La Guinée est l’un des rares pays africains qui peuvent s’enorgueillir d’avoir dépénalisé partiellement les délits commis par voie de presse. Le Conseil National de Transition, qui a élaboré la loi organique relative à la liberté de la presse, a opté pour la suppression des peines privatives de liberté en matière d’infractions commises par voie de presse pour ne retenir que des peines d’amende.
Cette loi qui a été adoptée à la suite de débats très houleux entre partisans et adversaires de la dépénalisation partielle des délits de presse, a toujours provoqué une certaine hostilité de la part de ceux qui conçoivent mal qu’un journaliste qui a commis une infraction dans l’exercice de sa profession ne puisse pas aller en prison. Un ancien ministre de la Communication avait même qualifié cette loi de contraire à la Constitution en ce sens qu’elle rompt l’égalité entre les citoyens devant la loi. Il avait évoqué un traitement de faveur injustifié et insupportable au profit des journalistes.
Cette hostilité ne s’est jamais estompée, surtout que l’auteur d’une infraction commise par voie de presse bénéficie de la protection de la loi sur la liberté de la presse même s’il n’est pas journaliste. Le législateur n’a en effet pas tenu compte de la qualité de l’auteur de l’infraction mais des moyens par lesquels l’infraction a été commise. Autrement dit, pour qualifier un délit de « délit de presse », le critère pris en compte n’est pas la qualité de journaliste mais le ou les moyens par lesquels l’infraction a été commise. Et ces moyens sont indiqués par la loi elle-même.
Mais cette relative protection de la presse risque d’être menacée en raison du fait que certains parquets commencent à engager des poursuites, en cas de délits commis à travers par exemple un journal en ligne, non pas sur la base de la loi organique relative à la liberté de la presse mais la loi portant sur la cybercriminalité. Or, cette loi comporte de très lourdes peines d’emprisonnement et des peines d’amende très élevées.
En clair, pour contourner la loi organique relative à la liberté de la presse dont on sait qu’elle ne prévoit que des peines d’amende plus ou moins raisonnables, on fonde les poursuites sur la loi portant sur la cybercriminalité. Cette démarche procédurale risque de porter un sérieux à la liberté de la presse et à la liberté d’expression en exposant à des peines d’emprisonnement et à de fortes amendes les journalistes et d’autres personnes poursuivies poursuivis pour des faits susceptibles d’être qualifiés de délits de presse et normalement soumis à la loi sur la liberté de la presse.
C’est comme s’il y avait une tentative de plus en plus prononcée d’intimidation ou de musellement de la presse et une volonté de faire taire toutes les voies critiques de ce pays. Le journaliste n’est certes pas au-dessus de la loi. C’est un justiciable comme tout autre justiciable. Mais s’il existe une loi spéciale applicable à l’exercice de la profession journaliste, elle doit être obligatoirement appliquée. Le jour où la nécessité de revenir à la loi de 1991 se posera, rien pourra interdire à l’Assemblée nationale de modifier la loi organique 002/ CNT. Mais en attendant, cette loi doit s’appliquer. En dépénalisant les délits de presse, le legislateur n’a pas voulu accorder une faveur au journaliste. Il a tout simplement tenu compte des risques liés à l’exercice de la profession de journaliste. Celui qui a pour profession de rechercher, de collecter, de traiter et de diffuser des informations dérange toujours et prend des risques évidents et très élevés dans certains cas. Il lui arrive en effet de publier des informations que certains auraient voulu garder ou retenir ; des informations dont ils ne voulaient pas voir le public informé. Dans ces conditions, l’une des meilleures manières de protéger les journalistes est de veiller à ce qu’ils ne fassent pas l’objet de poursuites ou de mesures privatives de liberté dans l’unique but de les bâillonner.
La liberté de la presse, la liberté d’expression, la liberté d’opinion sont des prérogatives dont le respect simpose aux autorités . Et chaque citoyen doit jouer un rôle d’observateur et de lanceur d’alerte quand au respect et à l’exercice effectif de ces libertés. Si la liberté de manifester, la liberté de réunion, la liberté de la presse, la liberté d’expression, la liberté d’opinion font l’objet de restrictions non fixées par loi, c’est tout l’édifice démocratique si patiemment construit qui risque s’écrouler.
Maitre Traoré Mohamed
Ancien Batonnier de l’ordre des Avocats