Après avoir déposé Alpha Grimpeur, le 5 septembre 2021, le colonel Mamadi Doum-bouillant n’avait qu’à tenir des sélections libres, transparentes et démocratiques en vue d’un retour rapide à l’ordre constitutionnel. Mais il a opté pour la refondation, en deux ans, d’un État sexagénaire. Un véritable challenge, en même temps un concept fourre-tout.

« L’instrumentalisation de la justice », « le piétinement des droits des citoyens », « la gabegie financière », égrenait le colonel Doum-bouillant dans son premier discours, « ont amené l’armée républicaine à prendre ses responsabilités vis-à-vis du peuple de Guinée ». Il s’engageait donc à gouverner autrement, notamment à faire de « la justice la boussole de la transition ». Un an et demi après, où en est la refondation ? Avec dix-huit Guinéens tués par balle lors des manifs depuis juin 2022, le CNRD est bien parti pour battre le record macabre (la deux-centaines de victimes en onze ans) de la gouvernance Grimpeur. Les survivants sont jetés au gnouf, sans procès : Foniké Menguè, Ibrahima Diallo, Billo Bah ; ou forcés à l’exil : Sékou Koundouno, Abdoulaye Oumou Sow…

On avait reproché à l’Alphagouvernance d’être foncièrement « maninkanisée ». A son arrivée, le colonel Doum-bouillant avait tenu l’opinion en liesse avec des décrets de nomination par groupe de quatre. Pour meubler le gouvernement (Mohamed Béant), il était nommé chaque soir quatre ministres, issus des quatre régions naturelles du pays. Et tout le monde s’était empressé d’applaudir l’inédite gestion équilibrée, inclusive de la transition. Sauf que les véritables leviers du pouvoir sont tenus aujourd’hui par la même communauté, celle du Prési du CNRD. Pour s’en convaincre, ci-après un mesquin décompte : le chef de l’Exécutif est Mamadi Doum-bouillant ; celui du Législatif, Dansa Courroux-mât. Djiba Diakité et le colonel Amara Cas-marrant sont respectivement ministres directeur de Cabinet et Secrétaire gênant à la Présidence.

Pour le gouvernement, itou ; les ministères clés sont tenus par des fils de la communauté du Chef : Défense (Aboubacar Sidiki Camara alias Idi Amin) ; Administration du trottoir (Mory Condé) ; grises Mines (Moussa Magass) ; Economie et pitances (Moussa Cissé) ; Affres étranges (Morissanda Kouyaté…) Les régies financières de l’Etat, pareil : impôts, douane, Banque centrale… Mais comme népotisme n’est pas assurances tous risques, à Kankan, ça bouillonne ces jours-ci.

Si Alpha Grimpeur a échoué sur le plan de la gouvernance démocratique, son héritage en termes de production énergétique est indéniable. Il a réalisé les complexes hydroélectriques de Souapiti (550 mégawatts) et de Kaléta (240 MW), avec près de 1, 600 milliards d’euros. Cela ajouté à la production des centrales thermiques avait permis d’assurer une fourniture plus ou moins stable de l’électricité à Cona-cris et dans certaines parties de la Basse et Moyenne-Guinée. Les rares localités restées dans le noir, comme Goléah (Kindia), devaient s’en prendre aux sorciers, rappelait le ministre de l’Energie d’alors. Venant d’un Cheick, doublé de Taliby, l’alibi parfait était trouvé. Quant à Kankan, le PM Cas-Sorry Fofana avait dit à qui voulait l’entendre que le projet d’électrification du Nabaya était mort avec le partenaire chinois. Quand la Refondation peine à gérer les acquis (les coupures de courant reviennent de plus belle à Cona-cris), lui demander de ressusciter le mort relèverait de l’absurde. Les manifestants nocturnes de Kankan ne sont décidément pas…éclairés !

Diawo Labboyah