La région de Boké, située à plus de 300 kilomètres au nord-ouest de Conakry, a été érigée en Zone économique spéciale en 2017. Dans cette région riche en bauxite se déroule l’essentiel de l’exploitation de l’or rouge dont le budget national est en grande partie tributaire. Mais cette exploitation, accélérée depuis 2017, affecte les communautés riveraines et leurs moyens de subsistance. Sans compensation adéquate. L’environnement en pâtit, avec la pollution qui s’intensifie au fil du temps. Les mesures d’atténuation, de réparation, prévues dans les différents plans de gestion sociale et environnementale des entreprises, ne sont pas au rendez-vous. Cette enquête fait partie de la série de 7 articles que  Le Lynx vous propose sur la gouvernance économique en Guinée. Elle est  réalisée avec l’appui d’OSIWA (Open Society Initiative for West Africa).

Pollution de l’air

Le 18 novembre, il faisait 35°C sur les plateaux bauxites d’UMS à Djoumayah, village situé à une douzaine de kilomètres de la commune urbaine de Boké. L’air est chargé de poussière, le tout dans une chaleur torride, en ce début de saison sèche, d’où l’inquiétude des communautés

riveraines. La pollution de l’air affecte directement la production agricole. Les plantes sont couvertes d’une couche de poussière épaisse, perturbant ainsi le phénomène de fécondation des fleurs. «Dès 10 heures, la nature commence à chauffer à cause des multiples mines qui nous entourent. Pour maintenir l’air pur, il faut la présence de la forêt et les cours d’eau. Or, on ne peut pas extraire la bauxite sans détruire la forêt. Mais si au moins ils restauraient la forêt après sa destruction, cela aurait atténué la pollution de l’air», soutient Mamadou Moustapha Bah, ingénieur agro-forestier. Aboubacar Kaba, le directeur LAE, soutient que les particules de poussière dans l’air empêchent la floraison des plantes. «L’air est très pollué à Boulléré. C’est pourquoi nous sommes régulièrement grippés», a déclaré Boubacar Bah, enseignant à Boulléré.

«La poussière de bauxite n’est pas en soi toxique. Il a cependant été prouvé que l’exposition à n’importe quel type de poussière de particules fines provoque, déclenche ou exacerbe les maladies respiratoires et cardiovasculaires. Les particules de 10 micromètres ou moins (PM10) peuvent pénétrer dans les poumons ou entrer dans la circulation sanguine et entraîner des maladies cardiaques, le cancer du poumon, de l’asthme et des infections aiguës des voies respiratoires inférieures», relève le rapport spécial (2018) de Human Rights Watch, sur les conséquences du boom de la bauxite en Guinée pour les droits humains.

A une dizaine de kilomètres de la commune urbaine de Boké, précisément dans le village de Talowolo, le constat est le même. Ce village est situé sur les flancs d’une montagne, tout près des carrières et des routes de la Société UMS. Dans cet endroit, la route n’est pas goudronnée, la circulation des camions chargés du minerai rouge est très dense. A cause de l’arrosage irrégulier de la piste, les camions soulèvent des nuages de poussière qui polluent l’air. Djibrila Diessa, habitant de Talowolo, explique que «l’air devient de plus en plus irrespirable. Il est lourd dans les poumons et provoque de la grippe.»

Il y a 6 ans Human Right Watch alertait déjà sur cette situation à Kamsar. «Les relevés de référence enregistrés pendant l’EIES de 2014 dans les zones résidentielles situées à proximité de l’usine de Kamsar ont montré que la zone était déjà chargée en particules fines, avec des niveaux moyens de PM10 supérieurs aux recommandations de l’OMS et des concentrations journalières maximales significativement plus élevées». Au ministère, on banalise. «Tout n’est pas rose. Lorsqu’il y a exploitation, il y a pollution», réplique Ibrahima Diallo, le directeur préfectoral de l’environnement de Boké. Ajoutant que plein de mauvaises pratiques ont changé, notamment chez la SMB-Winning, suite à des missions d’inspection «inopinées» du BGEEE.

Nonobstant ces efforts, on se plaint de la situation à Dapilon. «L’air est irrespirable, la chaleur est étouffante. La poussière nous envahit dans les champs, dans la maison. Tout est couvert de poussière, même nos paupières», a indiqué une habitante à Dapilon. Pourtant la SMB-Winning, principale société indexée par les communauté, affirme sur son site internet disposer d’un plan de gestion environnementale et sociale, qui a pour objectif d’identifier les mesures de mitigations additionnelles nécessaires pour mieux gérer les impacts environnementaux et de maximiser la sauvegarde de la biodiversité et les retombées bénéfiques pour les communautés. Amine.

Pollution du sol

La bauxite est une roche latéritique blanche, rouge ou grise, caractérisée par sa forte teneur en alumine Al2O3 et en oxydes de fer. Elle contient des proportions variables d’hydrates d’alumine, de la kaolinite, de la silice et des oxydes de fer qui lui confèrent souvent une coloration rouge. Une des méthodes utilisées pour l’extraction est le dynamitage, dans laquelle des explosifs sont utilisés pour extraire les roches. La mine évolue à ciel ouvert, détruisant le couvert végétal et la protection qu’il offre contre l’érosion. Les sédiments envahissent la zone, de façon plus marquée pendant la saison des pluies, avec les eaux de ruissellement. Conséquence, les nutriments des terres arables sont affectés, la nature des sols changée. Ce qui fait que le rendement agricole s’amenuise progressivement.

Adama Modjo Diallo, paysan à Sangaredji : «En 2013, avant l’implantation des sociétés à côté de mon village, j’avais semé sept kilos de riz, j’avais récolté douze sacs. En 2017, après l’ouverture des mines, j’ai repris l’expérience dans le même champ. Mais je n’ai récolté qu’un sac de riz. La boue rouge a détruit tous les nutriments du sol. Certains arbres fleurissent bien, mais au bout d’un moment, tout tombe. C’est le cas aussi de nos champs.»

Les paysans de Djomaya et de Talowolo, dénoncent les mines à ciel ouvert, exploitées par l’UMS et la SMB, qui «affectent fortement le sol. Les rizicultures et les plantations d’anacardiers ne donnent plus. Le sol est devenu rouge, plus rien n’y pousse. Même les mauvaises herbes n’atteignent pas le sommet de leur croissance car la terre n’est plus fertile», explique Abdoulaye Diessa, du village de Talowolo. Pour Souleymane Bah, ex président du district de Boulléré dans Sangaredji, patriarche du coin, «un forage construit par une société n’est pas égal à nos plantations, à notre cheptel, à nos cours d’eau et sources. Il n’y a plus de pâturage pour nos animaux, le sol est devenu pauvre et rouge. On est obligé de couper des branches touffues pour nourrir nos bêtes.»

Selon Ibrahima Diallo, le directeur préfectoral de l’environnement de Boké, c’est le plan de gestion environnementale et sociale, issu des études d’impact environnemental et social, réalisé par chaque société minière qui devrait être mis en œuvre pour essayer de maîtriser, d’atténuer ou de supprimer la pollution.

Ecosystème déréglé

«Le dynamitage constitue aussi une cause de fuite des animaux sauvages. Un bruit assourdissant entraîne la vibration du sol. En conséquence, les espèces qui sont là vont se sentir menacés, et vont migrer», a affirmé Aboubacar Kaba, le directeur du LAE, au ministère de l’Environnement, des Eaux et Forêts. La dégradation du sol et de la forêt va de pair avec celle de l’habitat des animaux. Avec l’écosystème déréglé, la biodiversité s’appauvrit. Soit par disparition de certains animaux, soit par migration vers des endroits plus réceptifs, adéquats au mode de vie propre à chaque espèce faunistique. Le passage en continue des camions, les ronronnements des engins lourds dans les carrières sont également des phénomènes qui contribuent à la fuite des animaux, car «si ces bruits sont acceptés par les humains, ils font fuir les animaux.» La BGEEE préconise la mutualisation des infrastructures minières, «c’est une priorité» pour limiter la destruction de l’écosystème dans les zones minières, protéger les cours d’eaux, les populations. Selon une source au ministère des Mines et de la Géologie, le REB (Réseau environnement bauxite), créé en 2018 à l’initiative des sociétés minières pour gérer leurs impacts sur la biodiversité, «s’est planté.»

Engagements envers les communautés

Le Code minier de 2011 stipule en son article 130 : «Tout titulaire d’un Titre d’exploitation minière doit contracter une Convention de développement local avec la communauté locale résidant sur ou à proximité immédiate de son Titre d’exploitation minière.» Le même article, précise que l’objectif de cette «Convention de développement local est de créer les conditions favorisant une gestion efficace et transparente de la contribution au développement local payée par le titulaire du Titre d’exploitation minière, et de renforcer les capacités de la communauté locale dans la planification et la mise en œuvre du programme de développement communautaire.» L’alinéa 4 précise : «Le montant de la contribution au développement local, contribution financière du titulaire d’un Titre d’exploitation minière au développement de la communauté locale, est fixé à 0,5 % du chiffre d’affaires de la société réalisé sur le Titre minier de la zone pour les substances minières de catégorie 1 et à 1% pour les autres substances minières.» Sauf que sur le terrain, les réalisations en termes de contribution des sociétés minières au développement communautaire sont peu reluisantes. Elles se résument généralement à la construction de puits améliorés, de quelques écoles, de forages et de rares postes de santé. «La pompe à pédale que nous avons est en panne depuis longtemps, alors que les rivières commencent à tarir. Imaginez dans quelles conditions nous allons passer la saison sèche !», se désole une femme aux alentours du village du Talowolo.

«Notre vie était liée à l’élevage et à l’agriculture. Maintenant qu’elle est détruite à cause de l’installation des mines, nos activités sont bouleversées. Nous ne tirons aucun avantage de leurs activités (sociétés minières, Ndlr), elles n’emploient pas nos fils, surtout la CBG. Comment nous allons vivre, sans revenu, sans production agricole ? C’est triste pour nous», a déclaré Souleymane Bah, ex-président de district de Boulléré. Certaines communautés affirment ne pas percevoir les retombés «justes» de leurs terres et dénoncent sans cesse la pollution. Pour Djibrila Diessa, «notre part, c’est la poussière».

Yaya Doumbouya