Le célèbre animateur de la célèbre rubrique Chronique Assassine, Williams Sassine, est décédé le 9 février 1997. Chaque année, en souvenir de sa disparition, nous publions une de ses chroniques. Pour cette année, voici sa chronique du 20 janvier 1997, publiée dans Le Lynx N°252.

Bon, c’était le mois de jeûne. On peut ne pas être d’accord, parce que le Guinéen lui, jeûne toute l’année. Un repas par jour. Et quel repas ! Pas de quoi remplir un œuf, en calories. Ça se voit même sur les terrains. Quand un de nos joueurs tamponne un étranger, c’est lui qui embrasse le gazon. Wallahi !

Mon ami ne voulait pas m’écouter. Il était prof à poly, et gagnait moins qu’un petit cireur de chaussures. Il voulait jeûner. Soit ! Par obligation religieuse. Soit ! Par obligation alimentaire. Soit encore ! Sa «mammifère», pour maigrir, ayant fermé la marmite pendant la journée. Nous étions au premier jour de l’abstinence. Et il n’était que 10h30. Et je l’ai vu passer, penché d’un côté, le dos voûté. On aurait dit un navire prêt à sombrer. Et effectivement il sombra un peu plus loin sur un tas d’oranges, parmi les cris de vendeuses aigries, que même le service d’hygiène n’osait affronter.

Bien fait pour lui ! Je me suis remis à siroter ma boisson, loin de la publicité Cocasse Cola, le poison qui salit à mort les habits. En écoutant le dernier morceau d’un compatriote qui se plaignait qu’on ait foutu à la porte des africains, de la France. Bien fait ! Ces gens-là croyaient qu’en couchant avec les européennes, ils auraient la queue blanche. Ça leur apprendra à rester avec leur cul-ture.

Bien fait pour moi ! Je me demandais comment payer ma facture, de notre célèbre courant qui nous fait voir des vents de sable à la télé et nous fait entendre le silence à la radio. Il n’a que faire la force et la volonté de faire tourner le compteur. Incapable de mettre en marche le frigo. Sidya Sodia, tu peux venir vérifier, si tu n’as pas peur de te casser un membre dans un trou de moustiques. Ce n’est pas grave ! Ça n’arrive qu’aux vivants. Dans le pays, seuls les morts sont heureux. Pas de loyer, aucun risque d’aller se faire tuer dans un hôpital ou dans une pharmacie. Pas d’impôts, pas de convocations, aucune hantise de la montée des prix, ni celle de rencontrer des bandits, ni celle de ne pas faire partie d’un remaniement qui ne remanie que lui-même. Le paradis quoi !

Bien fait pour notre Hono-Riche Cosaque ! Celui qui sous le coup de l’émotion disait il y a un an ou plutôt essayait, et finalement finit par assurer que «moi, je ne chuis pas polilitotolologue». Quelques jours après, des obus tombèrent pour réveiller notre Fory. Et il nomma un premier minus-tre qui lui, clame qu’il est venu pour faire seulement de l’économisme, parce qu’il n’est pas politicien. Sa sincérité et sa naïveté, nous émeuvent. Bravo-Sodia ! Tu ignores peut-être que tout ce qui vacille ailleurs, tombe ici. Les réfugiés, la démocratie, les dons avariés…

Bien fait pour les ânes de Kankan ! Avant 75, c’était bon, c’était beau. Les ânes étaient attelés aux charrettes, comme à Saint-Louis du Sénégal. Et puis…Cheytane est venu. Satan n’aime pas les ânes. Il paraît. Alors on les mangea. Aujourd’hui un vrai âne n’ose pas s’aventurer à Kankan. Chat ne fait rien ! Nous aurons d’autres ânes. Bien fait pour moi ! Je pensais à tout chat, ma tête entre les mains d’un coiffeur. Je lui avais demandé de couper très peu les cheveux. Mais deux heures, que ça durait l’opération. Je comprenais le type. Il n’avait qu’un client par jour. Soit 500 francs ou un demi-dollar. Quand le client ne venait pas, il se coiffait lui-même avec acharnement et un certain narcissisme. Le miroir était un héritage, alors il fallait qu’il serve. Je l’ai écouté, et j’ai commencé à comprendre que s’il y a des miroirs pour le corps, il n’y en a pas pour l’esprit. Regardez certains de nos dirigeants se mirer à la télé. Dalaba, c’est trop loin, et ça fait trop «Caisse de résonance». Pourtant, il y a beaucoup de fonctionnaires qu’il faut régler, comme un moteur. Sinon, pourquoi créer un «garage du gouvernement» ? A Fakoudou !

Quelqu’un racontait : «Je ne comprends rien. Mais alors plus rien ! Quand tu amènes un type à la police, c’est toi qui paies. Parce qu’on te dit, si c’est un voleur, c’est parce qu’il est pauvre et s’il t’a volé monsieur, c’est parce que tu es riche. Alors, on t’emmerde. De l’argent, de l’argent ! Toujours de l’argent ! Ensuite, il faut inviter dans un maquis, l’agent qui a fait le pévé, en buvant à ta santé, il va plaider pour ton voleur. A Fakoudou ! Et ce n’est pas fini mon frère. Il faut après nourrir ton malfaiteur, sinon on le relâche. Mais le plus grave, c’est quand une pute te convoque. Automatiquement elle a raison. Ça m’est arrivé le mois passé. J’ai négocié avec une gourgandine. Pour la nuit, elle voulait 4 500 francs, le tarif syndical, quoi ! Quand je lui ai réveillée le matin, elle voulait 50 000 francs avant de partir, soi-disant qu’elle est mariée et nourrice. J’ai refusé. Alors elle est partie au commissariat. On lui a donné raison. Il paraît que c’était le mois de la femme, que je suis un salaud et patati…Hé kèla ! Je ne comprends rien avec nos policiers». A Fakoudou !

Billet

Un chat m’a conté                                

Je suis un chaudronnier

Mais il n’y a plus rien à mettre dans les marmites

Je suis chaudronnier, mais personne ne veut plus marcher

Je suis un étudiant, mais personne ne veut plus m’étudier

Alors j’ai coupé

Ma route trop longue, ma langue trop pendue

Mes pieds trop curieux

Mon jeûne trop avide

Mes études trop alarmantes.

Par Williams Sassine