C’est par un matin ténébreux de 09 février que le rabougri Lynxassassin nous a faussé compagnie. Vingt-six ans qu’il a foutu le camp. Se barrer. Se casser. Se tirer. Sans aucun frémissement dans un bled qui le renie. Pendant toute sa vie, tirant le diable par la queue, c’est dans l’amertume qu’il a fini. Sa petite taille, son petit corps menu, ses lèvres fouettées de liqueur récalcitrante nous auront régulièrement craché son venin d’impie. Jamais il n’a voulu se soumettre à la frilosité de ces intellos en agonie. Les tranchantes de Thiâ’nguel auraient été du pipi de chat à côté de sa verve impolie. Ces mordantes seraient peu piquantes pour sûr qu’elles seraient passées comme de vénérables courtoisies. Par son nom, la chronique assassine est baptisée. Par son nom, cette page du Lynx a été célébrée. Par son nom, nos lanternes ont été éclairées. Sous sa plume, nos maux ont été tancés par les mots dont il les a fait danser. Par le bout de sa plume acérée et aiguisée, la satire a dansoté. Tous ceux qui se sont succédé sur cette page ne seront que de petits imitateurs d’un style beaucoup trop fêlé. Sassine n’était pas seulement un écrivain inspiré. C’était le marionnettiste de l’ironie enfiévrée. Le fantaisiste des mots dans une simplicité déconcertée. Quand il se foutait de ta gueule, tu te surprenais à te fendre la poire devant ta bêtise révélée. Le magicien de la moquerie, l’enchanteur de la raillerie qui crée chez sa cible, non pas haine et douleur palpées, mais une pleine admiration saluée. Quand Sassine se moque de toi, t’y trouves une esthétique enchantée. En lui, vibrait l’arrogance du talent et l’insolence de l’inspiration décuplée. Métaphores et allégories enchâssées, feintes de sous-entendus manipulés, fentes d’implicites balisées, la franchise de l’écriture n’a jamais accouché en Guinée d’autant de vitalité et de virtuosité.

Et moi, merde ? Des années que je tâtonne, allant et venant, mâchonnant mes phrases toutes faites. Je me triture le cerveau en compote pour pisser mes phraséologies bêtes. Laissant pousser mes cheveux, espérant qu’au détour d’une touffe je pourrais chiper à mon père spirituel une fibre de sa tête. Quand quelques âmes égarées me titillent l’ego en me comparant à lui, je fais dans mon froc à l’idée de leur comparaison pas nette. Williams Sassine était le seul écrivain qui vomit autant de saletés teintées de beauté pimpante. Comme on dit souvent, c’est toujours les meilleurs qui s’en vont les premiers, dans une allure très peu élégante. Connasse de mort avec ses drôles de priorités, dans une Guinée remplie de salopards à faucher à la vitesse d’une fusée pétante. Elle regarde toujours dans la mauvaise direction et éteint trop souvent des lumières génialement éclairantes. Nous aurons à peine aperçu son étincelle vacillante que la faucheuse s’est empressée de jouer la vipère rampante. De là il doit être, c’est entre autres un Fory Coco heureux qui doit profiter de ses muses cinglantes. En ricanant sur le rebord d’un ciel guinéen agité, sa plume frétille de mille proses sonnantes. Entre un pouvoir de vidasses et une opposition branlante, qu’est-ce que nous nous serions gavés de ses rafales amusantes.

Très tôt, comme une prémonition, il avait senti notre départ en couille. Ainsi, voulait-il s’engager dans la lutte avec les armes qui sont les siennes. Que disait-il déjà ? Il disait, je cite : « Le monde va mal, tant pis ! Tant pis ! J’irais seul au combat. Seul, dressé sur mes jambes séniles, je monterais à l’abordage des sanctuaires de la peur et de la tyrannie. Seul, je déclencherai l’intifada, mon intifada à moi. Féroce, cruelle, implacable. Avec à la place des pierres, les mots. Mon bic sera ma fronde, et les mots mes pierres. Oui ! Les mots, mille mots, vivants, bavants, croustillants, des centaines de milliers de mots mal équarris, non aseptisés, des mots non désinfectés, les mots porteurs de VIH. Un geyser de mots, avilissants, infamants. Un déluge de mots, orduriers, putrides, violents, virulents, vilains, vipérins, volcaniques, vrombissants. Tant pis ! Et alors j’irai seul au combat. Avec les mots et leur énergique vibration, leur pollution sonore, leur furie nucléaire, apocalyptique. Moi, je ne suis ni écrivain, ni nouvelliste, ni chroniqueur, ni même un simple globe-trotter de la plume. Moi, je suis le simple messager du désespoir qui, haut perché à la cime brumeuse de ses soixante-douze ans, manie un bic harponneur, crachant vitriol, curare et arsenic que dans le flot bouillonnant d’une haine intense et mousseuse ». Fin de citation.

Putain de Williams Sassine ! Je ne pourrais jamais mieux dire. Si je l’ouvre après lui, c’est pour médire. Finir comme un vulgaire imitateur qui joue de la parodie pour ne pas périr. C’est par ses mots que je cherche à frémir, essayer de tenir la promesse d’une résurrection que je dois, continuellement, assainir. Pardon, papa, pardon cher père, pour n’avoir pas su honorer le serment de la douleur et de l’humiliation à bannir. Je jure de renouveler fidélité à ton insoumission et à ta transgression. En attendant d’étoffer ce fil ténu de la rébellion, je ferme ma gueule et je dégage !

Soulay Thiâ’nguel