Il ne faut pas en avoir honte : tous les pouvoirs cachent ce qu’ils font. C’est pourquoi il arrive souvent au Lynx de confondre gouvernement et goubernement. Mais prétendre que tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil dans une gouvernance fallacieuse relève d’une tragi-comédie grosse de crises multiformes dont résultent forcément mensonge, hypocrisie, haine, démagogie, violences, révoltes, dictature… Excusez du peu !

 Outil efficace, vicieux et honteux de « la limitation de la liberté d’expression par un pouvoir sur des livres, médias ou diverses œuvres d’art, avant ou après leur diffusion au public, » la censure s’est imposée à la Charte de la Transition du CNRD, comme la compagne la plus fidèle de la Guinée « indépendante. » Sous Sékou Touré, elle était infiniment plus facile à manier. Elle ne s’exerçait pas, elle se vivait. Structurée à souhait, elle s’incrustait dans la plus profonde de nos cellules. A l’âge de 7 ans, le Guinéen militait obligatoirement au parti cynique du PDG. Le militant ne censurait pas, c’était lui la censure de la profession. Aussi, le militaire était-il le camarade militant en uniforme dans le secteur de la défense, le journaliste, dans celui de l’information verticale ; le paysan dans la production, pour ne citer que ceux-là ; le tout, harmonieusement moulu dans la délation qu’agrémentaient la lutte acharnée pour la survie, faite de mesquineries, d’envie, de jalousie, de rareté, et que sais-je encore !

Le 3 avril 1984, arrive le système Conté, après le décès dans un hôpital impérialiste de Cleveland, États-Unis, du Responsable Suprême de tout cet univers carcéral à ciel ouvert, le Président Ahmed Sékou Touré, Président-Directeur-Général du Parti Unique éponyme. Adossés au Comité Militaire de Redressement National, Fory Coco et son CTRN réussirent tant bien que mal à fournir aux Guinéens les premières lois applicables à un système démocratique…libéral. La dictature en profita pour échapper à la justice et pérenniser sournoisement ses assises.

Sous le régime de Sékou Touré, tout le monde avait peur de tout le monde. Sous Fory Coco, les Guinéens passent un accord tacite, hypocrite, irresponsable pour avoir peur de leur propre histoire. Aussi, n’ont-ils pas osé solder le passé, contrairement au Rwanda, avec le Tribunal d’Arusha et les gatcha-tcha, ou l’Afrique du Sud et sa commission Vérité et Réconciliation. Sans parler des conférences nationales souveraines qui inondaient le continent à l’issue de la Conférence de la Baule concoctée par François Mitterrand pour retarder des échéances.

Résultat : à la faveur des transitions et des régimes vivables peu ou prou, les Guinéens apprennent à marcher dans un monde qui roule sur les autoroutes de l’information, de la communication, de la mondialisation et que sais-je encore, avec les difficultés d’adaptation que l’on imagine. Comme le malheur ne vient pas seul, sort quelqu’un du CNRD pour convaincre le Général Doumbouya que nous nous sommes trompés de route et d’époque, qu’internet n’est pas un droit, que réseaux sociaux, radios et autres noyaux de communication rapides ne peuvent survivre qu’en griots commandés. En 2024, le CNRD assume par la voix de son ministre du Budget : les Guinéens doivent se féliciter de retourner au Moyen-Âge et par des chemins de traverse. Impossible n’est pas guinéen, mais c’était avant.

Diallo Souleymane