Six mois après les inondations meurtrières provoquées par le passage de la tempête Daniel et la rupture de deux barrages en amont qui ont détruit en partie la ville de Derna en Libye, les survivants tentent de se relever. France 24 a recueilli le témoignage d’Atiyah Alhasadi, recapé de la ville meurtrie. 

Il y a un peu plus de six mois, la ville de Derna, dans le nord-est de la Libye, était submergée par les eaux après le passage de la tempête Daniel. Le 10 septembre 2023, elle a entraîné la rupture de deux barrages en amont provoquant une crue de l’ampleur d’un tsunami.

Les inondations meurtrières qui en ont découlé ont tout emporté sur leur passage et fait plus de 4 300 morts et plus de 8 500 disparus, selon des chiffres de l’Unicef et de la Banque mondiale. Dans un rapport publié en janvier, cette dernière a estimé le coût total de la catastrophe à 1,57 milliard d’euros, alors que certaines zones de la ville ont été littéralement rayées de la carte.

Aujourd’hui, alors que des corps sont encore retrouvés dans les décombres, les survivants, eux, peinent à se relever bien que les travaux de déblaiement et de reconstruction se poursuivent dans les quartiers partiellement touchés.

Début janvier, les résultats de l’enquête judiciaire locale avaient pointé du doigt la fragilité des barrages qui ont cédé dans la nuit du 10 au 11 septembre et la négligence des responsables de la gestion des eaux qui a mené à une catastrophe qui aurait pu être évitée. Le procès des responsables visés dans l’enquête a débuté cette semaine.

De son côté, Amnesty International a publié, lundi 11 mars, un rapport dans lequel l’ONG dénonce le manque d’équité dans l’accès aux indemnisations et appelle à des enquêtes approfondies sur la responsabilité de puissants acteurs militaires et politiques.

Un appel qui risque de ne trouver aucun écho dans un pays plongé dans l’instabilité politique au terme d’une décennie de violences qui a suivi la chute du régime dictatorial de Mouammar Kadhafi le 20 octobre 2011.

Pour en savoir plus sur la situation dans cette ville meurtrie, France 24 a recueilli le témoignage d’Atiyah Alhasadi, astrophysicien et assistant d’enseignement au département de physique de l’université de Derna.

France 24 : Vous étiez sur place lors des inondations provoquées par la rupture des barrages. Pouvez-vous nous raconter cette nuit-là ?  

Atiyah Alhasadi : Cette nuit-là, je surveillais l’avancée de la tempête Daniel et sa trajectoire. J’étais dans la rue, dix minutes avant que l’électricité ne soit coupée. Je me suis alors précipité chez moi pour chercher une lampe torche. Sur place, j’ai vu ma maison se remplir d’eau en une seconde, tandis qu’une multitude de choses arrachées et entraînées par la puissance des eaux venaient percuter le bâtiment, comme des arbres et des voitures. Avec ma famille, nous avons décidé de nous échapper par les escaliers pour nous réfugier sur le toit de la maison. Il faisait très sombre, mais à chaque fois que nous étions éclairés nous nous sommes crus au milieu de l’océan. À chaque éclair nous avons vu des maisons s’écrouler, des débris, des gens, des corps être emportés dans la vague des inondations, c’était horrible. Cette nuit-là, beaucoup de gens à Derna pensaient que le jour du jugement dernier était arrivé.

Six mois plus tard, où en sont les efforts de reconstruction dans les zones dévastées ?

Les zones entièrement dévastées sont toujours privées de tout, et presque aucun processus de reconstruction n’y est en cours. Par contre, les services basiques comme l’électricité et même l’eau ont été restaurés dans des quartiers partiellement touchés par les inondations. Des efforts de réhabilitation sont en cours dans ces quartiers relativement épargnés, que ce soit au niveau du nettoyage, du réseau internet et de la restauration du système routier. Ces derniers mois, j’ai vu des entreprises libyennes lancer des travaux de reconstruction d’écoles, de cliniques, de rues et de trottoirs. Il y a également des bâtiments touchés par la catastrophe en chantier. Parallèlement, il y a des entreprises égyptiennes qui sont chargées de reconstruire d’un pont et de la route principale de la ville de Derna.

Dans quel état d’esprit se trouvent les habitants de Derna ? Comment vivent-ils cette situation ?

Aujourd’hui, Derna vit à l’heure du ramadan. Sauf que cette année, les habitants ont entamé ce mois sacré avec des sentiments mitigés. Ils sont évidemment très heureux de se retrouver en famille, mais ils sont aussi très tristes parce qu’ils pensent à tous ceux qui ne sont plus là, à toutes les personnes qu’ils aimaient et qui ont perdu la vie dans la catastrophe. Ce n’est pas facile à vivre, d’autant que cette population n’a pas été épargnée et a vécu beaucoup de traumatismes en un peu plus d’une décennie. Après avoir souffert des affres de la guerre contre le régime de Kadhafi, et de la prise de contrôle de leur ville par l’organisation État islamique, qui a duré un an, jusqu’en juin 2015, et les combats qui s’en étaient suivis, ils ont subi cette inondation meurtrière. De nombreuses familles ont été endeuillées durant ces évènements qui ne sont pas sans conséquence sur la santé mentale. Et c’est l’un des autres problèmes majeurs auxquels il faut répondre. 

Par France24