La région de Boké, située à plus de 300 kilomètres au nord-ouest de Conakry, a été érigée en Zone économique spéciale en 2017. Dans cette région riche en bauxite se déroule l’essentiel de l’exploitation de l’or rouge dont le budget national est en grande partie tributaire. Mais cette exploitation, accélérée depuis 2017, affecte les communautés riveraines et leurs moyens de subsistance. Sans compensation adéquate. L’environnement en pâtit, avec la pollution qui s’intensifie au fil du temps. Les mesures d’atténuation, de réparation, prévues dans les différents plans de gestion sociale et environnementale des entreprises, ne sont pas au rendez-vous. Cette enquête fait partie de la série de 7 articles que  Le Lynx vous propose sur la gouvernance économique en Guinée. Elle est  réalisée avec l’appui d’OSIWA (Open Society Initiative for West Africa).

En 2020, malgré la crise sanitaire due à la pandémie Covid-19, la Guinée s’est hissée à la deuxième place mondiale des producteurs de bauxite. Selon la Banque mondiale, le pays a exporté plus de 70 millions de tonnes, contre 59,6 millions de tonnes en 2018 et 70,2 millions de tonnes en 2019. Rien qu’au premier trimestre de 2020, la Guinée a exporté 21 millions de tonnes de bauxite, selon le ministère des Mines et de la Géologie.

Au total, quatorze sociétés minières (américaine, australienne, britannique, chinoise, émiratie, française, indienne, russe), parfois en consortium, y opèrent. De multiples routes minières et de chemins de fer déversent le minerai rouge aux terminaux maritimes en vue de son exportation, essentiellement vers la Chine, premier producteur mondial d’aluminium. Rappelons-le, la Guinée recèle les plus grandes réserves de bauxite au monde. Selon Emergence Magazine, en 2019 le consortium SMB-Winning (Société minière de Boké) a produit 35,3 millions de tonnes, suivie de la CBG (Compagnie des bauxites de Guinée), avec 13,3 millions de tonnes.

En outre, si ce boom de la bauxite hisse la Guinée 2e au rang mondial, lui permettant ainsi de faire face à ses besoins en financement, les retombées au profit des populations se font attendre. L’environnement et les communautés riveraines paient le prix fort de cette exploitation. «On ne peut pas faire des omelettes sans casser des œufs», dixit Ibrahima Diallo, le directeur préfectoral de l’environnement de Boké. De l’aveu des sociétés exploitantes, la ruée vers la bauxite dans cette région entraîne de nos jours une pollution hors normes. Mais elles affirment mettre en œuvre des mesures de compensation et d’atténuation pour corriger ce manquement au Code minier et au plan de gestion sociale et environnementale. Sauf que sur le terrain, la réalité est tout autre.

Entre les communautés impactées et les entreprises minières, ce n’est plus le parfait amour. Les premières, privées de leurs sources de substance par les activités d’exploitation et de transport minier, n’ont de cesse de dénoncer cette situation. Les secondes, animées par leurs objectifs de croissance «effrénée», se soucient peu ou prou du respect de l’environnement et cherchent à minimiser, voire ne pas respecter, leurs engagements envers les communautés. La pollution dans la région touche plusieurs éléments, notamment les eaux de surface, l’air, le sol, les terres arables. Elle empêche l’agriculture et l’élevage; toutes les entreprises minières dans la région sont comptables, à des degrés différents.

Sans aucun doute, les plus gros producteurs sont les plus gros pollueurs : la SMB-Winning (Société minière de Boké) qui évolue à Malapouya et la CBG (Compagnie des bauxites de Guinée) qui exploite des mines à Sangarédi depuis des décennies. La SMB transporte son minerai par des centaines de camions vers le port de Dapilon, situé dans la sous-préfecture de Kolaboui. Un parcours qui traverse plusieurs villages, avec des impacts divers. La CBG dispose, selon une source proche de la société, de 73 plateaux de bauxite en Basse-Guinée. Mais, la quasi-totalité reste inexploitée à ce jour. C’est la première société d’exploitation à s’implanter dans la région. On trouve ses mines exploitées ou en cours d’exploitation dans plusieurs zones à Sangarédi. Elle draine son minerai par train jusqu’au port de Kamsar pour être chargé dans des navires, direction l’Europe, la Chine et l’Amérique du Nord.

Pollution de l’eau

A Boké, les eaux de surface (rivières, lacs, ruisseaux) subissent directement les méfaits de l’exploitation minière opérée sur les plateaux bauxitiques, situés généralement sur les hauteurs des montages. Pendant la saison des pluies, malgré la crue des cours d’eau, l’eau est imbuvable, alors que les communautés rurales «ne comptent que sur elle» pour boire, se laver et laver le linge. La raison, c’est une eau rouge qui coule dans les rivières. Les eaux de ruissellement qui déferlent depuis les montagnes d’où l’on exploite les mines inondent les culture sur brûlure, les plaines agricoles, les rizicultures et les potagers, puis se jettent dans les rivières, avec des sédiments des mines. «Ce qui fait que cette eau ne peut en aucun cas nous être utile. Même les bœufs qui s’abreuvent là courent des risques. Elle est complètement rouge», regrette Boubacar Bah, enseignant à Boulléré, un district situé à vingt kilomètres de Sangaredji. Et ces sédiments, en forte concentration, provoquent l’assèchement des cours d’eau dès le début de la saison sèche. Selon Mamadou Moustapha Bah, ingénieur agro-forestier, la boue provenant des mines, affecte «dangereusement» les eaux de surface, ce qui fait que l’eau des marigots est «inutile» du point de vue activités domestiques. «Les flots des eaux de ruissellement déracinent les arbres sur leur passage avant de se jeter dans les cours d’eau qu’ils obstruent finalement», regrette Mamadou Saliou Bah, agriculteur et éleveur à Sangaredji. A Boulléré, plusieurs villages sont impactés, notamment Boulléré-centre, Guéguéré, M’Bodi, Kourawel, Paragogo, Mobhi, Lafou, etc. Ces communautés agro-pastorales sont entourées par les carrières de la CBG, COBAD, GAC, entre autres. Elles indiquent que leur survie est «fortement menacée» car ils n’ont plus de source permanente d’approvisionnement en eau potable.

Pendant la saison sèche, la situation devient plus «dramatique.» Les cours d’eau tarissent tôt. Le 18 novembre 2020, deux semaines après la dernière pluie à Sangarédi, nous nous sommes rendus dans plusieurs villages de la localité. A Guéguéré par exemple, les herbes sont déjà asséchées, le feuillage de certains arbres jauni. Plus de pâturage pour les bêtes, pas d’eau dans le petit lac de la zone. A Boulléré-centre, tout près des mines de la COBAD (filiale de Russal), un campement d’éleveurs s’approvisionne en eau à partir de fûts installés dans les mines par la société. Les bergers et leurs animaux boivent cette eau. «Ils ont détruit nos sources, nos rivières, nos lacs, pour nous servir de l’eau dans des fûts. Quel dommage !», déplore Mamadou Saliou Diallo, agriculteur et éleveur. «On n’a pas de forage ou de pompe à pédale. Cette année, avec la chaleur de la saison sèche qui commence, c’est sûr que nous allons trop souffrir, pour ne pas dire mourir de soif. Il n’y aura aucun point d’eau, ni de nourritures. On se demande comment nous allons vivre ?», s’inquiète-t-il. 

Sur les hauteurs de la montagne Bambafakè, où évoluent COBAD et CBG, la source de sept cours d’eau qui forment en aval, la rivière Kéwéwol, est en passe de tarir. Aboubacar Kaba, le directeur du LAE (Laboratoire d’analyse environnementale) au ministère de l’Environnement, des Eaux et Forêts, fait savoir que le transport des sédiments dans les cours d’eau, entraîne leur tarissement par endroits. La raison est que «les têtes de sources sont victimes de dynamitage dans certaines zones. Le tarissement de ces cours d’eau peut être aussi lié au transport du sédiment. S’il y a trop de sédiments dans un cours d’eau, en pleine saison sèche, ces sédiments entassés absorbent l’eau petit-à-petit, au point que les parties situées en aval du cours d’eau vont connaître un certain ralentissement du débit, voire la disparition totale du cours d’eau», affirme-t-il.

A l’image de la disparition du lac Bhoundhou Gayi, où s’abreuvaient autrefois les bœufs, plusieurs ruisseaux commencent d’ores et déjà à stagner. Ibrahima Barry, le chargé des relations avec les communautés au sein de la Compagnie de bauxite et d’aluminium de Dian-Dian (COBAD), avoue que la pollution de l’environnement est réelle. En cause, une canalisation d’évacuation des eaux de ruissellement, mal placée depuis belle lurette. Selon lui, sa société est en train de «réorienter la canalisation» afin d’épargner les cultures, les potagers. La société a installé des digues (canalisations) pour empêcher les eaux de déferler sur les champs situés sur les flancs des montagnes. Mais ces digues, cèdent régulièrement sous la pression des torrents, constate-t-on. Il est à noter que la COBAD dispose trois plateaux bauxitiques dans les environs, avec une production annuelle de trois millions de tonnes. Du côté de la CBG, une source anonyme nous glisse que la société a fait remarquer que la pollution s’est accentuée ces quatre dernières années, mais affirme n’être pas seule comptable de cette situation. Selon notre interlocuteur, la CBG occupe la tête du peloton en termes d’atténuation, de compensation et de restauration du couvert végétal.

«Toute exploitation minière est une profanation de la disposition naturelle. C’est dire que l’on est en train de détruire ce que Dieu a fait. Et cette profanation a des conséquences sur le plan social et environnemental. Mais aussi sur l’économie des communautés impactées, car cet état de fait vient bousculer les activités traditionnelles des communautés : l’élevage, la pêche, l’agriculture», a expliqué Amadou Bah, le directeur exécutif de l’ONG Action Mines Guinée.

A Sangaredi, l’exploitation a totalement changé l’aspect de plusieurs bas-fonds, dont le sol, les pieds des arbres sont rougis, la terre appauvrie. Des dépôts de sédiments amassés par-ci par-là dans les ruisseaux et marigots, obligent le courant de l’eau à changer de direction. «Ce sont ces sédiments qui aspirent l’eau et entraîne l’assèchement des cours d’eaux», a expliqué Mamadou Moustapha Bah, ingénieur agro-forestier. Le BGEEE (Bureau guinéen d’études et d’évaluation environnementale) au ministère des Mines et de la Géologie, est conscient de la pollution. «Le département a mené une étude pour voir quel est le niveau d’exécution du plan de gestion des projets des sociétés minières en exploitation. Il s’est rendu finalement compte que la pollution est réelle. Les sources de la pollution de l’eau, c’est la diversification des routes minières», a précisé Sidiki Condé, le directeur du BGEE.

Yaya Doumbouya