Depuis le mois d’avril 2019, la rumeur courait qu’il y avait un projet de révision constitutionnelle dans l’agenda du gouvernement qui devrait porter sur les dispositions intangibles de la constitution de 2010. Après toute analyse, j’étais l’un des rares juristes à affirmer dans un article que j’ai fait publier sur un certain nombre de sites de la place qu’il y avait : une impossibilité de révision constitutionnelle opposée à la possible élaboration d’une nouvelle constitution. J’avais effectivement expliqué dans l’article qu’une tentative de révision constitutionnelle qui emprunterait la procédure normale de (l’article 152) ne pouvait aboutir à son terme. Par la force des choses, nous avons également appris que la donne avait changé parce que simplement, le gouvernement a compris avec l’aide de ses conseillers, que les obstacles qui se dressaient sur le parcours était difficile à transcender. Dans le climat politiquement complexe de l’heure, le Président de la République, après une hésitation entre d’une part, un changement de la constitution qui consiste en une simple révision de celle existante et d’autre part, un changement de constitution abrogeant et remplaçant la constitution en vigueur par une nouvelle, opte finalement pour la seconde solution. Donc à travers des mouvements de soutien et les discours tenus par les voix les plus autorisées, l’option s’est précisée. Mais sans discours politique officiel qui donnait les grandes lignes de ladite reforme. Dans la foulée, certains médias et précisément la plus part des radios privées de la place, m’ont interpellé en ma qualité d’universitaire et analyste des questions politiques, pour donner ma lecture des faits.
Dans les différents studios, je me suis exprimé en ces termes : le climat délétère qui règne présentement était non-sens, car je ne vois pas le bien-fondé de la contestation et les mouvements de soutien. On soutient quoi ? Et on conteste quoi ? Pour le moment, aucune vision, aucun « modus operandi » n’a été dévoilé par le Président de la République. En conséquence, il fallait attendre que ce discours soit tenu pour que le débat soit engagé entre les Guinéens. Donc, j’ai insisté que ce discours était impatiemment attendu.
Le 19 juin 2019, le Ministre des Affaires étrangères et des Guinéens de l’Etranger à l’adresse de toutes les Ambassades et Représentations Diplomatiques et Consulaires de la République de Guinée publie une note sur l’opportunité et la nécessité d’adopter une nouvelle constitution en République de Guinée.
En effet, le discours attendu est enfin arrivé. Donc la vision, la philosophie, les objectifs et le modus operandi de la réforme des institutions sont dévoilés. Sur la question, les idées, très claires dès le début, sont exprimées le 19 juin 2019 sur l’opportunité et la nécessité d’adopter une nouvelle constitution. Oui ! Cette opportunité avait été projetée par les rédacteurs des accords de Ouagadougou en 2009, la nécessité était là, il fallait la saisir à la fin de la transition en 2010.
Une réforme de nos institutions était nécessaire, non pour tout remettre en question, mais pour assurer une meilleure continuité à notre trajectoire historique déjà remarquable, tout en rectifiant les dysfonctionnements qui ont pu menacer la stabilité de notre pays ou amoindrir la portée de nos efforts de développement.
Pour pallier les insuffisances relevées dans le fonctionnement des institutions autant que pour consolider les acquis positifs de la démocratie guinéenne, notre pays a besoin d’une harmonieuse conjugaison de la continuité et de l’innovation constitutionnelle certes, mais après avoir réglé un certain nombre de préalables.
Ainsi, il me parait en ma qualité de juriste constitutionnaliste et de chercheur universitaire, d’apporter ma modeste contribution à la faisabilité de la réforme envisagée. Pour accomplir cette noble mission, je vais garder mon manteau d’universitaire tout le long du parcours, je serais critique mais neutre, je serais également distant tout en prenant de la hauteur. Enfin de compte, je vais observer une équidistance « axiologique » vis-à-vis de tous les acteurs. Pourquoi ? Malheureusement, dans notre pays dès que vous ouvrez la bouche ou que vous prenez la parole directement, on vous range dans un camp. Je veux être à l’abri. Mon souci, c’est de contribuer aux cotés de tous les réformateurs de la République, à la construction de l’Etat de droit et de la démocratie dans mon pays.
C’est pourquoi, dans notre analyse, nous allons rester fidèle au plan proposé par l’auteur de la note qui dégage les grandes lignes de la réforme que le président de la République ambitionne pour le peuple de Guinée. Le document est intitulé : « Note sur la nouvelle constitution ». « Selon son auteur, elle a pour objet d’exposer les principaux motifs, la procédure à envisager et les innovations à proposer par cette nouvelle constitution ». En effet, l’analyse portera essentiellement :

  1. Sur l’observation de principe,
  2. Les principaux motifs exposés par le document
  3. La procédure à envisager pour la faisabilité
  4. Les Innovations apportées par la nouvelle constitution qui sera proposée

I – OBSERVATION DE PRINCIPE

La Guinée a expérimenté le changement de dirigeant à la tête de l’Etat par l’alternance en 2010, confortant ainsi sa place dans le club des démocraties pluralistes.
Ce changement de personnel dirigeant a été perçu comme une opportunité historique de mise en place d’un nouveau régime politique, d’une nouvelle République et au-delà, d’un nouvel ordre politique, social et éthique. Il était question de mettre fin à la dictature militaire de 1984 à 2008. Aux yeux des Guinéens, le changement de personnel politique doit entraîner un changement de régime, parce que le mode de gouvernement a été désigné comme coupable des dysfonctionnements institutionnels et des contre-performances politiques et économiques. Notre pays ne souhaite plus revivre une mauvaise expérience. Il était question pour le Président vainqueur en 2010 de respecter la promesse des accords de Ouagadougou. La preuve de leur bonne foi. Une entreprise politique qui était censée avoir pour intérêt de permettre aux nouveaux dirigeants de mobiliser les populations pour l’œuvre de construction et de redressement nationaux sur la base d’un nouveau contrat social qui devrait alors être matérialisé par une nouvelle constitution. Cet engagement n’a pas été tenu par les nouvelles autorités. C’est pourquoi, plus d’un guinéen se pose la question sur l’opportunité d’une reforme de nos institutions à date. Selon les juristes qui soutiennent la réforme constitutionnelle initiée par le Président de la République, la constitution de 2010 a prévu son abrogation. La note sur la « la nouvelle constitution » affirme : « Selon certains opposants à l’idée d’une nouvelle constitution, la constitution guinéenne de 2010 ne prévoit que sa révision et non son abrogation ».
Comme pour dire que la constitution de 2010 contient une disposition expresse qui prévoit sa révision totale. Sur un autre registre, comment a-t-on pu utiliser une disposition d’une constitution pour mettre à mort la même constitution ? Cela n’a certainement pas de sens : une constitution ne peut pas volontairement contenir les germes de sa propre destruction ou fournir les armes qui causent sa propre mort. Et puis, cela serait un précèdent dangereux consistant à ouvrir la porte à tout Président, désireux de se doter de « sa constitution », de le faire aisément et à tout moment. C’est vrai qu’il existe des constitutions qui prévoient expressément la révision totale de la constitution comme (la Suisse, l’Uruguay, le Nicaragua, le Costa Rica, la Bolivie, etc…) et d’autres qui rejettent cette option (voir C. SCHMITT, la théorie de la constitution, 1989, P.241-242) notre pays appartient à cette catégorie qui rejette l’option de la révision totale de la Constitution. En quoi ces futurs tailleurs constitutionnels nous font croire que la Constitution de 2010 contient une ou des dispositions qui prévoient son abrogation. Nous pensons que cela n’honore pas intellectuellement notre pays, car parmi les destinataires de cette note sur la nouvelle constitution, il y a des juristes et pas des moindres et qui ont à leur portée, la constitution de 2010.
A la limite, ceux-là qui ont conçu le modus operandi de la réforme n’ont qu’à expressément viser cette disposition de la Constitution de 2010 à l’intention non seulement des lecteurs curieux, mais aussi de la communauté des juristes éclairés mêlés au débat national. Cela va nous éviter les interprétations confuses. Je pense qu’ils ne réussiront pas !
La deuxième interrogation de l’observation de principe de la note sur la nouvelle constitution pose la question juridique du titulaire de l’initiative en ces termes : « Selon les mêmes critiques, le Président de la République ne peut pas proposer une nouvelle constitution au peuple ». Selon eux, « la réponse est simple, seule l’autorité en charge de la gestion de l’Etat a compétence pour le faire ». Dans l’analyse de cette interrogation, tous les néo-constitutionalistes sont unanimes à reconnaître que ce droit ne peut pas être refusé au Président de la République, premier magistrat du pays, élu au suffrage universel autour de laquelle personne tout le jeu politique se déroule.
Le Président de la République peut prendre l’initiative d’élaborer une nouvelle Constitution, mais dans la forme, puisque ce n’est pas lui qui décide.
La forme c’est quoi ? Dans l’option d’une nouvelle constitution, la procédure est lourde et complexe même couteuse. Les préoccupations qui l’amènent à initier une nouvelle Constitution sont dans l’ordre métajuridique, la base juridique de ses préoccupations ne sont plus dans l’ordre juridique existant, mais en dehors. Donc, nous sommes dans le factuel, le conjoncturel et même la contingence.
En conséquence, la mobilisation du pouvoir constituant originaire obéit au respect d’une lourde et complexe procédure.
Dans l’hypothèse de l’adoption d’une nouvelle constitution, dans un contexte pas de changement démocratique mais de continuité, nécessite, en principe, l’accord des instances de l’ordre constitutionnel, notamment celui de l’Assemblée nationale et les autres acteurs de la société, pour permettre la conduite d’un processus apaisé.
Le parlement peut alors s’ériger en Assemblée constituante pour rédiger le projet de constitution, comme il lui est également loisible de voter les pleins pouvoirs au Président de la République, pour l’habiliter à déclencher un processus constituant devant engendrer une nouvelle constitution. De quelque manière que cela puisse être, le parlement est toujours au centre d’un processus constituant.
Le processus constituant marqué par le passage d’un régime constitutionnel à un autre régime constitutionnel doit avoir une base juridique qui va permettre de jeter un « pont » qui assure la jonction entre les deux régimes. C’est l’existence d’un acte juridique qui prépare, légitime l’œuvre d’élaboration et de validation d’une nouvelle constitution. Cet acte, c’est une « pré-constitution » qui met fin à un régime constitutionnel et en annonce un nouveau. En politique constitutionnelle comparée, ces « pré-constitutions » sont toujours élaborées, même dans les Etats théâtres de changement de gouvernements par des voies non électorales. Si les règles de forme ont pu être respectées dans les situations de changement non démocratique de gouvernement, pourquoi ne le seraient-elles pas dans un pays où le changement de personnel politique s’est fait dans le respect absolu de l’orthodoxie démocratique 
En tout cas, le fait de passer d’un régime à un autre, d’une République à une autre sans connexion juridique entre les deux, en contournant l’itinéraire tracé ou suggéré par la loi fondamentale et la tradition constitutionnelle universelle, est forcément attentatoire au prestige d’une démocratie.
Nous pouvons conclure en disant :
Premièrement : que depuis 1958 jusqu’en 2010, la Guinée n’a pas connu de constitution qui ait prévue expressément dans la rubrique des révisions, son abrogation. L’abrogation, selon le lexique des termes juridiques : « C’est la suppression d’une règle de droit par une nouvelle disposition qui lui est substituée pour l’avenir » (voir lexique des termes juridiques 2016-2017 P.3)
Donc, affirmer que la constitution de 2010 comporte une disposition qui prévoit son abrogation est une fausse déclaration.
Deuxièmement : Aucun juriste éclairé ne peut nier que le Président de la République est le principal initiateur de la révision.
Conformément à l’économie générale du Présidentialisme auquel la Guinée a souscrit depuis 1958, la procédure de révision de la constitution reflète la prééminence institutionnelle et politique du Président de la République. Bien que le texte constitutionnel confère la capacité de déclenchement de la révision de la loi fondamentale concurremment au chef de l’Etat et aux députés, la pratique montre une véritable domination, un vrai monopole du Président de la République en matière. Quoi de plus normal ?
Le Président de la République détermine et conduit la politique de la nation en général et la politique constitutionnelle en particulier. Son monopole de l’initiative des lois de révision n’est qu’une composante de sa maîtrise de l’initiative générale. Donc, le débat est clos à ce niveau.

II – LES PRINCIPAUX MOTIFS JUSTIFIANT UNE NOUVELLE CONSTITUTION

Il est noté que la constitution de 2010 recèle des lacunes qui méritent d’être corrigées. Parmi ces insuffisances, ils ont invoqué (4) quatre points qui sont :
– Le mode d’adoption de la Constitution de 2010
– Les attributions au niveau de l’exécutif pratiquement les articles 45 et 52 de la Constitution
– Le contrôle de l’action du gouvernement par le législatif

On évoque le plan normatif.
Prenant pour angle d’attaque la dynamique de démocratisation, l’analyse du contenu des reformes distingue : les reformes consolidantes et les reformes déconsolidantes de la démocratie. Cette classification appelle une explication : la révision consolidante s’entend ici, dans la forme de la mise en œuvre, d’une réforme constitutionnelle plus ou moins consensuelle, à tout le moins non controversée. Progressiste dans son fond, elle consacre l’amélioration du fonctionnement des institutions et ou un progrès de la démocratie et de l’Etat de droit. A l’inverse, peuvent être considérées comme des réformes constitutionnelles déconsolidantes ou régressives, les reformes non consensuelles dont les motivations réelles sont difficilement rattachables à des préoccupations de l’amélioration du fonctionnement des institutions, à la rationalité démocratique et au progrès de l’Etat de droit (voir I.M. Fall les révisions constitutionnelles au Sénégal PP 97-98)
En effet, quand on parcourt les différents points des principaux motifs justifiant la nouvelle constitution, on est vraiment confus, il n’y a vraiment pas de discernement.
En ce qui concerne le mode d’adoption de la constitution de 2010, tous les Guinéens connaissent l’histoire de cette constitution. Les circonstances dans lesquelles elle a été adoptée dédouanent bien les rédacteurs, il appartenait effectivement aux bénéficiaires du changement démocratique d’initier une révision constitutionnelle pour réécrire toutes les dispositions à polémique qui sont citées çà et là. On aurait dû nous présenter autrement dans un document comme celui-ci les motifs clairement avoués :
– Dire que cette réforme s’est voulue intemporelle, inclusive et couvre plusieurs aspects fondamentaux de la constitution
– Apporter la sécurité à notre régime politique, en le mettant à l’abri des changements en fonction des intérêts partisans
– Faire la promotion de la transparence dans l’exploitation des ressources naturelles en général, des ressources minières en particulier
– La modernisation du système des partis politique, la Guinée en a besoin
– Etc…

Une telle quantification pouvait mieux éclairer les opinions.
Evidemment, le contenu des exposés des motifs des lois révisant la constitution n’est pas sans équivoque. Autant les exposés des motifs des reformes consolidantes sont intéressants, instructifs et fiables pour la compréhension des tenants et aboutissants d’un changement constitutionnel, autant ceux des révisions déconsolidantes sont masqués, maquillés, en un mot, mensonger. Avec des objectifs inavoués, ces derniers brouillent les pistes pour embrouiller l’opinion et induire en erreur ceux qui s’y fient.
On parle également de la non-prise en compte de certaines préoccupations sociales et environnementales des concitoyens. Il s’agit par exemple des droits de la défense, de la protection de l’environnement, de l’égalité des citoyens et de la question du genre, des droits de l’enfant, des femmes et de la jeunesse etc…
Ce beau paragraphe n’est plus étrange aux Guinéens, car ses préoccupations sont déjà consignées dans certains textes nationaux. Mais depuis, qu’est-ce qu’on en a fait ? Les engagements pris n’ont jamais été tenus : le droit à un environnement sain ! Conakry n’est-elle pas la ville la plus sale de la sous-région ? Il y a des droits dans ce monde, pour les réaliser, l’Etat qui les proclame doit être dans des dispositions conséquentes surtout quand on à faire à des droits ou liberté à caractère social ; la faisabilité laisse à désirer pour les Etats comme le nôtre qui peine à tenir ses engagements les plus élémentaires du développement.

III – L’IRREGULARITE DE LA PROCEDURE A ENVISAGER

L’article 51 de la constitution de 2010 dispose : « Le Président de la République peut après avoir consulté le Président de l’Assemblée nationale, soumettre à un referendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics ». La formule de l’article 51 fait appel à des observations suivantes : la consultation du président de l’Assemblée national ne soulève pas de difficultés dans la mesure où celui-ci appartient à la majorité Présidentielle.
Cependant, la question de droit qui se pose à la lumière de ce dispositif est la suivante : le Président de la République peut-il valablement utiliser une procédure prévue (dans une optique minimale) pour soumettre (dans une perspective maximale) un projet de constitution ? Qui peut le plus peut le moins, dit l’adage, mais l’inverse n’est certainement pas vrai. Est-ce qu’en droit, le terme « loi » peut être automatiquement synonyme de « constitution », document juridique fondateur d’un Etat ou d’un nouveau régime politique ?
La réponse doit être négative, au regard de la tradition constitutionnelle guinéenne. Celle-ci a toujours utilisé le terme constitution pour poser l’acte fondateur d’un nouveau régime politique comme ce fut le cas en 2002, le terme loi constitutionnelle lorsqu’il était question de procéder a une révision modification de la loi fondamentale du 23 décembre 1990. (Voir la loi fondamentale du 23 décembre 1990 révisée par le décret D/2002/48/PRG/SGG du 15 mai 2002, promulguant la loi constitutionnelle adoptée par référendum du 11 novembre 2001).
Dans le même sens, le terme loi organique est utilisé lorsqu’il s’agit de matière pour lesquelles le constituant a expressément renvoyé au législateur organique. Le terme de loi tout court sert à désigner les lois ordinaires.
Ainsi, lorsque le mot est sans qualificatif, il renvoie, dans la tradition constitutionnelle, universelle à la loi ordinaire. En réalité, il ne faut pas que le processus constituant guinéen privilégie l’expression d’une volonté politique sur le respect des formes.
D’abord, sans être uniquement habilité à mener une opération constituante, le Président de la République a fait rédiger une nouvelle constitution. Quelle est la base juridique de cette initiative personnelle ? Lors de l’élaboration de la loi constitutionnelle de 1963 au Sénégal, il y a eu la loi de pleins pouvoirs (loi du 18 décembre 1962) qui a donné « carte blanche » au Président Senghor, pour conduire ladite réforme. De même en France, lors des péripéties de la naissance de la 5ème République Française, le Parlement a adopté la loi du 3 juin 1958 qui a confié au Général de Gaulle mandat de piloter une réforme constitutionnelle.
Ensuite, au nom de quelle logique a-t-on pu recourir à une disposition de la constitution, en l’espèce l’article 51, pour mettre fin à la constitution et lui substituer une autre ?
A la lumière de ces observations, le processus constituant déclenché par le Président de la République veut marquer le passage d’un régime constitutionnel à un autre régime constitutionnel, sans la base juridique qui aurait dû permettre de jeter un « pont » qui assure la jonction entre les deux régimes. Si cette attitude n’est pas corrigée, elle risque de compromettre le prestige de notre jeune démocratie. Autrement dit, ce qui va faire défaut dans ce changement de constitution, c’est l’existence d’un acte juridique qui prépare, légitime l’œuvre d’élaboration et de validation d’une nouvelle constitution. Cet acte, c’est une « pré-constitution » qui met fin à un régime constitutionnel et en annonce un nouveau.
Enfin de compte, l’article 51 visé par les initiateurs du processus constituant, ne peut jamais répondre à cette attente soulignée ci-dessus.
La preuve, son caractère laconique ou si vous voulez sa mauvaise formulation, a fait couler beaucoup d’encre ailleurs. Au Sénégal, la réforme constitutionnelle du 28 Septembre 2012 a définitivement corrigé cette lacune rédactionnelle. L’article 51 de la loi constitutionnelle du 05 avril 2016 de la République du Sénégal dispose : « Le Président de la République peut après avoir recueilli l’avis du Président de l’Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel soumettre tout projet de loi constitutionnelle au referendum. Il peut, sur proposition du Premier Ministre et après avoir recueilli l’avis des autorités indiquées ci-dessus, soumettre tout projet de loi au referendum.
Les cours et tribunaux veillent à la régularité des opérations de referendum. Le conseil constitutionnel en proclame résultats ». A la lumière de la clarté de cette disposition, le constituant Sénégalais a séparé la matière constitutionnelle de la matière législative. D’où l’intégration de l’article 51 dans les principaux motifs justifiant une nouvelle constitution. Malheureusement, cette préoccupation juridique pertinente n’est pas intégrée.
En effet, dans la procédure, avant de faire appel à l’article 51 de la constitution de 2010, le Président de la République doit réaliser une étape substantielle, celle d’instaurer une commission nationale de réforme des institutions qui se chargera de mener, selon une méthode inclusive et participative, la concertation nationale sur la réforme des institutions : formuler toutes propositions visant à améliorer le fonctionnement des institutions, à consolider la démocratie, à approfondir l’Etat de droit et à moderniser le régime politique. Cette étape ultime va donner à la procédure un caractère consensuel apaisé. Pour éviter toute velléité de contestation, il faut accepter de prendre le recul, associer toutes les sensibilités, les écouter et capter l’essentiel de ce qui doit rendre nos institutions plus performantes et adaptées ou inspirer nos politiques publiques. Voilà une démanche qui, assurément, permet de dégager les solutions les plus appropriées et les plus durables.

IV – LES INNOVATIONS A APPORTER PAR CETTE NOUVELLE CONSTITUTION

Les innovations apportées ne semblent pas pertinentes par rapport aux préoccupations générales des Guinéens. L’idéal des Guinéens aujourd’hui, c’est moderniser, stabiliser et consolider notre démocratie, renforcer l’Etat de droit et améliorer la gouvernance des affaires publiques. L’enracinement de ces valeurs dans notre culture démocratique peut être un bon fondement du projet d’élaboration de la nouvelle constitution.
Dans le souci de contribuer à l’innovation ou aux innovations à apporter à la nouvelle constitution, nous allons leur proposer une gamme d’innovation qui traduise les préoccupations du Guinéen moderne notamment :

  1. La modernisation du rôle des partis politiques dans le système démocratique ;
  2. La participation des candidats indépendants à tous les types d’élections ;
  3. L’ouverture totale du prétoire de la cour constitutionnelle en matière de libertés et des droits fondamentaux
  4. Le renforcement de la citoyenneté par la concrétisation des devoirs du citoyen
  5. Le renforcement des droits de l’opposition et de son chef ;
  6. L’intangibilité des dispositions relatives à la forme républicaine, au mode d’élection, à la durée et au nombre de mandats consécutif du Président de la République.

Ces innovations à vrai dire tirent, pour l’essentiel leur inspiration intellectuelle, des valeurs et bonnes pratiques du constitutionnalisme universel. La proposition va aider non seulement à étoffer les innovations, mais aussi à mobiliser autour de l’idéal un pan important de la population guinéenne.

Fayimba Mara, Juriste constitutionnaliste
Professeur de Droit Public à l’Université
Général Lansana Conté de Sonfonia Conakry