Lundi 26 février, les radios brouillées : Espace FM, Evasion FM, Djoma FM, FIM FM, ont organisé une synergie en lien avec la censure à laquelle elles font face. L’occasion était toute trouvée pour dénoncer les dérives de la junte envers ces médias audiovisuels. Parmi les invités, Diallo Souleymane, Fondateur et Administrateur général du Groupe de presse Lynx-Lance-lelynx.net. Malgré l’âge et la fatigue, cette icône de la promotion et de la protection de la liberté de la presse depuis les années 90, acteur majeur de la décriminalisation des délits de presse en Guinée,  a participé à la synergie des médias brouillés. Quelques maux auront suffi pour qu’il déplore la situation, exprime sa déception, égratigne les progrès de l’écrevisse imposés aux médias et fasse la nécessaire plaidoirie auprès de la HAC qui gagnerait à « éviter de vivre et laisser mourir. »

Médias brouillés : Avec tout ce que vous avez fait, quel est votre état d’âme face au martyr qu’on fait subir aujourd’hui à votre corporation ?

Diallo Souleymane : Je vous remercie de m’avoir invité. Je me sens réconforté par votre présence et la continuité de la défense de la liberté de la presse. C’est ce que j’avais fait avec d’autres journalistes de l’époque, mais je me sens quelque peu orphelin. On avait réalisé une avance extraordinaire sur la région ouest-africaine, mais aujourd’hui nous reculons à grands pas. Cela me rend un peu orphelin. Grâce à vous, j’ai été honoré de mon vivant, cela m’a marqué. Aujourd’hui, avec un peu de recul, je voudrais faire appel à tous ceux qui peuvent, à commencer par les autorités de ce pays, pour reprendre la voie inéluctable de la liberté, parce qu’elle est inéluctable, on y arrivera, je ne sais quelle génération va y arriver, mais la liberté est naturelle, vous ne pouvez pas la combattre et gagner.

Monsieur Diallo Souleymane avec Jacques Lewa Léno

A la naissance de la liberté de la presse, c’étaient aussi des militaires, mais qu’elle était votre recette du combat que vous avez mené pour que vos journaux puissent continuer à paraître ?

On s’est battu avec des équipes solides. C’est long à raconter. Il y a eu deux phases : il y a une loi du CTRN (Comité transitoire du redressement national Ndlr) du 23 décembre 1991, sur la liberté de la presse. Mais en matière de liberté de presse, il n’y avait que la presse écrite, la presse audiovisuelle n’était pas née. Personne n’en parlait. Et cette loi L005 du 23 décembre 91 était le résultat d’une bagarre de certains membres du CTRN. Je citerais Monsieur Lamine Camara et ses compagnons qui se sont battus pour nous donner une loi. Cette loi, malgré tous les efforts de M. Camara et quelques-uns de ses compagnons, comportait deux fois le mot « liberté » contre 116 ans de prison pour les journalistes fautifs, si vous mettez côte à côte toutes les peines encourues. C’était une loi très dure, mais les gens se sont vraiment battus pour l’avoir. Ce dont nous avons hérité en 2010 au CNT (Conseil national de la transition). Nous avons pu faire un pas en avant. Nous avons décriminalisé les délits de presse. C’était un grand pas, une grande bagarre aussi, sous la transition CNDD, version Sékouba Konaté.

 Aujourd’hui, on parle de radios qui sont malmenées, mais c’est toute la Guinée qui a souffert pour obtenir la libéralisation des ondes. Pourquoi ? La loi 005 de 91 ne prévoyait pas la libéralisation des ondes. Les syndicats, la classe politique, la société civile, tout le monde s’est battu. Impossible de libéraliser les ondes. J’ai eu l’honneur d’avoir été invité à Windhoek (Namibie) en 2001, pour célébrer le 10è anniversaire de la première conférence de Windhoek. On m’a interpellé : « Qu’est-ce qui arrive chez vous ? Tout le monde a libéralisé les ondes, sauf vous. » On a mis ce point à l’ordre du jour. Il a été débattu correctement. Longuement. C’est toute une histoire. La conférence avait été organisée par l’UNESCO, son patron était là. Il s’est porté garant pour mener la lutte pour libéraliser les ondes en Guinée.  Il m’a invité à Genève. Après Windhoek, j’y suis allé. Je l’ai rencontré. Il m’a dit : « Ecoute, c’est un problème sérieux », parce qu’on avait vraiment fait des études sérieuses sur le problème. Il a promis la garantie de rencontrer les institutions onusiennes pour couper l’aide à la Guinée tant que les ondes ne sont pas libérées. Ce qui a été fait. C’est pourquoi je dis que c’est tous les Guinéens qui ont souffert de cette lutte pour la libéralisation des ondes.

Monsieur Diallo Souleymane avec Mohamed Mara

Donc, la libéralisation des ondes est le résultat d’une pression internationale, telle que l’enveloppe du 9è FED ?

Une pression sérieuse. Heureusement, on a entendu le plaidoyer du patron de l’UNESCO. Ils ont coupé l’aide à la Guinée. Et le Général Lansana Conté que je respecte, parce qu’il aime la liberté de la liberté de la presse même si, peut-être, il n’en comprenait pas tous les enjeux. Il faut le respecter. Le Général Conté a appelé son ministre, il lui a dit : « Il faut libéraliser ! » Impossible de libéraliser, même s’il le voulait, parce qu’à l’OIT à Genève, la Guinée avait baissé les bras. On n’était pas à jour. Le ministre, je me permets de donner son nom, Jean-Claude Sultan, a envoyé une équipe pendant au moins quatre mois (je parle sous son contrôle), pour travailler avec l’OIT, afin que la Guinée puisse avoir des quotas de fréquences pour libéraliser les ondes. On n’avait pas de places à l’OIT. Même si Lansana Conté le voulait, il ne pouvait pas. Il n’y avait que deux radios : La Voix de la Révolution (RTG) et la Radio Kaloum Stéréo, RKS FM, je crois. Quand l’équipe est revenue, Conté a libéralisé les ondes en août 2005.

Il y avait aussi la pression de la presse écrite dont vous êtes un des membres…

Oui, les journaux. On s’est battus comme on pouvait. Des fois en prison, des fois hors de prison, mais toujours l’ennemi public numéro un à abattre, on l’a accepté…

Vous êtes à l’avant-garde de ce combat et vous avez créé Le Lynx dès février 1992…

Le premier numéro du Lynx est sorti le 7 février 1992, après six mois d’études systématiques de l’opinion guinéenne. On nous avait dit que les Guinéens ne lisent pas. Je me suis demandé ce qu’on leur donnait pour lire. Avec la réponse à cette question, on a pu créer Le Lynx avec toutes les difficultés du monde. Mais grâce à vous tous : lecteurs, avocats, tout le monde, nous avons pu survivre.

Lorsque vous regardez le paysage médiatique guinéen qui, ces dernières années, est l’un des plus dynamiques de la région, mais qu’on assiste depuis plusieurs mois à une sorte d’assaut des pouvoirs publics, notamment la junte, contre eux, quelle est votre réaction ? Nous nous sommes tournés vers beaucoup d’acteurs pour leur médiation, les religieux notamment. On nous fait comprendre que ce qui nous arrive finalement, c’est bien fait pour nous, parce que c’est la faute des journalistes, parce qu’il y aurait quelques brebis galeuses. Vous disiez que le Général Conté, lui, aimait la liberté de la presse, pourtant il y a eu des emprisonnements de journalistes sous son règne. Mais on a l’impression aujourd’hui qu’on n’avait pas atteint ce niveau de durcissement, on vient brouiller les ondes de plusieurs médias à la fois. Qu’est-ce qui amène à ce durcissement ? Selon vous, d’où vient la faute ?

Les journalistes sont toujours fautifs. C’est sûr qu’ils font des fautes, ce sont des humains. Mais il y a une façon de les corriger, ce sont des citoyens ordinaires. Le brouillage des ondes m’a troublé. Parce que la première loi sur la liberté de la presse, la loi 005 du 23 décembre 1991 n’avait pas accepté la censure préalable, c’était un grand acquis. C’est pour cela que je parlais de Monsieur Lamine Camara, il s’est battu pour ne pas qu’il y ait de censure préalable. Donc, on est parti de là, on est arrivé à la libéralisation des ondes, mais aujourd’hui on les brouille. On est descendu en deçà de l’acceptable…

Voire du légal, finalement,  puisque la loi 002 actuellement en vigueur ne prévoit pas de telles mesures…

La loi L002 ne pouvait pas prévoir de telles mesures, parce qu’elle a hérité d’une loi qui était contre la censure préalable. Donc, c’est quelque chose qui nous tombe dessus comme ça.

Avec toute votre expérience, quels conseils donneriez-vous à la corporation et le syndicat de la presse ? Est-ce qu’il y a des pistes de solution ? Parce que très peu d’entreprises de presse arrivent à tenir. A cette allure, la plupart des grands médias vont s’éteindre sous peu, parce qu’économiquement, ce n’est plus tenable…

C’est une question de grande incompréhension entre le pouvoir actuel et les médias. J’ai entendu un ministre dire que « l’Etat n’est pas contre la presse ». L’Etat ne peut pas être contre la presse. La presse, c’est pour que le citoyen soit formé. En aucun cas les deux-là ne peuvent s’opposer. Relisez les constitutions successives, vous arrivez au CNRD, la Charte de la Transition reprend cette partie. On ne peut pas ne pas avoir des citoyens libres ; ils sont plus libres, quand ils sont informés. C’est leur voix là qu’on veut couper. Moi, je me demande qui a convaincu les autorités actuelles de s’engager dans cette voie qui n’aboutira jamais, elle n’aboutira pas. On va souffrir, la précédente a souffert. Mais c’est inéluctable, la liberté triomphera.

Monsieur Diallo Souleymane avec Amadou Oury Diallo

Qu’est-ce qui vous a permis de gagner le combat que vous ne voyez pas en nous aujourd’hui ? Qu’est-ce que vous préconisez ?

C’est une colle. Parce que ce sont des Guinéens comme nous qui l’ont fait. Au lieu d’être des vrais conseillers, ils deviennent des confidents du pouvoir, cela est un problème. Le jour où ils joueront leurs vrais rôles de conseillers, ils écriront ce qu’il faut pour la République d’abord, les ministres, le président, au lieu de leur souffler des choses à l’oreille, on ira en avant. Mais si vous êtes confidents, vous tirez les patrons de côté, vous leur soufflez des choses du genre : « c’est ce qui marche… » Non, ça n’ira pas.

 J’ai un plaidoyer à l’endroit de la HAC. Il faut qu’elle nous aide à survivre, quand je dis « Nous », c’est y compris elle-même. Parce que le jour où les médias vont s’éteindre, il n’y aura plus de HAC. Vous êtes HAC aujourd’hui, vous êtes puissants aujourd’hui, parce qu’il y a la presse, parce que vous avez du travail. Si tous nos travailleurs mettent la clé sous la porte, si les médias medias mettent la clé sous la porte, vous mettrez la vôtre aussi sous la porte. Forcément.

C’est nous qui avons rédigé la loi L002 sur la Liberté de la presse en vigueur. On n’avait pas prévu tout ce que fait aujourd’hui la HAC. Or, il faut une loi pour punir quelqu’un. Il ne faut pas inventer des choses. Nous sommes des humains, nous sommes fautifs, corrigez-nous, mais en fonction des lois prévues en la matière ! Prenez la loi qui a condamné Sékou Jamal Pendessa. Liez la décision ! Moi, je n’ai rien compris. Je ne sais quelle loi le condamne, quel chapitre, quel article. Je ne juge pas un jugement, mais je demande que désormais, on nous applique notre loi sur nous. Ce n’est pas trop demander…

Peut-être un message aussi à l’endroit des autorités ?

Les autorités sont nos protectrices. Dans toutes les Constitutions, partout, les autorités protègent. Pour la presse écrite, moi, je vends des journaux. Ce n’est pas sous l’éclat des bombes ou les gaz lacrymogènes que quelqu’un va m’acheter un journal. Il faut la paix. Nous sommes acteurs et demandeurs de paix, nous ne sommes pas des adversaires, nous sommes des coopérants, sincères avec le pouvoir. Nous pouvons faire des fautes. Une anecdote. Quand Bah Mamadou Lamine (Grand-reporter du Groupe Lynx-Lance) est décédé, un de ses terribles adversaires a dit : « Si nous l’avions écouté, on n’en serait pas là ». Nous sommes des lanceurs d’alerte. Qu’on nous écoute avec pondération, au fait que nous ne sommes pas des adversaires. Nous ne pouvons pas être des adversaires du pouvoir, mais nous ne pouvons pas dire tout ce que fait le pouvoir est beau.

Propos transcrits par

Mamadou Siré Diallo