S’il existe des domaines dans lesquels l’Etat guinéen excelle, c’est bien ceux de la magouille et des contre-vérités. L’illustration la plus parfaite aura été l’interview d’Alpha Condé chez nos confrères de Monde-Afrique la semaine passée. En voici une petite perle : Les manifestations du 14 octobre contre le projet de révision de la Constitution se sont soldées par la mort de neuf personnes, au moins. Etes-vous inquiet ?

Alpha Grimpeur, les yeux dans les yeux : Il peut se passer des choses beaucoup plus graves dans le monde et on ne dit rien. Mais dès que c’est ici on dit : « Ah ! Ça, c’est la Guinée »… Le ministère de la santé a décidé que dès qu’il y a un mort, il faut qu’il y ait une autopsie pour savoir qui a tiré. On fait des enquêtes. On sait que ce sont eux-mêmes [les organisateurs des manifestations] qui tirent sur les gens. Quand il y a des morts, ça impressionne la communauté internationale. Là, ce sont des tentatives de déstabilisation d’un pouvoir démocratiquement élu. L’opposition a toujours été putschiste et elle se dit que s’il y a des morts, on met ça sur le dos du gouvernement.

Dieu sait que dans tout pays civilisé, ce chiffre de neuf morts aurait entraîné une dernière chute, celle du ministre de l’Administration du territoire pour avoir persisté et signé qu’il n’y avait en tout et pour tout que deux morts. Le chiffre valait son pesant d’or. Parmi les malheureuses victimes, figurait un gendarme. Machiavel avait dû inspirer les stratèges du pouvoir. La conviction « du match nul » ne pouvait que s’imposer même si le pandore de Mamou a été tué par son collègue pandore, les détails viendront après l’enquête dont la clôture est prévue pour le 30 février prochain. Le fait est établi : un mort dans chaque camp.

Puisque l’opposition guinéenne n’est pas seulement la plus bête d’Afrique, mais aussi la plus cynique, elle n’hésite pas à réunir ses militants pour leur tirer dessus et coller l’homicide aux agneaux d’Alpha Condé qui assurent la sécurité des manifestants au prix de leur vie. Madifing Diané, le Gouverneur de Labé, ne s’en est-il pas inspiré pour réquisitionner l’armée et veiller au grain ? Les services de sécurité avaient déjà ramassé dans la rue un pistolet de fabrication artisanale, probablement destiné à la prochaine tuerie des manifestants de la région. Sûr que M. le Gouverneur a besoin de détecteurs d’armes et de …mensonges, pour équilibrer ses rapports. A moins qu.il ne donne raison à Alpha Condé pour qui, « Plus le mensonge est gros, plus le peuple l’avale sans rechigner. »

Maintenant que Général Bouréma Condé a décidé de reconnaître neuf morts en couvrant les deux autres d’un linceul de silence, il faut faire des mains et des pieds pour éviter l’autopsie. Un milicien du régime, qui exerce ses talents à l’Assemblée nationale, a déjà donné le ton et les couleurs-arc-en-ciel de l’opération. Amadou Damaro Camara s’est improvisée porte-parole des familles éplorées pour soutenir que la morale ne fait pas bon ménage avec l’autopsie. La morgue de l’hôpital Ignace Deen s’est vue dans l’obligation d’accueillir Alpha Ibrahima Keira, le ministre de la sécurité cadavérée, afin de rassurer, dans la discrétion, le docteur Awada et ses flics alentours, que le succès de l’opération est au bout des magouilles. Faciliter l’enterrement ne saurait relever que de la solidarité africaine. Les cadavres n’ont déjà que trop souffert. Les morts par balles, on les enterre aussi, non ?

DS