Une polémique aussi inattendue que violente menace de déchirer la toile pour inonder les nouveaux médias. Elle ressemble, à s’y méprendre, à une tempête sur un tapis de prière. A l‘occasion de l’Aïd-el-Fitr du mardi 4 juin, un imam de Kankan, El Hadj Ismaël Nanfo Diaby, a pris la décision de conduire la prière en N’Ko, langue nationale malinké, pour s’acquitter de son devoir religieux, en présence d’un nombre relativement important de fidèles musulmans. Le tollé qui s’en est suivi a débordé les pages de Facebook qui en ont fait les premiers comptes rendus pour déferler sur les sites–web avec une rare efficacité. A telle enseigne que le 10 juin, l’État guinéen a décidé d’entrer dans la danse à son tour, à travers une décision collégiale de suspension à l’encontre de l’Imam Diaby, émise par toutes les autorités locales de Kankan. Co-signée par le Secrétaire Général de la Ligue islamique de la préfecture, ceux de la Commune et de la Région, la décision de suspension a connu une très large ampliation, jusqu’au Gouvernorat de la Région. L’État aura donc été largement associé aux mesures punitives que l’Imam a subies. « Accusé, levez-vous !» est-on tenté de hasarder ! Sans condamner ni absoudre. Le casse-tête n’est pas que « kankanais…»
Faute d’expertise en droit canonique, islamique, coranique…, en l’absence de toute référence jurisprudentielle, l’on n’est réduit qu’à se poser des questions. A poser des questions. D’abord sur les quatre motifs de la décision qui porte sur « le non-respect de la personne humaine ; de la hiérarchie islamique et religieuse : » ainsi que sur « les nécessités de services.» S’interroger aussi sur le fondement de l’alinéa 2 du texte. Parce qu’il stipule entre autres, que l’imam Diaby est interdit de prière dans toutes les mosquées de Kankan. Et celui-ci de répondre qu’il continuera « à prier en N’ko chez moi. Je ne vais pas arrêter ça jusqu’à ma mort, car il n’y a pas un seul verset qui dit de prier uniquement en arabe. Dieu a envoyé le coran en arabe pour que le prophète Mohamed (PSL) puisse comprendre et transmettre le message divin à son tour. Le prophète lui aussi n’a pas dit dans ses hadiths de prier en arabe.»
Faute de mieux, deux textes vous viennent en tête. Le premier surgit naturellement de la Constitution guinéenne. Vous pouvez n’en évoquer que l’article premier :
« La Guinée est une République unitaire, indivisible, laïque, démocratique et sociale.
Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race, d’ethnie, de sexe, de religion et d’opinion.
Elle respecte toutes les croyances.
La langue officielle est le français.
L’Etat assure la promotion des cultures et des langues du peuple de Guinée.
… »
Le second est un peu plus archaïque, parce que relatif à un passé quelque peu gênant pour…l’Eglise catholique. Qui avait eu mailles à partir avec un certain Galilée, Italien de son État qui, né à Pise en 1564, avait amélioré les découvertes de Copernic et boosté le développement de la lunette astronomique pour mieux observer les astres. L’ordre établi s’est vu dans l’obligation de basculer. Voilà comment les historiens résument la scène :
Avec la lunette de Galileo Galiléi, l’on a pu enfin « observer les planètes et les étoiles d’un peu plus près. À dire vrai, elle avait déjà été inventée par un Hollandais mais lui, la perfectionne et réussit à grossir 30 fois l’objet observé quand la première version ne le grossissait que trois ou quatre fois. Grâce à son invention, il peut maintenant observer la voie lactée, distinguer des cratères sur la Lune, des tâches sur le soleil et même des étoiles jusque-là invisibles ! Il écrit un livre pour décrire ses observations et jouit d’un succès immédiat.
Galilée défend la thèse copernicienne, selon laquelle la terre n’est pas le centre de l’Univers, mais tourne sur elle-même et autour du soleil. Cette thèse n’est pas nouvelle, elle est connue, mais personne n’avait osé la défendre ouvertement et en langue ordinaire, compréhensible par tous. Rendez-vous compte ! Sur un plan religieux, ça pose problème : avec cette théorie, nous ne sommes plus le point de mire de Dieu, mais un petit point perdu dans l’univers.
Les princes de l’Église se raclent la gorge. Même le pape Urbain VIII, qui connaît personnellement Galilée, ne peut pas empêcher un procès. Galilée est condamné à la prison, en fait à la résidence surveillée. Mais aussi, le savant doit abjurer, renoncer à ses hypothèses, en lisant un texte dans lequel il reconnait ses erreurs. Cela, quand vous savez que vous avez raison, c’est un véritable supplice. La légende veut qu’après cette lecture, Galilée ait murmuré : Et pourtant, la Terre, elle tourne ! Il faudra attendre 1992 pour que l’Eglise, par la voix du pape Jean Paul II, reconnaisse ses torts à l’égard de Galilée.
Certainement qu’à Kankan, l’histoire ne sera ni aussi patiente ni assez pertinente, puisque la science est encore loin derrière nous, comme l’avait prétendue Nicolas Sarkozy à l’Université de Dakar. Même s’il a été démenti à l’Université de Ouagadougou par Emanuel Macron, comparaison n’est pas encore raison.
Diallo Souleymane