« Dans les épreuves décisives, l’on ne franchit correctement l’obstacle que de face » F. Mitterrand.
Après cinquante-huit années d’indépendance et plusieurs décennies des programmes d’aides publiques au développement, le résultat économique de la Guinée reste encore mitigé. Le pays se trouve aujourd’hui dans une situation économique et financière marquée par des déséquilibres à tous les niveaux avec des institutions faibles et précaires.
En 2016, sur les 186 pays classés dans l’indice du développement humain du PNUD, La Guinée arrive au 179eme rang et Tranparency International le classe au 4eme rang mondial des pays les plus corrompus. Tous les indicateurs macroéconomiques sont en dessous des normes acceptables : faible croissance économique (en moyenne 3% entre 2010 et 2017), dépréciation continue de la monnaie, détérioration des termes de l’échange, niveau de corruption élevé…
Au plan social, il apparaît une pauvreté grandissante, avec plus 55% de la population guinéenne vivant en dessous du seuil de pauvreté et près de 70 % de cette population n’a pas accès à l’eau potable et à l’électricité.
Malgré le potentiel de développement incommensurable en termes de détention de ressources du sol et du sous-sol, l’économie guinéenne reste profondément marquée par :
Une absence de croissance économique (3,0% en moyenne de 2010 à 2017) ;
Une croissance démographique de 3,7 % en moyenne annuelle ;
Un déficit commercial chronique (22 % du PIB par an de 2010 à 2017);
Une monnaie nationale défaillante ;
Pour faire face à ces innombrables difficultés, il sera nécessaire d’adopter un plan de relance de l’économie nationale dont l’objectif principal s’articule autour de la Refondation et de Révision générale des politiques publiques.
De façon spécifique il s’agit de mettre fin à plus d’un demi-siècle de mauvaise gouvernance à travers une gestion efficiente des finances publiques, la lutte contre la délinquance économique et financière structurelle et de ses impact nocifs sur la croissance économique et enfin, extraire des millions des guinéens dans l’extrême pauvreté afin d’estomper la forte attente sociale.
Pour atteindre un tel objectif, un changement à la fois des mentalités mais aussi du fonctionnement des institutions du pays est primordiale.
Cette analyse succincte portant sur la dégradation profonde de notre économie se fixe un triple objectif. Premièrement il s’agit d’apporter un certain éclairage sur l’état actuel de la situation économique, monétaire et financière de la Guinée, deuxièmement, analyser l’efficacité en particulier des politiques publiques prises particulièrement au niveau budgétaire et monétaire sur la période allant de 2010 à 2017 et troisièmement, faire quelques recommandations sur les actions à entreprendre dans le futur pour un bon fonctionnement de notre économie.
L’essentiel des statistiques fournies est le résultat du recoupement de diverses données officielles des Ministères de l’économie et des finances, du Ministère du plan, de la BCRG et des conclusions des Rapports de consultation entre la Guinée et les bailleurs de fonds.
Comment en est-on arrivé là ?
Sur la période 2010-2017, les performances économiques ont continué à être affectées par les difficultés connues en 2013 et 2014. L’économie guinéenne a été fortement impactée par les conséquences de l’épidémie à virus EBOLA et la baisse du cours des matières premières sur le marché international. Elle a été également marquée par l’attentisme lié à l’organisation des élections présidentielles d’octobre 2015 et celles des élections communales initialement prévues au cours du premier trimestre 2014.
Néanmoins, sur le plan macroéconomique, le gouvernement guinéen s’est accentué sur la mise en œuvre d’un programme triennal appuyé par la facilité élargie de crédit (FEC), et le soutient à la croissance par le biais de la réalisation d’importants investissements publics (route, électricité et eau).
En dépit des efforts consentis par les autorités guinéennes, les principaux indicateurs macroéconomiques se sont nettement détériorés entre 2010 et 2017 car, la croissance économique est passée de 1,9% à 3,0% (contre une prévision de 6,6% en 2017). Cette situation s’explique par l’impact de l’épidémie EBOLA, la baisse du prix des matières premières exportés, des manifestations orchestrés par les opposants au cours de la période, de l’attentisme né des élections législatives de 2013 et de celles présidentielles de 2015 dont les effets ont affecté les secteurs secondaire et tertiaire. Par ailleurs, contrairement aux deux secteurs cités précédemment, le secteur primaire a enregistré une croissance positive.
De plus, l’effectif de la fonction publique tel que résultant de la fiche des paies a atteint 102 532 fonctionnaires en 2017, contre 94 914 en 2010 avec une masse salariale en augmentation de plus de 50%.
Sur le marché de change, nous avons assisté à une dépréciation du GNF, car le taux s’est stabilisé autour de 10 500 pour un Euro et 9 600 en 2017 pour un dollar après respectivement 7594,07 et 5728,42 en 2010. Cette augmentation du taux de change a entrainé l’affaissement de la valeur extérieure de la monnaie ainsi que le déficit commercial (22% par an). Les réserves de change de la Banque Centrale s’effondrent à moins d’un mois d’importations contre un minimum de trois (3) d’importations comme le recommande le FMI et/ou les accords de convergence dans le cadre de la création de la monnaie économique africaine. Une telle situation risque d’entrainé une accumulation d’arriérés extérieurs en termes de charge de la dette occasionnant à son tour une remise en cause de la crédibilité du pays et l’amenuisement de la capacité d’endettement extérieur.
Sur le plan monétaire, nous assistons à l’explosion de la masse monétaire passant de 10 366,38 en 2010 à 20 989,95 en septembre 2017, soit un accroissement de 103% avec un taux de liquidité de l’économie à 28,1%. Le résultat de ces évolutions macroéconomiques négatives est l’aggravation de la pauvreté en Guinée. De ce fait, l’indice Général de la Pauvreté est passé de 52% en 2010 à 55% en 2017.
De passage, il convient de souligner la signature le 5 septembre 2017 d’un accord-cadre de financement de nos projets prioritaires avec la République Populaire de Chine pour une enveloppe de 20 milliards de dollars US couvrant une période de 20 ans (2017-2036). A cet accord, s’ajoute la promesse obtenue d’un montant d’Euro 21 milliards auprès du groupe consultatif de Paris. Cette situation va entrainer l’accroissement du stock de la dette extérieure et de son service. Ce qui constituera un manque à financer très important des secteurs sociaux prioritaires pour le développement tels que : l’éducation, santé, routes, ponts, barrages emploi des jeunes (qui est d’ailleurs loin d’être une préoccupation de l’Etat au regard de son budget de 2018).
Analyse sommaire du projet de loi de finance 2018 :
Pour faire face à l’augmentation de l’effectif de la fonction publique (3802 nouvelles recrues) et la non diversification de notre économie, le Ministère du Budget a décidé d’augmenter le taux de la RTS sans que cela ne corresponde à l’évolution des fondamentaux de l’économie guinéenne.
Cette analyse succincte sur le projet de loi de finance voté par nos élus de l’Assemblée Nationale montre que la part du budget alloué au secteur agricole pour l’année 2018 représente seulement 3,8% (alors que les accords de Maputo en prévoient 10%) contre 13% dans la sous-région ouest africaine. Cependant, la filière coton, actuellement en développement, ne bénéficie que de 27 milliards de francs guinéens. De plus, la part du budget allouée au secteur agricole a baissé considérablement entre 2017 et 2018 de 29,54% (cf. LF 2017). Toutefois, il convient de souligner que tous les économistes sont unanimes sur le rôle primordial du secteur agricole en matière de développement économique. La preuve est qu’elle contribue en Guinée à hauteur de 25% du PB.
Une partie important du budget de la Guinée est fort malheureusement consacrée aux dépenses de fonctionnement dont les traitements et salaires évaluées à 4 129 Mds en 2018 contre 3 600,5 Mds en 2017 soit une progression de 14,7%. Selon analyses faites par le Ministère du Budget, cette augmentation de la masse salariale s’expliquerait par le glissement catégoriel annuel, les recrutements éventuels de nouveaux fonctionnaires, de l’application des protocoles d’accord signés avec les acteurs sociaux et des départs à la retraite.
Par ailleurs, il convient de noter que la part des dépenses de personnel dans les dépenses courantes se situe à 32,4% et absorbe 26,8% des recettes fiscales.
Les dépenses de biens services sont projetées à hauteur de 3 742 Mds contre 3 130,1 Mds en 2017, soit un accroissement de 19,5%. Leur part dans les dépenses courantes s’établit à 29% contre 28,2% en 2017. Elles représentent 23,2% des recettes intérieures prévues en 2018.
Les dépenses de transfert sont évaluées à 3 634 Mds en 2018 contre une projection à fin décembre 2017 de 3 218 Mds, soit un accroissement de 13%. Suivant les explications fournies par le Ministère du Budget, Cette augmentation se justifierait par la prise en charge des besoins de fourniture domestique en électricité et des innovations en matière de gouvernance, de formation et de recherche au niveau des institutions d’enseignement supérieur.
La part des dépenses de transferts dans les dépenses courantes se situe à 28% contre 29% en 2017. Rapportées au PIB, elles sont restées constantes de l’ordre de 3,6% durant les deux (2) années.
Enfin, en examinant le projet de loi de financé adopté par l’Assemblée Nationale, on se rend compte que le budget 2018 sera consacré essentiellement aux dépenses d’investissement (79%) avec une priorité accordée aux infrastructures (34%), aux mines- industrie – eau énergie (27%) et au social (18%). Dans le secteur social, l’éducation absorbe 45% et la santé et les affaires sociales représentent 49%.
En tant qu’analyste, je pense que ce budget n’a pas sa raison d’être dans la mesure où il ne vise en aucun cas à assurer une meilleure cohérence entre les politiques sectorielles et les objectifs du PNDES (Plan National de Développement Economique et Social) 2016-2020.
De plus, ces choix interviennent également dans un contexte national fortement marqué par un chômage massif des jeunes, un climat des affaires au ralenti et une insécurité grandissante pour ne citer que ceux-là… Cependant, nombreux sont les guinéens qui s’interrogent sur les capacités réelles des régies financières et leur efficacité dans la mobilisation des recettes publiques exposés dans ce projet de loi de finance 2018.
On s’interroge également sur la capacité du Ministère de l’économie et des finances dans la restructuration optimale de la dette publique extérieure, sur sa capacité à s’assurer en permanence de la concessionnalité de tous les prêts publics ou privés garantis par l’Etat, sur la capacité de la Banque centrale à tenir la direction d’une politique monétaire et de change de mission et à résister à toutes demandes d’avance de financement par la Planche à billets y compris sa capacité institutionnelle à conduire les banques commerciales dans une politique cohérente et équilibrée de financement de l’économie guinéenne dans une optique claire de promotion des investissements privés et de la croissance économique, sur la capacité du Gouvernement à faire face aux imprévues en termes de pression sociale face à la demande de satisfaction des besoins essentiels, etc.
Les prévisions faites par le Gouvernement pour l’année 2018 :
Au vu des circonstances, les autorités guinéennes ont l’intention de resserrer les politiques économiques afin de réduire les déséquilibres macroéconomiques actuels, tout en protégeant les dépenses consacrées à la réduction de la pauvreté.
Pour l’année 2018, les autorités guinéennes fixent un objectif de croissance de 5,8% du PIB (Produit Intérieur Brut) contre 6,6% dans la loi de finances rectificative 2017. En ce qui concerne la monnaie, les autorités monétaires visent à atteindre un taux d’inflation de 8,2% en glissement annuel. S’agissant des finances publiques, le projet de loi de finance prévoit un taux de pression fiscale de 16,21% du PIB contre 15,43% en 2017. Dans la même lancée, le gouvernement guinéen souhaiterait avoir un niveau de dépenses courantes de 12,81% du PIB et un niveau de dépenses d’investissement de 7,42% du PIB.
Le déficit budgétaire (dons exclus) sera de 11,3% du PIB. A noté que ce déficit sera limité tout simplement à un montant qui peut être financé exclusivement par des appuis budgétaires et des appuis projets extérieurs assurés, ainsi qu’un recours limité au financement intérieur, tout en évitant le recours à tout arriéré de paiement.
Dans le même sens, il est prévu un renforcement de la transparence du programme d’investissement public, un maintien des réserves de changes à trois (3) mois d’importations et un taux de liquidité de l’économie à 28,1% contre une moyenne de 15% dans les pays assurant une meilleure gestion de la monnaie. Le taux de change sera stabilisé à 9610,5 GNF le dollar tout en continuant naturellement à réduire la prime de change entre le marché parallèle et officiel.
Devant ces choix très difficiles en termes de remède indispensable au rétablissement de notre économie, de notre monnaie et de nos finances publiques, l’on comprend clairement qu’il va falloir faire des sacrifices à tous les niveaux en vue d’un vrai changement. Cependant, l’acceptation sociale de ces choix sera impossible dans la mesure où l’on s’attaque directement aux salaires du secteur privé pourvoyeur d’emploi et de croissance économique. De plus, le Gouvernement a choisi de toucher simultanément l’une des deux variables principales du budget dans le sens de la rigueur : l’accroissement des impôts. C’est qui est à mon sens n’a pas sa raison d’exister.
Recommandations de politique économique :
Refuser systématiquement les exonérations fiscales injustifiées et procéder au règlement des débits d’impôts évalués à des centaines de milliards de GNF par acomptes provisionnels auprès des sociétés et des particuliers concernés.
Procéder à la séparation les mesures conjoncturelles dont l’objectif est la stabilisation macroéconomique, des mesures structurelles dont l’objectif est la promotion de la croissance économique s’impose afin de faire face à l’extrême pauvreté.
Augmenter dans les meilleurs délais, la capacité d’absorption des administrations publiques en termes d’élaboration et d’exécution de projets de développement.
Faire des économies en poursuivant l’assainissement du fichier de la fonction publique. L’objectif est également de mieux prendre en charge financièrement des jeunes ayant réussis aux concours d’accès à la fonction publique mais pas encore pris en charge convenablement.
Améliorer la coopération et la vigilance dans les relations institutionnelles entre la Direction de la Comptabilité Publique relevant du Trésor Public et la Direction Nationale des Impôts. A ce niveau, le manque à gagner s’élève à plusieurs dizaines de milliards de GNF dans un contexte de cacophonie et de renvoies de responsabilités entre les agents des deux Directions.
Poursuivre et généraliser le paiement des salaires des fonctionnaires par virement bancaire. Auparavant, la BCRG et le Gouvernement doivent s’assurer que les fonctionnaires disposent de comptes bancaires dans les conditions satisfaisantes mais surtout que les banques commerciales sont capables d’accueillir ces nouveaux clients avec un nombre suffisant de distributeurs automatiques de billets afin d’éviter des paniques et des files d’attente interminables devant les banques.
Sécuriser les réserves de change de la nation via un changement d’orientation des politiques générales de la Banque Centrale en vue d’une meilleure lisibilité de la politique monétaire et de change.
Mamadou Safayiou DIALLO
Economiste, Enseignant-chercheur