Les travaux de construction de la voie ferrée pour le transport du minerai de fer de Simandou sont en cours. Long de 650 kilomètres, le chemin de fer qui relie la mine (Beyla-Kérouané) au port de Forécariah (Moribayah) traverse des villes et des villages, menace faune et flore.

Des cours et sources d’eau, des villages, des champs de riz, d’arachide, de manioc, de patates, bref des terres arables de la sous-préfecture de Ouré-Kaba et du district de Farinta (dans la sous-préfecture de Soyah), préfecture de Mamou, traversés par le futur chemin de fer (Trans-guinéen), sont détruits par les travaux de construction en cours. Les populations affectées accusent la société Winning Consortium Simandou d’avoir débordé les limites des espaces cédés.

Un champ de riz en maturité détruit à Ouré-Kaba, dans le district de Hafia, secteur Fantayah.

Champs détruits

A 3 km de Ouré-Kaba centre, dans le district de Hafia, secteur Fantayah, la famille Camara est propriétaire d’un vaste domaine rizicole, partiellement traversé par la voie ferrée. Elle a été dédommagée au début du projet en 2021. Selon le deuxième imam de Ouré-Kaba, Bakary Camara, la société a débordé, détruisant partiellement le champ de riz. « Notre champ de riz est gâté et l’accès à notre bas-fond est rendu très difficile. La société a bloqué tous les accès.  Ils nous ont trompés quand ils faisaient la délimitation. Chaque fois, ils augmentent plus de dix mètres sur ce qui était convenu. Chaque année, je récoltais 70 à 80 sacs de riz. Aujourd’hui, je ne peux pas avoir plus de 12 sacs de riz. J’ai 56 ans, je suis né, j’ai grandi ici. Mon père et mon arrière-grand-père ont toujours cultivé sur ce domaine. C’est le seul héritage que je compte laisser à mes enfants. … »

A 500 mètres de là, un tuyau du chantier de la voie ferrée déverse de la boue rouge dans le champ de Mamadou Moussa Sow. Cette année, le domaine pollué ne donnera pas grand-chose. Or, il y a dépensé « 15 millions de francs guinéens pour cultiver et semer du riz ». Habituellement, il y récoltait « 70 sacs de 100kg ». Le riziculteur est convaincu d’en moissonner moins de dix sacs. « Notre famille compte sur ce domaine pour se nourrir, nous n’avons aucune activité si ce n’est l’agriculture. Je demande à la société de canaliser cette boue, pour que nous puissions cultiver et nourrir nos familles ».

Source d’eau détruite à Duddhéya

Destruction des sources d’eau

Dans le district de Madina, toujours dans la sous-préfecture de Ouré-Kaba, le chantier de la voie ferrée impacte de nombreux habitants. Particularité dans le secteur de Duddhéya, deux sources où les villageois s’approvisionnaient en eau depuis des siècles ont été détruites par les travaux du Trans-guinéen. Une situation qui préoccupe Mamadou Yaya Diakité, chef dudit secteur. « En saison sèche et en saison des pluies, c’est dans ces deux sources que nous puisions de l’eau, pour boire et laver nos habits. Aujourd’hui, nous n’avons pas d’eau. La société nous a fait un forage qui n’est pas opérationnel jusqu’à présent. Nous en souffrons beaucoup ».

Les villageois déplorent avoir été longtemps terrifiés par le dynamitage des blocs de pierres, au point qu’ils étaient souvent obligés de quitter leur habitat au moment des opérations. Souvent, précise Mamadou Yaya, les éclats de cailloux tombaient sur les toits de leurs habitations. « Les travailleurs font le dynamitage sans nous informer. La société avait promis de déplacer notre village. Les responsables nous avaient même montré un lieu où ils devaient nous recaser, mais jusqu’à présent, la promesse n’a pas été tenue ».

Ibrahima Barry a également vu son champ détruit, pour une indemnisation en dessous de l’espace qu’on lui a pris. « D’habitude après la récolte du riz, pendant la saison sèche, je cultive de l’aubergine, du gombo, du piment et d’autres légumes. Cette année, je ne peux rien y faire à cause de la boue qui a envahi le domaine. L’eau stagnante dans le bas-fond a complètement tari, les arbres sont morts. Rien n’y repousse. Chaque semaine, nous récoltions des légumes pour manger et revendre ». En cédant son terrain, Ibrahima ne s’attendait pas à des impacts d’une telle ampleur sur le reste de son domaine agricole.

Ni terre ni argent

Ces communautés impactées par les travaux de la voie ferrée admettent avoir été indemnisées. Mais elles jugent la réparation dérisoire, volatile, comparativement aux terres qui les nourrissaient depuis des lustres. Ces montants varient entre 5 millions à 100 millions de francs guinéens par propriétaire terrien, selon l’étendue du domaine touché. L’argent est fini, ils ont perdu leur terre agricole, se lamentent les villageois.

L’argent, sujet tabou. Des agents de Winning Consortium Simandou auraient demandé de garder secrets les contrats et les chèques. Difficilement, les villageois ont dévoilé les paiements perçus. « La terre qu’ils nous ont arrachée, nous n’allons plus y travailler. Notre domaine était très vaste. Nous ne pouvons pas dire la somme exacte que nous avons reçue, certains papiers se trouvent à la maison. Ce que je retiens, c’est qu’on m’a donné 79 millions de francs guinéens. Or, quand j’aménageais ce domaine, je pouvais échanger mon riz avec 4 bœufs. A part ce que je donnais pour la dépense, il pouvait me rester entre 40 à 50 sacs de 100 kg de riz net », a indiqué Bakary Camara. Avec 79 millions de francs guinéens, il aurait acheté un motoculteur à 46 millions 600 mille francs guinéens, investi le reste de l’argent dans l’agriculture.

Plusieurs indemnisés ont construit ou achevé de construire leurs maisons, ou acheté des motos et autres engins roulants. Rare sont ceux qui ont investi dans des activités génératrices de revenus. « Malheureusement, nous ne connaissions pas l’argent quand arrivait la société. Lorsque les gens ont reçu leur indemnisation, ils ont gaspillé dans l’alcool et autres stupéfiants. On ne nous a pas aidés à bien gérer. Aujourd’hui, c’est fini, nous ne savons plus quoi faire », se lamente MDS.

Promesses, surpopulation, dépravation des mœurs

Lansana Sy Savané, président de la jeunesse de Ouré-Kaba, se souvient que les responsables de la société Winning avaient promis de construire une maison des jeunes, un terrain de football, un grand marché etc. Des infrastructures qui tardent à voir jour.

Des jeunes locaux employés dans la société dénoncent « un salaire insignifiant ». La majorité d’entre eux a préféré voir ailleurs, faisant place à l’afflux de gens provenant d’autres parties de la Guinée, voire de la Sierra Leone. « Aujourd’hui, nous avons un problème pour nous approvisionner en eau. Vous partez à la pompe, vous pouvez faire une heure sans avoir de l’eau. La population a augmenté. La société n’a construit de forages même pour ses travailleurs ». Sy Savané fustige la dépravation des mœurs. « Ceux qui sont venus ne sont pas nos enfants et aujourd’hui, avec la pauvreté, il est difficile de gérer une fille qui voit l’argent. Les débits de boissons alcoolisées se sont multipliés ».

Baraques où sont relogés les habitants de Moussaya (Farinta- S/P Soyah-Mamou), Rép. de Guinée

Refugié dans son propre village

La construction d’un tunnel dans le district de Farinta, précisément dans le secteur Moussaya, affecte les populations riveraines. L’eau, dont le passage est bloqué à maints endroits, déborde et envahit les plantations. Les bas-fonds rizicoles ne sont plus accessibles. Le dynamitage des roches a obligé 350 habitants de Moussaya à démanger de leurs 35 habitations. « Les responsables de la société ont envoyé 10 millions de francs guinéens pour qu’on quitte nos habitations. Nous avons refusé de prendre l’argent : avec 10 millions de francs guinéens, nous ne pouvons pas nous reloger ».

Les éclats de cailloux abiment les toits de leurs maisons et tuent les troupeaux (bœufs, chèvres, moutons). Les villageois étaient obligés de quitter, pour prévenir le pire. Certains sont allés se réfugier dans les villages voisins, d’autres ont construit des baraques où ils dorment à même le sol.

Autre préoccupation des habitants de Moussaya, un trou béant creusé par la société Winning Consortium Simandou complique leurs activités. « Nous ne pouvons pas faire de l’élevage, tant que ce trou restera ouvert. Les animaux risquent de tomber dedans. C’est vraiment difficile pour nous. Nous avons tout fait pour qu’ils le ferment, mais jusqu’à présent rien n’est fait dans ce sens ». Les communautés disent qu’elles ne sont pas contre le projet qui va certainement contribuer à développer la Guinée. Elles demandent que leurs droits soient respectés.

Dans le souci d’équilibrer ces informations, nous avons écrit à Winning Consortium Simandou depuis le 6 décembre. Nous n’avons reçu aucune réponse de sa part.

Mamadou Adama Diallo, envoyé spécial