Dimanche 31 décembre, le CNT, Conseil national de la transition, était en plénière consacrée à l’examen du volet dépenses et à l’adoption du Projet de Loi de finances initiale 2024, PLFI-2024. L’exercice a mobilisé le pool financier du gouvernement composé des ministères du Budget, de l’Économie et des Finances et celui du Plan et de la Coopération internationale. Il y avait également des membres du CNRD, des hauts cadres du gouvernement, les chefs religieux, le corps diplomatique et consulaire. La liste n’est pas exhaustive.

Après la lecture du rapport d’examen d’une vingtaine de pages, plusieurs imperfections concernant la mobilisation et la gestion des fonds publics ont été soulevées par les conseillers nationaux. Sur un total de 29 recommandations formulées lors de la Loi de finance rectificative 2023, 10 n’ont toujours pas été prises en compte, 7 en cours d’exécution et 3 prises en compte, partiellement. Une lenteur que déplore le CNT, qui invite le gouvernement à traiter les recommandations qui restent. Avant d’adopter le volet dépenses du PLFI-2024 à la majorité, la rapporteure du CNT a souligné que « suite à la baisse des recettes du projet de loi de finances 2024 de 446 milliards GNF, les dépenses ont été réévaluées à 37 682 milliards GNF, contre une prévision dans la LFR-2023 de 37 249 milliards GNF (+1,16%).  Rapportées au PIB, les dépenses s’établissent à 18,55%. » Fatima Camara ajoute que l’analyse du budget montre qu’il est impacté dans ses deux volets par l’incendie du dépôt d’hydrocarbures de Kaloum. « Cet impact est atténué par les nouvelles mesures fiscales ; la poursuite des réformes des entreprises publiques conformément à la Loi 056 ; la digitalisation du processus de recouvrement des impôts, des taxes et des redevances ; la tendance attendue dans le secteur des télécommunications ; l’augmentation des dépenses sociales notamment à l’endroit des couches les plus vulnérables. »

Dansa Kourouma s’indigne et dénonce

Dansa Kourouma, Président du CNT, s’est indigné face aux anomalies qui se voient comme une « indiscipline » dans la gestion budgétaire. « Il s’agit de souligner en lettres d’or, l’obligation du gouvernement de respecter les normes établies dans la Constitution financière de l’État. Mais comment parler de refondation sans discipline ? Nous demandons au Premier ministre, Chef du Gouvernement, d’être le garant du respect de cette norme fondamentale… » Le CNT dit avoir pu identifier des ressources potentielles perdues, notamment au titre des exonérations minières à une hauteur estimée à près de 29,4% des recettes fiscales dans le PLFI 2024. « Une telle manne financière aurait pu valablement servir à mitiger les effets de l’incendie dans le principal dépôt de carburant du pays… Les fonds non collectés par l’État à travers son Budget sont injustement déviés vers les poches d’individus, créant un désordre administratif et programmatique. Ce désordre persistant et l’incapacité qui en résulte affectent irrémédiablement la crédibilité des autorités, du fait d’un écart entre les promesses tenues et les réalisations concrètes ». Dansa Kourouma argue que l’utilisation détournée des fonds accentue les risques pour la gouvernance et l’intégrité des institutions étatiques. « Le Conseil National de la Transition a par ailleurs identifié cinq (5) fois plus de revenus supplémentaires, comparativement au PLFI-2023. »

Le CNT n’a pas manqué de signaler aussi que le projet de la LFI-2024 a été déposé en violation de l’article 56 de la Loi organique relative aux lois de finances qui fixe au 15 octobre de chaque année la date limite de saisine légale. « Nous réitérons, avec force, le caractère désormais inacceptable de la recevabilité de la loi de finances dans un calendrier en déphasage avec les prescriptions de la loi », prévient Dansa Kourouma.

Violation des normes

La rapporteure de la Commission du plan, des affaires financières et du contrôle budgétaire, Fatima Camara, indique dans son rapport sur l’examen de la PLFI-2024 qu’il ressort que « le déficit budgétaire rapporté au PIB est projeté à 3,81% en 2024 contre 3,86% en 2023 ; le taux d’inflation en moyenne annuelle devrait se situer à 8,9% en 2024 contre 8,6% en 2023, pour une norme de taux d’inflation à un chiffre ; l’encours de la dette rapporté au PIB nominal se dégraderait en passant de 32,50% en 2023 pour s’établir à environ 38,50% en 2024, pour une norme maximale CEDEAO de 70% ; le ratio masse salariale sur recettes fiscales s’améliore en passant de 30,72% en 2023 à 34,44% en 2024, pour une norme de 35% maximum ; le taux de pression fiscale connaîtrait une amélioration en passant de 12,00% en 2023 à 13,25% en 2024, pour une norme minimale de 20%. Ces principaux ratios budgétaires ne respectent pas les normes communautaires, excepté ceux relatifs au ratio de l’encours de la dette et celui de la masse salariale. »

Le CNT a exhorté le gouvernement à veiller à ce que les emprunts soient adossés à des projets d’investissement spécifiques et non au financement classique du fonctionnement de l’État, qui ne garantit pas le retour sur investissement.

Contreperformance gouvernementale

S’agissant du niveau d’exécution des dépenses d’investissement, le CNT révèle que sur les 36 départements ministériels et/ou institutions du gouvernement, aucun n’a atteint 100%. Pire, 10 ont un niveau d’exécution de moins de 50% ; 11 se trouvent entre 50 et 75% ; 16 ont un niveau d’exécution supérieur à 75%. « Il est à noter que le Secrétariat général du gouvernement, sur une allocation de 5 milliards de GNF n’a, à date, rien exécuté. »

Selon elle, de cette analyse, il ressort une disparité énorme entre les taux d’exécution des départements. Pourtant, ils sont tous soumis au même code de passation des marchés publics. 21 sur 37 départements (plus de la moitié), ont un taux d’exécution inférieur à l’objectif minimum annuel qui est de 75%. Ce qui affecterait sérieusement le niveau d’exécution global des dépenses d’investissement, selon l’organe législatif transitoire qui invite le gouvernement « à améliorer considérablement le niveau global des dépenses d’investissement, en vue d’assurer un développement durable » du pays.

« Gérer la galère »

Dans le but de rationaliser les dépenses publiques et renforcer les organes de Contrôle, lutter contre la corruption, le CNT exhorte d’améliorer significativement la dotation budgétaire de l’Inspection générale des finances, l’Inspection générale d’État, l’Agence de lutte contre la Corruption et la Cour des comptes…

S’exprimant au nom du pool financier du gouvernement, Lancinet Condé, le ministre du Budget, s’est engagé à prendre en compte des 32 nouvelles recommandations des conseillers nationaux. Pour lui, le gouvernement doit « gérer la galère. Il n’y a pas de bonne solution pour gérer la galère. Il ya peu de ressources et beaucoup de dépenses. Il faut prioriser et envoyer un peu sur chaque objectif afin de rester robuste et de maintenir l’équilibre. » Il a promis que si les ressources augmentent, les efforts monteront aussi.

Abdoulaye Bah