Mamadou Sounoussy Diallo, PhD Socio-Anthropologie, Maître-Assistant du CAMES, enseignant à l’Université Général Lansana Conté de Sonfonia Conakry avait abordé la migration irrégulière guinéenne vers les Etats-Unis en janvier dernier. Notamment la route migratoire, Conakry-Dakar-Istanbul-Nicaragua (…) Mexique-Etats-Unis d’Amérique. Pour la suite de ses recherches, il revient dans cet article sur la vie des migrants aux Etats-Unis. Bonne lecture !

Les migrants sont dans quel type d’emploi aux Etats-Unis ?

Avant de migrer surtout dans une société hautement industrielle comme les Etats-Unis d’Amérique, interrogez d’abord le quoi dont vous êtes capable. C’est une question déterminante pour vivre et travailler aux Etats-Unis. Parmi les migrants qui réussissent à trouver un emploi, figurent en bonne place les techniciens de surface. Les emplois qui sollicitent de la main d’œuvre sont : les métiers du bâtiment (plomberie, électricité, maçonnerie, carrelage, menuisier, charpentier métallique, soudure, vitrerie), le métier de transport, particulièrement celui des poids lourds. Mais les migrants guinéens vont souvent sans aucune qualification demandée par la société d’accueil. Cette précarité de qualification plonge ces intéressés dans une situation incertaine. Ces activités citées ci-haut demeurent les plus accessibles aux sans-papiers et leur rémunération serait directe, explique un migrant. Pour survivre, tous les moyens légaux sont bons. Selon un nouvel immigré guinéen, « pour vivre, nous sommes obligés de sous-traiter avec les anciens. Pour cela, nous louons les applications de livraison des commandes à domicile ou au lieu de travail, car tout est électronique ici ! Apprendre et maitriser ces applications est d’ailleurs une autre épreuve inévitable. Le payement de la location de l’application se fait après la prestation, car leurs propriétaires disent que les jeunes guinéens n’inspirent pas confiance ». Cette location s’effectue aussi au risque et péril du migrant, car les recettes sont électroniquement versées aux propriétaires de l’application de livraison et parfois des compatriotes propriétaires de ces applications refuseraient ou rendraient quasiment impossible au prestataire d’avoir son petit revenu. Dans ce cas, le migrant n’a nullement où se plaindre à cause de sa situation irrégulière. Cela aussi est une autre forme d’injustice qui ne dit pas son nom. Il faut cependant préciser qu’il y a des patrons (propriétaires d’application) qui sont des bons samaritains, qui payent intégralement les gains des migrants bricoleurs.  

Les diplômes les plus sollicités sont : les ‘’Healt care’’ qu’on appelle en Guinée, les aides-soignants regroupant (les agents techniques de santé, les infirmiers, les sage-femmes, etc.) Ce sont des emplois qui paient et où il y a une forte demande de la main d’œuvre. Les emplois de cadre supérieur demeurent un luxe. Il faut avoir un bagage intellectuel très dense pour espérer entrer dans le pré carré de l’élite américaine. Malheureusement, les migrants, notamment ceux en provenance de la Guinée, sont pauvres en qualification. Ils sont essentiellement composés de sans diplômés ni qualification ou tout simplement titulaires de diplômes en déphasage avec les besoins du marché de travail du pays d’accueil. Ce déphasage s’explique par le contenu, l’approche pédagogique, l’absence du bilinguisme, la mauvaise gouvernance et le management déficient du système éducatif dont ils sont issus.

En Guinée, les observateurs sont unanimes que la pyramide de la formation est renversée, il y a plus de sortants d’universités que de cadres techniques et professionnels bien formés. Cet écart entre le profil des migrants guinéens et les réalités du marché du travail américain crée chez bien d’entre eux une situation de déception et de désillusion. Selon nos interlocuteurs, plusieurs migrants guinéens se trouveraient dans cette situation où l’enthousiasme du mirage américain se transforme vite en désillusion ou en cauchemar. C’est le propre de tous ceux et toutes celles qui ont vendu toutes leurs propriétés (maisons d’habitation, terrains nus, boutiques/magasins ou ont contracté des prêts, etc.), pour aller réinventer la roue de leur vie en immigrants aux Etats-Unis. La nouvelle vie américaine devient un véritable cauchemar, surtout pour les couples qui ont réussi à immigrer avec toute leur famille souvent composée de mineurs. Elle devient plus compliquée pour les migrants ayant un âge relativement avancé et qui vivaient une vie relativement stable avant leur départ mais qui se retrouvent dans une nouvelle situation avec un lendemain incertain.

Le statut des migrants et le pourquoi de cet engouement ?

Le statut des migrants guinéens aux Etats-Unis doit inquiéter plus d’un. A ce jour, parmi les migrants qui entrent aux USA, seule une catégorie est épargnée. Il s’agit des sujets avancés qui sont les personnes du troisième âge. Les mineurs, (les bébés de moins d’un an) se retrouvent devant une situation qu’ils n’ont pas sollicitée. Nos enquêtes à Conakry, passant par Dakar, Istanbul, Salvador, Nicaragua, Mexique, Etats-Unis confirment bien la surreprésentation des mineurs non accompagnés et les jeunes bras valides qui constituent les actifs économiques et l’avenir du pays.

Autre situation inquiétante, c’est la forte présence des Guinéennes parfois en grossesse ou enfant au dos dans la scène migratoire irrégulière vers les Etats-Unis. Contrairement à beaucoup de données qui circulent sur l’âge des migrants qui situent celui-ci entre (18 et 35 ans), les données collectées au départ, durant le trajet migratoire et à l’arrivée situent la moyenne d’âge entre 14 et 35 ans pour les deux sexes. Sans compter les bébés des migrants en couple ou non. Nous nous sommes aussi intéressés à l’origine ethnico-régionale des migrants guinéens aux Etats-Unis. Sans surprise, la communauté peule du Fouta-Djalon est de loin la plus représentée, d’ailleurs la plus surreprésentée. Elle est suivie par les ressortissants de la Haute-Guinée, la Basse-Guinée et de la Guinée-Forestière. Ainsi, c’est toute la Guinée qui est touchée par le virus de la trajectoire migratoire : Conakry-Nicaragua-Honduras (parfois Salvador)-Guatemala-Mexique-Etats-Unis.

Les non-dits de l’ouverture des frontières américaines et de l’affluence des migrants

Les flux migratoires vers les Etats-Unis en provenance des pays en développement notamment de l’Amérique Latine, de l’Asie et de l’Afrique amènent à s’interroger sur les non-dits ou les dessous de cette ouverture aux immigrés de la société et des autorités américaines. Nos enquêtes auprès des anciens immigrés ont abouti à certaine conclusion. Le vieillissement de la population américaine sous l’effet de l’application de la politique de Robert Karl Malthus, père de la théorie de limitation des naissances et de la régulation démographique. Ce qui a conduit la société occidentale notamment américaine à faire appel à la main d’œuvre active étrangère. Selon un enquêté, il ne fait l’ombre d’aucun doute qu’en prenant aujourd’hui le secteur de l’armée, l’Etat américain, engagé dans plusieurs fronts, est confronté à une pénurie en matière de recrutement de soldats. Selon cet interlocuteur, les Américains de souche rechigneraient de plus en plus à s’engager dans les forces armées et aller opérer dans certains fronts qu’ils jugeraient inopportuns et insensés.

Ainsi, plusieurs migrants sembleraient accepter volontairement le service militaire américain en contrepartie de la régulation de leur situation administrative. Le recrutement dans l’armée américaine des immigrés s’est posé devant le Congrès. Le projet serait porté par deux députés du Congrès américain (un Républicain et un Démocrate). Le fait surprenant : les deux camps sont arrivés à un compromis : faciliter un accès rapide à la citoyenneté pour les migrants qui acceptent de servir dans l’armée américaine. Un autre interlocuteur a tenté de donner une explication à ce que certains citoyens américains appellent l’invasion de leur pays par les populations du Sud. Pour lui, il est difficile de comprendre la bonne foi des autorités américaines liée à cette large ouverture des frontières aux vagues successives de migrants en provenance des pays en développement. Il fonde son analyse sur certaines variables ou hypothèses :

Première hypothèse, cette ouverture des frontières américaines pourrait s’expliquer par le fait que les Américains avaient été durement frappés par la pandémie du Covid-19, tuant de milliers de personnes. On parlerait de plus d’un million d’Américains morts à la suite de la pandémie du Covid-19. Deuxième hypothèse, les Américains seraient longtemps restés dans l’esprit de la théorie de Malthus, ils ne se reproduisent presque pas, la population serait donc vieillissante. D’où une crise, sinon une rareté de la main d’œuvre qu’il faut à tout prix renouveler. Troisième hypothèse avancée par notre interlocuteur qui complète les deux premières : pour compenser cette perte en vie humaine et cette rareté de la main d’œuvre, les Etats-Unis ont ouvert leurs frontières aux migrants des pays du Sud. Ne pas le faire, c’est empêcher la marche glorieuse des Etats-Unis vers l’histoire et la conservation de leur hégémonie sur le monde. Une quatrième hypothèse non négligeable est à connotation électoraliste : les Etats-Unis vont vers l’élection Présidentielle, un des camps engagés dans la course serait très favorable à l’ouverture des frontières aux immigrés, pour se faire un vivier de nouveaux électeurs.

Enfin, si aujourd’hui la migration des Sud-américains, des Asiatiques et des Africains est jugée par les uns comme une invasion, selon un primo-migrant, cette attitude serait celle de l’extrême droite qui demeure foncièrement anti-migrants. Il accuserait d’ailleurs le camp d’en face d’ouvrir les frontières à n’importe qui, pour des raisons inavouées. Devant toutes ces difficultés d’intégration de la société américaine, certains migrants guinéens et africains foncent ou continuent leur trajectoire migratoire vers le Canada, notamment le Québec francophone.

L’un dans l’autre, la migration clandestine ou irrégulière coûte de part et d’autre, tant au niveau des pays de départ que des pays d’accueil. Il est donc temps de se pencher sérieusement sur cette problématique de notre époque.

Par Mamadou Sounoussy Diallo

PhD Socio-Anthropologie Maître-Assistant du CAMES

Université Général Lansana Conté de Sonfonia Conakry