Quel regard portez-vous sur la politique africaine de François Hollande ?

Il a permis qu’on tourne une page dans l’histoire des rapports franco-guinéens. Le symbole de ce changement, c’est le drapeau guinéen qui flotte aujourd’hui [pendant la visite d’Etat, ndlr] sur les Champs-Elysées, ou sur les bâtiments officiels français. Quand on connaît les péripéties de cette histoire depuis 1958, c’est pour moi tout un symbole. Nous allons regretter François Hollande. Je pense particulièrement à la crise que la Guinée a traversée avec l’épidémie Ebola. Le président français est venu lui-même dans un hôpital où étaient soignés les malades. Ce fut un signal fort.

Quelles traces a laissées Ebola en Guinée ?

Ebola nous a traumatisés. Non seulement l’épidémie a mis à terre tous nos efforts économiques, mais elle a aussi atteint notre culture. Nous sommes habitués à laver les morts, parfois à les embrasser. Des pratiques qui facilitent la transmission. Il a fallu lutter contre nos propres traditions, et ceci aussi est traumatisant. Mais Ebola nous a amenés à prendre conscience de l’état de notre système de santé, qui n’était pas performant. Nous devons développer nos propres laboratoires, produire en Afrique nos propres vaccins, pour ne plus dépendre des laboratoires. L’Institut Pasteur de Conakry, actuellement en construction grâce à la coopération avec la France, est un premier pas dans ce sens.

En février, des lycéens ont été tués au cours de manifestations à Conakry. L’ONU et des ONG ont déploré la persistance des violences politiques en Guinée. Qui en porte la responsabilité ? Les forces de l’ordre ? Votre gouvernement ?

Je ne suis pas soumis au jugement des ONG occidentales. Je suis élu par le peuple de Guinée et jugé par lui. Les ONG peuvent faire les rapports qu’elles veulent, ce n’est pas cela qui me fait avancer. Nous en avons assez des donneurs de leçon. Quand la police tue dix personnes au Texas, tout est normal ; quand c’est en Guinée, c’est un scandale ! Est-ce que les ONG dénoncent un Etat antidémocratique aux Etats-Unis ?

Le procès du massacre du 28 septembre 2009 [au stade de Conakry, où 150 opposants ont été tués et 110 femmes violées] se tiendra-t-il en 2017 ?

La justice en Guinée est indépendante. Mon rôle est de lui donner les moyens matériels de pouvoir faire son travail.

Mais certaines des personnes inculpées sont toujours libres, et toujours en poste…

Inculpé ne veut pas dire coupable. En droit, la liberté est le principe, la prison l’exception. Quand il y a un danger de fuite ou un risque pour la population, on emprisonne, sinon, on convoque. Pourquoi les priver de leur liberté, s’ils ne sont pas nuisibles ? Beaucoup de gens sont accusés à tort dans cette affaire. Certains n’étaient même pas à Conakry. On verra bien qui est coupable ou non lors du jugement.

L’avenir de la Guinée passe-t-il par l’exploitation de son sous-sol, avec tous les risques que comporte une dépendance au secteur minier ?

L’avenir de la Guinée, c’est l’agriculture et l’agro-industrie – un secteur qui emploie beaucoup plus de main-d’œuvre. Nous travaillons au renforcement des cultures vivrières et espérons atteindre l’autosuffisance dès 2018. Nous avons aussi lancé un grand programme d’agriculture d’exportation : café, cacao, sésame, etc. Mais nous devons désormais penser la transformation en produits finis. Sinon, nous restons dépendants des prix du marché mondial qui nous échappent. Pour cela, nous misons sur l’énergie. La Guinée est le château d’eau de l’Afrique de l’Ouest. Nous avons la capacité de construire un barrage de 6 000 MW. Nous fournirions non seulement la Guinée, mais aussi les pays voisins. L’Afrique sera la nouvelle usine du monde, après la Chine. Nous devons être prêts.

La transformation, cela vaut aussi pour les mines. La bauxite, par exemple [la Guinée possède la moitié des réserves mondiales connues] : auparavant, on utilisait du bois pour faire les fenêtres, en Afrique, désormais, on utilise l’aluminium [produit par transformation de la bauxite]. Un immense marché s’ouvre sur le continent. En 2050, nous serons plus nombreux que les Chinois…

Votre second mandat sera-t-il le dernier ?

Arrêtons avec cette vision dogmatique de savoir si la bonne chose est un, deux ou trois mandats. Ça dépend de chaque pays et de la volonté de son peuple. Nous ne voulons plus que l’Occident nous dicte ce que nous devons faire. Les pays développés, on ne leur pose pas la question ! Est-ce qu’on pose la question à Singapour par exemple [le Premier ministre est dans son troisième mandat] ? Je n’ai pas à répondre. Ce n’est ni aux journalistes ni aux puissances extérieures de décider.

Pour le moment, j’ai un programme de développement et je me bats pour l’appliquer. Ma préoccupation n’est pas le nombre de mandats. C’est un débat qu’on nous a imposé. Marx a dit que l’humanité ne se pose jamais que des problèmes qu’elle est capable de résoudre. Le mien, c’est comment changer les conditions de vie des Guinéens, et avant tout des jeunes.

 

Célian Macé pour Libération