Il faudra un jour que les Guinéens se départissent des excès de fierté nationale et scrutent davantage leur passé pour un avenir assez proche de la réalité. Jusque-là, les conditions d’accession du pays à l’indépendance ont appartenu à « la vérité historique immuable » du PDG. Tout tourne autour du courage, de la clairvoyance et de la perspicacité du Responsable Suprême de la Révolution, l’artisan grandeur-nature de l’indépendance et de la liberté de « la Guinée fière et jeune ». Les timides recherches « ne peuvent s’apparenter qu’aux activités subversives d’anti-Guinéens primaires au service de la contre révolution.»

On aura certainement l’occasion de mesurer à leur juste valeur les qualificatifs dont sera affublé l’ancien ambassadeur du Sénégal en Guinée, Makhily Gassama, qui avait accueilli Alpha Condé peu après qu’il a grimpé le mur du stade de Coléah pour sauver sa tête des matraques de la police. Alpha n’avait d’autre choix que franchir le mur du son, sachant que le moindre retard, la moindre hésitation le mettraient entre les mains d’Alassane Condé, le patron de la Décentralisation de l’époque qui ne faisait mystère de sa détermination de montrer à son mentor de Fory Coco que « quand deux Condé se poursuivent, Alpha se mettra forcément à l’infinitif. »

Cependant, l’ambassadeur Gassama, lui, aura fait œuvre de salubrité publique. Il a su braver mensonges d’État et manipulations politiciennes pour établir, pour rétablir les faits : « J’ai servi en Guinée comme ambassadeur du Sénégal de 1989 à 1993. J’ai toujours dit et écrit qu’il y a, dans l’histoire de l’indépendance de la Guinée, une zone d’ombre que nos chercheurs, nos historiens, nos politologues doivent éclairer avant la disparition des principaux témoins : les circonstances exactes dans lesquelles la rupture fut fatale entre la Guinée de Sékou Touré et la France du Général de Gaulle. Tout s’était détérioré en quelques maigres heures. Les deux parties savaient que Sékou Touré ferait voter le «Non» au Référendum du 28 septembre 1958 et qu’il était libre de le faire. Donc ce n’était pas le vote intentionnel du «Non» qui avait créé ce violent court-circuit politique qu’aucune des parties n’avait vu venir. Sékou Touré avait bien soumis son discours à Pierre Messmer pour avis, et lui avait remis une copie pour le Général de Gaulle bien avant le fameux meeting. Les amendements de Messmer étaient bien acceptés par l’auteur. Le Général de Gaulle avait-il lu le texte de Sékou Touré ? Nul ne sait.

Aujourd’hui, il est établi que non seulement Sékou Touré avait mémorisé ce discours historique du 25 août 1958, mais il s’était aussi exercé devant un miroir pour en maîtriser la gestuelle et parfaire la mise en scène. On sait surtout qu’il ne l’avait pas écrit de sa main. Venant du Parti qui ne manquait pas de cadres nationalistes, l’œuvre était plutôt collective. Dans sa volonté de puissance absolue, le Secrétaire Général du PDG qui négociait en sous-main avec le Général de Gaulle au profit d’un certain Félix Houphouët Boigny, a tiré toute la couverture de son côté. Pour se taper l’exclusivité entière, les témoins ont payé de leur vie au camp Boiro. La boucle soit bouclée en silence. Et puis, plus rien  !

DS