Les maires des différentes communes du pays se préparent à faire face à un sale temps. Le Garde des Sceaux, Alphonse Charles Wright, annonce des poursuites judiciaires contre eux. Décision judicieuse ou populiste ?

L’une des annonces phares de l’adresse à la nation du Président de la Transition, la mise en place des délégations spéciales à la place des exécutifs communaux avant la fin du premier trimestre 2024. Cette mise en place se fait encore désirer. Mais Charles Wright, le Garde des Sceaux, ne manquant aucune occasion pour se faire remarquer, veut déjà mener la vie dure aux futurs ex maires des communes. Comme il sait le faire, il déclare des poursuites judiciaires contre ces élus locaux au nom du principe de la « reddition des comptes ». Le ministre de la Justice enjoint au parquet spécial près la Cour de répression des infractions économiques et financières, Crief, de faire engager des poursuites contre eux, annonce déjà la mesure conservatoire d’interdiction de sortie du territoire et de saisie de biens. Mais a-t-il le droit de les poursuivre avant même qu’ils ne quittent leurs postes ? Oui, répond un spécialiste du droit : « Il en a le droit, à partir du moment où il est le garant de la politique pénale du gouvernement. » Notre interlocuteur n’approuve cependant pas la méthode : « Il n’est pas obligé d’apparaître en public, de faire tout ce cinéma pour de simples poursuites judiciaires. Encore qu’il est en train de mettre tout le monde dans le même panier, alors qu’une décantation s’impose. Tout le monde n’est pas coupable. »

Cet avocat explique que le Garde des Sceaux aurait dû avoir la lucidité de ne s’en prendre qu’à ceux sur qui pèsent un fort soupçon de détournement de deniers publics au lieu d’élargir ces mesures à tous les élus locaux, parce que « tout le monde n’est pas coupable ».

D’ailleurs, même la dissolution du conseil d’une collectivité locale répond à un critère bien déterminé. L’article 80 du Code révisé des Collectivités locales indique que le conseil dont le tiers au moins des membres a été reconnu coupable par le Tribunal de première instance d’avoir commis des crimes ou délits peut être dissous sur proposition du ministre en charge des collectivités locales, donc du Ministre de l’Administration du territoire. Mais là, les autorités de la Transition ont décidé de mettre tout le monde dans le même panier. Cela inquiète bien des concernés. Ils craignent que le pouvoir actuel n’en profite pour régler des comptes : « Ils savent que certaines mairies n’ont même pas d’argent à détourner, elles se débrouillent elles-mêmes à trouver les ressources. Dans ce cas, le gouvernement veut contrôler quoi ? Maintenant, s’ils veulent bloquer les comptes personnels des gens, qu’ils le disent », explique un maire d’une commune de Labé.

L’autre incompréhension, c’est le fait que Charles Wright ignore complètement le rôle de la Cour des comptes dans cette affaire. Selon le Code des collectivités locales, en son article 554: « La Cour des comptes statue sur la gestion financière de la collectivité locale l’année suivant la transmission des comptes par l’une des actions suivantes. C’est à elle de donner quitus au comptable qui a transmis les comptes ou d’engager les poursuites prévues au Code pénal en cas d’irrégularités dans la gestion. »

Le garde des Sceaux semble faire fi de tous ces principes, sans compter qu’il s’acharne contre les maires, alors que le suivi administratif, financier et budgétaire des collectivités locales est assuré au moins une fois par an par les ministères de l’Administration du territoire et des Finances. La Cour des comptes, elle aussi, fait le contrôle a posteriori des comptes des collectivités locales. Charles Wright s’est-il assuré que toutes ces entités ont fait convenablement leur travail ?

Yacine Diallo