Avec la pénurie du car-brûlant consécutive à l’explosion du dépôt d’hydrocarbures de Kaloum, les producteurs de pommes de terre n’ont plus de quoi faire fonctionner leurs motopompes pour arroser leurs champs. Dans cette interview au Lynx, le patron de la Fédération des paysans du Fouta Djalon alerte le gouvernement sur les risques d’une crise alimentaire.

Le Lynx : Quel est l’état des champs à ce jour ?

Moussa Para Diallo : La production avait très bien démarré, on a importé suffisamment de semences ; de l’engrais a été mis à disposition par le gouvernement. On s’est promis,  le ministère de l’Agriculture et nous, d’inonder cette année le marché guinéen de pommes de terre. C’est un engagement de part et d’autre. L’Etat a honoré le sien, nous voulons en faire de même. Sauf qu’entre temps, il y a eu l’explosion du dépôt de carburant de Conakry. On a toutes les difficultés du monde pour trouver du carburant, que ce soit à Mamou, Dalaba, Pita, Labé, Mali…C’est un problème très sérieux : un communiqué gouvernemental interdit de servir dans les bidons. Transporter une motopompe de 500 kilos, d’une tonne, voire plus, pour mettre 25 litres, c’est un peu limite. J’en appelle au gouvernement, à la Sonap (Société nationale des pétroles, ndlr) pour voir comment mettre à disposition des producteurs nécessiteux du carburant afin qu’ils puissent arroser leurs champs et limiter les pertes. Je reçois tous les jours des centaines d’appels pour me demander quoi faire. Je n’ai pas de réponse. J’ai écrit au FODA (Fonds de développement agricole, ndlr) pour les alerter, on attend. Il faut penser à ceux qui nous nourrissent au quotidien. Dès l’après-midi, il fait entre 32 et 35 degrés, l’arrosage s’impose.

Le problème, à Timbi Madina, c’est l’interdiction de servir dans les bidons ou l’indisponibilité du carburant ?    

Ce n’est pas un problème local, mais régional et national. Non seulement, il manque dans les stations, mais aussi le peu qui vient est réservé aux véhicules. On nous oppose un non catégorique. Je suis légaliste, mais faut-il savoir qu’il y en a qui dépendent de l’agriculture. On encourage ainsi l’exode des producteurs. Imaginez quelqu’un qui a emprunté 200 à 300 millions et qui n’a pas de quoi rembourser. C’est préoccupant.

Comment concilier vos intérêts et la volonté de l’Etat de parer au trafic du carburant ?

Il faut certainement avoir des structures de base pour recevoir du carburant dans les champs, elles sont inexistantes pour le moment. On n’a que les stations pour le stocker. Nous sommes prêts à surveiller à longueur de journée ceux qui vont vendre du carburant dans le marché noir et à les dénoncer. Cela dit, le producteur ne peut pas transporter sa motopompe. Prenons quelqu’un qui a 30 hectares de pommes de terre, comment pourrait-il se contenter de 25 litres ? Sans carburant, toutes les campagnes agricoles seraient foutues. A côté du problème de dépôt, on risque d’avoir une crise alimentaire plus grave. J’attire l’attention de ceux qui nous gouvernent là-dessus.

En termes de chiffres, quelle est la valeur des investissements menacés ?

On pourrait les chiffrer au minimum à 150 milliards de francs à l’échelle nationale.

Le Covid 19 a promu le télétravail. Quelle innovation tirée de cette crise pour favoriser la résilience à l’avenir ? Créer des dépôts de carburant directement dans les champs ?

Pourquoi pas ? Mais voyez-déjà la faible couverture énergétique du pays ? Dans la préfecture de Pita que je connais mieux, on a quatre stations d’essence dans la commune urbaine dont une qui ne fonctionne pas ; trois à Timbi Madina ; une dans la commune de Ley-Miro ; une ou deux sont en voie de construction à Timbi Tounni ; le reste, rien. Dans le futur, on peut penser à de telles solutions mais faudra-t-il que le gouvernement nous aide à trouver où stocker ce carburant.

La crise survient au moment où tarissent les cours d’eau, on ne peut pas attendre. D’habitude, on se lève très tôt pour arroser. Autrement, même si on a le carburant, on pourrait ne pas avoir de l’eau. Néanmoins, je suis d’accord qu’il faut méditer sur comment ravitailler les producteurs en carburant à la longue, avoir des citernes de 30 000 à 50 000 litres. Aujourd’hui, des endroits comme Mali n’ont aucune goutte de carburant, même si les grandes zones de production de pommes de terre qui concentrent les 90 % de la production nationale sont Pita et Labé. Après, viennent Mamou, Mali et Dalaba.

Etudiez-vous d’autres possibilités d’avoir de l’eau ?  

Pour le moment, il faut bien gérer l’eau de ruissellement. On a déjà pris les devants en aménageant des barrages de stockage. Côté reboisement, Timbi était plus déboisé en 1965 que maintenant. Il pleut suffisamment à mon avis, actuellement. Il y a l’interdiction de la coupe du bois. Si les lits des marigots sont débouchés, il y aura de l’eau en permanence. Comme le carburant, l’eau est aussi vitale pour tout le monde. Que le gouvernement regarde du côté des agriculteurs et prenne des décisions en leur faveur.  

Interview réalisée à Timbi Madina

Par Diawo Labboyah (envoyé partial)