Le 26 mars 1984, le Président Ahmed Sékou Touré rendait l’âme, sur une table d’opération dans un l’hôpital de cardiologie à Cleveland dans l’Ohio, aux Etats Unis. Le cœur n’a pas résisté à l’intervention chirurgicale due à un anévrisme de l’aorte. Etrange épilogue de la vie d’un homme qui aura consacré sa vie politique à vouer aux gémonies le colonialisme et le néo colonialisme européens ainsi que l’impérialisme américain. Une incongruité de l’histoire, Mais «l’histoire se fiche pas mal que vous vous rongiez les ongles», rappelle Arthur Koestler. Le Président guinéen et sa suite composée d’une partie de sa famille dont son épouse et de quelques dignitaires du régime étaient arrivés seulement quelques heures auparavant à Cleveland. Ils s’étaient installés à l’hôtel, non loin de l’hôpital que Sékou Touré rejoint peu après. «Ainsi soit-il», avait-il répondu aux médecins qui lui avaient souhaité «bonne chance». Arrivé en politique par le biais du mouvement syndical au sein duquel il avait occupé de nombreuses et importantes responsabilités durant les deux dernières décades de la période coloniale, Sékou Touré avait connu une fulgurante ascension politique de 1947 à 1958 grâce à sa combattivité, son éloquence, son intelligence et son ambition mais aussi et surtout au Rassemblement Démocratique Africain (RDA) dont il avait rejoint dès 1947 la section territoriale, le Parti Démocratique de Guinée. Le RDA est dans les colonies françaises en Afrique occidentale et centrale, le creuset de l’intelligentsia de gauche qui prône l’émancipation et l’amélioration des conditions d’existence des populations colonisées, l’égalité des chances dans les colonies qui devaient évoluer d’abord vers l’autodétermination et plus tard l’indépendance. Les idées et les ambitions de Sékou Touré trouvent là un terreau fertile ainsi que les ressources humaines, financières et matérielles pour leur maturation et leur concrétisation. Il est élu successivement conseiller territorial de Beyla en 1952, maire de Conakry en 1955, député au Palais Bourbon (à Paris) en 1956 et réélu conseiller territorial en 1957. Le grand Chelem réalisé par le PDG, lors de ces élections (57 conseillers sur 60) lui permet au terme de la Loi Cadre (ou Loi Gaston Déferre) de constituer le Conseil de Gouvernement dont Sékou Touré devient le Vice-Président et le Gouverneur du Territoire, Président. Dans ce contexte politique qu’intervient l’année suivante, le 2 octobre, l’indépendance et que Sékou Touré devient Président de la République, Chef de l’Etat tout en demeurant Secrétaire Général du Parti Démocratique de Guinée. Malgré les réserves et les tentatives bien vaines de quelques cadres du parti pour le dissuader d’être à la fois le premier responsable du parti et celui de l’Etat, il dit «niet» et conserve entre ses mains tous les pouvoirs dont la séparation constitutionnelle n’est que cosmétique. La dictature pointe à l’horizon. Dès 1960, le lexical politique s’enrichit de mots auxquels le microcosme politique était peu coutumier tels que complots, traitres, anti-guinéens, primauté du parti sur l’Etat, etc. Subrepticement, on passe d’un Etat libéral favorable à l’initiative privée à un Etat collectiviste, socialisant entrepreneur qui envahit l’économie et s’en approprie. Les circuits privés du commerce et de l’industrie sont détruits. Ce changement de camp surprend, offusque et irrite une masse critique de Guinéens, y compris des camarades de lutte de Sékou Touré qui finissent par exprimer leurs acrimonies et leur condamnation. Toute cette dynamique aboutit à l’émergence du Parti-Etat et de l’ère révolutionnaire. La République est rebaptisée République Populaire Révolutionnaire de Guinée. Le Président est adulé des titres démagogiques de Responsable Suprême de la Révolution, Fidèle Serviteur du Peuple et tuti quanti. L’arbitraire s’installe. Ceux qui osent s’exprimer, même à mi-voix, une opinion autre que celle de Sékou Touré sont stigmatisés, traités d’ennemis du peuple. Des complots souvent imaginaires ne sont que des trappes de pauvres citoyens, soupçonnés de tiédeur révolutionnaire. Les sinistres camps de tortures se multiplient dans le pays. Les cadres, les commerçants, les leaders, etc. en sont les plus fréquents locataires. Des dizaines de milliers de citoyens y meurent par toutes sortes de modes opératoires. Ces massacres ont connu des moments de pic, en particulier en 1970-1971, où des dizaines de milliers de citoyens ont été pendus aussi bien à Conakry que dans les villes de province.

L’exode s’amplifie. Les pays voisins accueillent des centaines de milliers de fugitifs guinéens comprenant toutes les composantes de la population. La gouvernance de Sékou Touré n’a pas été marquée que par une effroyable tyrannie. Elle a connu des déviances épisodiques inacceptables et honteuses telles que le «racisme peulh» au cours duquel il s’en est pris, publiquement et vertement, sans considération de sa fonction, à l’une des plus grandes composantes de la société guinéenne. Aussi, la pratique du pouvoir par Sékou Touré a déstructuré l’économie et fortement amoindrit sa productivité, sa production et son efficacité. Même la relative bonne politique d’industrialisation initiée au début de l’indépendance n’était plus qu’une chimère, tant on était loin des résultats espérés.

Sékou Touré aura été décidemment un homme politique ambivalent. Un nationaliste pour son apport à la lutte contre l’oppression coloniale et pire tyran dans sa gestion de l’Etat guinéen.

Abraham Kayoko Doré