Depuis décembre, les fréquences des radios privées les plus écoutées sont brouillées et le
signal des chaines de télévisions retiré du bouquet Canal+. Une entrave à la liberté de la
presse mal vécue par les auditeurs et téléspectateurs.

C’est une situation que les Guinéens ignoraient depuis 2006, année de lancement des
premières radios privées du pays. Comme autrefois sous la Révolution de Sékou Touré, on
n’entend presque plus que la voix officielle des médias d’Etat. Nombre des radios et
télévisions privées se sont tues : depuis le 24 novembre 2023 pour FIM FM, suivie de Djoma
FM le 27, Espace FM (le 29) et Évasion FM, le 30 novembre du même mois. En une semaine,
les fréquences de tous ces médias ont été brouillées. A la place de leurs programmes
habituels est diffusée en boucle de la musique, notamment la chanson Béni baralé de
Bembeya Jazz qui magnifie la fierté nationale. Mais quelle fierté, sans liberté?

Désinformation et chômage

Conséquence directe sur les emplois : plus de 500 travailleurs envoyés au chômage
technique, parfois pour une durée allant jusqu’à trois mois. C’est le cas d’Espace FM et TV
dont 70% des employés sont concernés. Et l’absence des journalistes dans les rédactions
prive les citoyens de leur droit d’accéder à une information plurielle. Assis dans un café au
quartier Nongo, Abdourahmane Dieng s’informe souvent en écoutant la radio à bord de sa
voiture. «On est à un niveau d’évolution du monde où les gens ont besoin d’être informés,
rappelle ce fidèle auditeur. Et si on n’est pas bien informé, le plus souvent, c’est la
désinformation qui prend le dessus. Tout ce que disent les radios et télévisions n’est certes
pas la vérité absolue, mais elles s’efforcent au moins d’avoir des informations fiables.»

Idrissa Baldé, diplômé en sociologie, est très actif sur les réseaux sociaux. Mais la situation
actuelle l’affecte. «Cela nous impacte. Les journalistes vont à la source de l’information,
alors que sur les réseaux sociaux, tout le monde publie des informations non vérifiées.»
«C’est une décision inacceptable qui viole le droit des citoyens», s’offusque Idrissa Baldé.
Inconditionnel de la radio, il est peiné de ne plus pouvoir écouter ses émissions favorites
Mirador sur FIM FM et Grandes Gueules (Espace FM): «C’était devenu une tradition pour
nous d’écouter les chroniqueurs décrypter l’actualité. La liberté de la presse est un acquis
que les nouvelles autorités ont trouvé en place. Elles doivent revoir cette mesure».

Audience présidentielle

Au brouillage des radios s’ajoute le retrait du signal de Djoma TV, Espace TV et Évasion TV du
bouquet Canal+. Une décision de la Haute Autorité de la Communication, justifiée selon
l’organe de régulation, par « des impératifs de sécurité nationale.» Pour les radios, aucune
raison officielle n’a été avancée pour justifier leur brouillage. L’Autorité de régulation des
postes et télécommunications (ARPT) entretient le silence sur la question, occupée à diffuser
de la musique sur les fréquences muselées.

Dans un premier temps, la HAC saisie par l’Union des radios et télévisions libres de Guinée
(URTELGUI) a affirmé «ne pas avoir plus d’informations» et promis de faire des
investigations. En lieu et place des enquêtes annoncées, elle a plutôt prêté main-forte à la
censure.

Le 18 avril, à l’issue d’une réunion à la Maison de la presse (Minière), les responsables des
associations de presse ont émis l’idée de rencontrer le président de la transition. Histoire
d’exposer à Mamadi Doumbouya la situation que traversent les médias et tenter d’en
comprendre les véritables raisons. A condition qu’il veuille bien les recevoir.

Des médias muselés comme Djoma et Espace continuent de produire leurs programmes et
de les diffuser sur leurs plateformes digitales. Toutefois, pour y accéder, il faut avoir une
bonne connexion internet. Mais l’internet, aussi, n’est plus un droit sous l’ère CNRD.

Diarouga Aziz Balde