L’expulsion de la Guinée, le 14 janvier, du journaliste français, Thomas Dietrich, venu  recouper des informations sur des présumés détournements de fonds publics à la SONAP, la Société guinéenne des pétroles, aura été, pour le niveau réel de la liberté de presse et d’expression, ce qu’est le thermomètre pour la température. Ce n’est nullement une première, encore moins une dernière. 

Il est courant d’apprendre par les médias l’interpellation, la garde à vue, l’expulsion, l’assassinat, la disparition de journalistes. A chaque État, sa place,  son niveau, son étage dans l’immeuble de la Liberté de la presse. En 2023, la Guinée occupait le 85è rang sur 180 pays, tous indépendants, libres et souverains. Le  Sénégal trône galamment à la 104è place. La Corée du Nord tire péniblement la queue.

Le problème ne réside pas au niveau de ce que l’on se proclame, de ce que l’on se croit, mais de ce que l’on est. Alors qui juge ? La réalité, le quotidien, le vécu, la praxis, pour parler comme Karl Marx ! L’essentiel pour un État consiste à éviter de se mentir, faire semblant, tricher, se prétendre au 16è étage alors que honteusement blotti au sous-sol.

Aussi, l’expulsion d’un journaliste indique-t-elle un certain niveau de liberté de presse et d’expression. Ne peut être expulsé que celui qui a eu la permission d’entrer. Dietrich avait un visa, une carte de presse ; on le connaissait journaliste, peut-être même enquêteur sur les magouilles de la SONAP. Mais comme l’on  sait, les voies de la corruption sont insondables. A l’époque, murmurait-on dans certains départements ministériels de Conakry, « aucun Guinéen ne peut résister devant un million de francs guinéens. Sauf s’il est maudit. » Maintenant que l’on parle en  milliards, comment mesurer la malédiction en euros pour un étranger, un Français de surcroît ?

« Dietrich a quitté l’hôtel en rigolant »,  rapportent les journaleux qui ont enquêté sur le pauvre enquêteur. Il avait plus d’une raison de le faire. Aké Loba disait que « le Nègre rit pour tromper ses interlocuteurs. » Le Blanc, itou !  A moins que, universel, le rire ne soit sans frontières, ou que le journaliste ait exprimé la fin de ses illusions sur la liberté en Guinée, particulièrement de la presse et de l’expression. Expulsé, un journaliste s’embarque humilié, atterrit adulé. Au faîte de sa puissance, feu Félix Houphouët-Boigny avait su gérer l’adage.

Dietrich a quitté la Guinée en rigolant, les Guinéens réagissent en grimaçant, la mine serrée, les yeux rougis…la colère maîtrisée. Ils ont l’air de ne plus savoir à quelle démocratie se vouer, à quelle charte se référer, quelle boussole consulter, à quelle transition se fier, à quelle tradition recourir. Depuis le 25 août 1958 jusqu’à la transformation de la maison de la presse en prison pour journalistes le  18 janvier 2024, « la porte de la liberté ne s’ouvre toujours pas. » Et pourtant, il n’est pas de politique de développement durable dans un huis-clos aussi permanent. Qui trompe qui ?

Diallo Souleymane