Est-ce l’effet de serre ou l’effet Coluche ? L’Histoire baisse en intensité dramatique. Non que nos mœurs se soient adoucies. Non que notre belle planète connaisse des jours meilleurs. Au contraire, les Cassandre ne risquent pas de chômer pour les dix siècles à venir: le chômage galope, la pollution s’intensifie; les foyers de tension et les armes de destruction massive croissent à la même vitesse que les bactéries. Pour paraphraser Simone Weil, notre vie est un drame et elle restera toujours un drame. Ce sont les acteurs qui ont changé, non le scénario. L’Histoire avec un grand H nous avait habitués à des héros shakespeariens, pleins de bruit et de fureur, grandioses malgré (ou à cause) de leur part d’ombre et de leurs secrets d’alcôve. Lénine, Mao, De Gaulle, Bourguiba, Houphouët-Boigny, John Kennedy, Mitterrand, etc. n’étaient pas des enfants de chœur mais ils avaient de l’étoffe, ils avaient du panache: des comédiens à la dimension du rôle, quoi ! Le plateau s’est beaucoup déprécié depuis. On est passé du Bolchoï au trottoir, de la grande étoile au cabotin. L’élégance a déserté les palais. Les gestes se sont alourdis. Les costumes ont pris une couche de crasse, les propos, un accent de populo.
«Casse-toi, pauvre con !»
Finie la belle époque où un locataire de l’Elysée répondait à un quidam qui l’avait traité de connard: «Enchanté, moi, c’est Chirac!»
Fini le temps où l’on bâtissait le Taj Mahal pour sa favorite, où l’on offrait la pyramide du Louvre à une belle conservatrice de musée ! On ne rejoint plus sa dulcinée à bord d’un carrosse ou au volant d’une Cadillac mais au guidon d’un scooter. On ne flirte plus dans les alcôves de Versailles ou de l’Alhambra, on se dépêche de tirer un coup avec la soubrette du Sofitel. Même détestés du peuple, nos Archiducs, nos présidents et nos grands timoniers jouissaient d’une certaine aura. Cette époque est terminée. A force de faire comme vous et moi, ceux d’aujourd’hui sont plus proches du bouffon que du roi. Et dans cette confusion des rôles, ce sont bien sûr, les professionnels qui gagnent. Si Coluche a échoué l’Elysée en 1981, c’est parce qu’il avait devant lui non pas des clowns, mais de véritables acteurs, des vedettes du jeu politique classique : Mitterrand et Giscard d’Estaing. En Ukraine, Volodymyr Zelensky a facilement battu Petro Porochenko parce ce qu’à force de se lasser des amateurs, les palais se sont ouverts aux clowns de métier. Et je suis sûr que ce qui vient de se passer à Kiev n’est qu’un début. Sentant que leur heure est venue, partout, pitres et saltimbanques montent à l’assaut du pouvoir. Ce qui est leur droit deviendra bientôt leur privilège : la dynastie des clowns en lieu et place de celle des tristes sires et des nains !
En 2010, le comédien ivoirien, Adama Dahico, n’a pas craint de se présenter à l’élection présidentielle de son pays et de s’en tirer avec le très honorable score de 0,13%. Avant lui, au Mali, en 1990, mon ami humoriste, Habib Dembélé, plus connu sous le sobriquet de Guimba, avait déjà osé défier Alpha Oumar Konaré et les autres vieux crocodiles de la politique malienne avec un score tout aussi honorable. Nos humoristes nous sauveront-ils de la grisaille ambiante ? Rien n’est plus sûr. Tenez, voici ce qu’écrivait Guimba sur ses affiches de propagande: «Ne votez pas pour ceux qui vous font pleurer, votez pour celui qui vous fait rire !» C’est ça, rions donc, cela nous fera oublier la fringale et le palu, le bourrage des urnes et les tripatouillages constitutionnels !
Adama Dahico, Oyé ! Guimba, oyé! Longue vie au président Volodymyr Zelenski !
Tierno Monénembo