A l’occasion de la fête de fin d’année à Cona-cris, ils sont nombreux à traverser la mer pour les Îles de Loos, Kassa, Soro, Room, par les ports de Boulbinet, Sandervalia ou Petit-bateau. Cette année, le gouvernement a décidé d’interdire la traversée par pirogue. Les piroguiers n’en reviennent pas !

 Le 26 décembre, le ministère des Transports a annoncé la fermeture jusqu’au 5 janvier du débarcadère de Boulbinet, à la fois port de pêche, point de départ et d’arrivée des voyageurs sur les Îles de Loos. Le communiqué stipule que « toutes les traversées se feront uniquement à partir de la gare maritime de Sandervalia pour le grand public et du Petit bateau pour les plaisanciers. »

Un tarif promotionnel a été instauré à la gare de Sandervalia que gère l’Etat à travers la Société navale de Guinée. L’aller-retour est facturé au prix forfaitaire de 15 000 francs glissants, toutes destinations confondues. Kaba Keita, dirlo commercial et marketing de la Société navale jure, la main sur le palpitant, que tout est mis en œuvre pour assurer des voyages confortables, à moindre coût. « Après la fermeture de Boulbinet, il fallait assurer le transport des personnes et de leurs biens à un coût abordable. Nous avons mis à disposition une flotte de quatre navires de 45, 72 et 86 places ; deux vedettes de 20 places pour maintenir le trafic ». Fermer le débarcadère de Boulbinet est une « question de sécurité », explique-t-il. « C’est pour une période définie. Ce n’est pas pour concurrencer les insulaires. Après la fête, nous reviendrons à nos tarifs habituels et le débarcadère rouvrira ses portes ».

Sécurité ou intérêt ?

En temps normal, pour se rendre aux Îles de Loos via la gare de Sandervalia, il faut débourser la modique somme de 70 000 francs glissants, 100 000 gnf pour Kassa et Soro, 150 000 pour Room. Au Petit-bateau, le tarif pour les navettes de plaisance varie entre 800 000 et 2 millions de francs, voire plus.  Au débarcadère de Boulbinet, la traversée en pirogue coûte 5 000 francs pour Kassa, 10 000 pour Soro et 20 000 pour Room. « Consciente du pouvoir financier du Guinéen, la direction de la Société navale de Guinée a fixé des tarifs promotionnels accessibles aux budgets modestes. Nous avons mis à disposition deux vedettes suppléantes. » Une façon d’attirer et de proposer une alternative aux jeunes fêtards.

Le retard n’est pas toléré. C’est pourquoi, souligne Kaba Keita, « chaque fois que nous avons 20 clients, on les embarque dans une vedette. Les deux font des allers-retours de 8h à 16h30, en fonction de la clientèle. Elles sont plus rapides pour envoyer ceux qui vont à Soro ou à Room, parce que nous n’avons pas encore de quai pour que le grand bateau puisse accoster ». Le directeur estime que les exploitants du port de Boulbinet ne seront pas impactés par ce monopole, du moment que leurs « activités principales, c’est la pêche et non le transport des personnes ».

Depuis son inauguration le 10 décembre 2022, la Société navale de Guinée assure le trafic entre la Guinée et la Sierra Leone. « Le trafic est régulier depuis un an maintenant. Nous avons la clientèle pour assurer trois voyages par semaine (mercredi, vendredi, dimanche). Le ticket est 120 dollars américains (1 100 000 GNF) pour les VIP et 100 dollars (900 000 GNF) en classe économique, dans un navire d’une trentaine de places, pour un voyage de trois heures. » Dans les mois à venir, la SNG compte diversifier ses destinations, en desservant par exemple la Guinée-Bissau ou le Sénégal. Tout un challenge.

Des piroguiers mécontents

Au débarcadère de Boulbinet, c’est déjà la crise. Pratiquement, toutes les pirogues sont à quai. Seuls quelques insulaires s’en servent pour regagner les îles. Les piroguiers ne comptent pas rester les bras croisés face à la décision du ministre. La mesure affecte leur gagne-pain, à cause d’un manque criant de clientèle. A distance, on entend : « Kassa 5 000 francs ! Soro 10 000 francs ! Monter, bouger ». A part les pêcheurs et les acheteurs du poisson ou de glace pour la conservation, nul voyageur n’est visible. Alhassane Sylla, piroguier, n’a effectué aucun voyage depuis le matin. Il enrage. « Nous travaillons ici depuis des années. C’est pendant les périodes de fête que nous avons plus de clientèle. Cette année, ce n’est pas le cas. Nous avons des familles à nourrir. On nous demande de fermer pour éviter des naufrages. Pourtant, les accidents arrivent à n’importe qui. Ils veulent seulement récupérer nos clients, comme ils n’ont rien à faire ».

A l’interdiction de convoyer des passagers sur les îles s’ajoute le problème de car-brûlant. La reprise de la vente de l’essence dans les stations-services s’est accompagnée d’une interdiction formelle de servir dans les bidons. Une situation que vivent très mal les piroguiers, accusés de revendre le carburant au marché noir. Ce qu’ils démentent catégoriquement : « Nos pirogues ne peuvent pas aller à la station. Nous sommes obligés d’envoyer les bidons. Ils refusent de nous servir juste pour freiner nos activités alors que nous payons des taxes », rouspète Alhassane Sylla. Malgré cette pénurie, le tarif de la traversée reste le même au port de Boulbinet.

En attendant la dérogation

L’essencerie érigée à quelques mètres du débarcadère est fermée, Mamadou Djan Barry en est le gérant. De son bureau, il observe les clients qui errent avec des bidons en quête de car-brûlant. Il dit avoir au moins 15 000 litres en stock. Il a dépoté une citerne de 20 000 litres la veille, mais impossible de servir même les engins roulants. « Dès que nous ouvrons, ils nous envahissent. Si on refuse de servir dans les bidons, ils manifestent », se justifie-t-il. Responsable de la station-service, il dit avoir plaidé pour la cause de ses clients piroguiers. « J’ai passé des coups de fil pour tenter de convaincre les responsables de la Société nationale du pétrole, vu notre positionnement géographique. Ils me disent que l’ordre vient du ministre. En attendant, ils doivent garder leur mal en patience ».

Abdoulaye Pellel Bah