. Des trois termes de notre devise, seule la solidarité aura réussi à accompagner honorablement la République, de 1958 à 2023. Les deux autres, travail et justice, peuvent se proclamer catastrophes nationales.

Les héros de l’indépendance ont certainement cru aux vertus du travail comme base de tout développement ; à la justice, comme fondement durable du vivre ensemble. Deux ans à peine après la proclamation de l’indépendance, feu le Professeur Niane Djibril Tamsir aura été l’un des premiers cadres à dénoncer à haute et intelligible voix la violation flagrante de la justice par le tout nouveau système de « liberté recouvrée ». Dès que le méchant colon est parti, « richesse est venue, dans ta gibecière s’est logée, auprès de moi, resta pauvreté… » Le déficit de justice aura immanquablement constitué l’un des éléments fondamentaux du mal guinéen. Le PDG fera de l’injustice son cheval de bataille pour semer mort et désolation durant les 27 longues années de son interminable règne. A l’unanimité, ses successeurs putschistes s’appuieront sur la soif de justice pour acquérir l’adhésion populaire. Pour Mamadi Doumbouya, elle sera tout simplement la boussole du CNRD. Même si deux ans après le 5 septembre 2021, nous tardons à établir avec certitude qui est la boussole de qui.

Quant au premier terme de notre devise, « Travail, » il tire carrément la queue sur l’échelle des valeurs de la République. Personne n’a encore entrepris des recherches sérieuses pour en déterminer les causes profondes. Peut-être avons-nous peur de notre propre histoire. Peut-être en avons-nous honte. Premier pays indépendant d’Afrique occidentale et équatoriale françaises, la Guinée arrive incontestablement la dernière au rendez-vous du développement durable. Le PDG-RDA nous avait expliqué que la France avait des sacs de sucre et de piment à distribuer en Afrique et que, dans sa clairvoyance légendaire, notre chère patrie devait commencer par le piment ; le PDCI-RDA et ses acolytes du néo-colonialisme, par le sucre. Malheureusement, les deux denrées se sont épuisées en même temps. Chaque camp a dû se lécher les babines avec l’arrière-goût qui lui est propre. A présent, il est peu probable que nous ayons tiré tous les enseignements de nos erreurs du passé : parler au lieu de travailler, louvoyer au lieu d’agir, mystifier au lieu d’analyser. La vingtaine de tomes du PDG, même rééditée à compte d’auteur, ne sert pas à grand-chose pour résoudre nos problèmes actuels. Sûr que nous avons échoué dans la réévaluation de notre passé, sinon le premier Ministre, chef du Gouvernent, M. Bernard Goumou, ne se serait pas arrêté devant le CNT et les forces vives de l’administration le 22 décembre 2023 pour lancer cet avertissement solennel : « La situation est grave… Si le Gouvernement ne prend pas des mesures idoines, nous pourrons constater des crises suite à l’augmentation des prix au niveau des marchés. » Grand Dieu, qui donc est le gouvernement ? « On est où là ? »

Aussi, la solidarité reste-t-elle l’unique pilier du pays, la seule sève nourricière de la nation. Revoyez les grandes épreuves de notre Histoire. La Guinée vit et survit dans et par la solidarité. Du 22 novembre 1970 à l’explosion de Coronthie le 18 décembre 2023, en passant par Cheytane 1976 et toutes les autres calamités que vous avez connues.

DS