S’il y a bien un événement qui en plus de faire couler beaucoup d’encre et de salives, coûte des flots de larmes et de sang aux Guinéens, c’est le coup d’Etat manqué des hommes du Colonel Diarra Traoré en juillet 1985. En effet, pour percer le mystère des crises politiques à répétition que connaît la Guinée depuis 35 ans et comprendre les enjeux des antagonismes entre les principales ethnies de la Guinée, il faut d’abord remonter à cette tentative avortée de prise du pouvoir. Il ne faut pas rêver, les dialogues inclusifs, les médiations (nationales et internationales) et les (s)élections ne règleront pas la crise guinéenne. Une certaine conception de l’exercice du pouvoir est en jeu, tant qu’elle ne disparaitra pas des cerveaux des disciples de la gestion hégémonique et communautaire de la chose publique, les Guinéens buteront dans l’édification d’une Nation.  A moins que le rapport de forces ne s’équilibre.

Prendre la Guinée là où Sékou Touré l’a laissée

Au-delà de la simple punchline anecdotique, cette promesse sera l’une des rares tenues et scrupuleusement accomplies par le président Condé. Tel un pacte, il passera ses deux mandats à ramener la Guinée à la période du premier président guinéen, un régime fait de prééminence du parti sur l’État, d’ethnocentrisme et de régionalisme. Comme celui de son « modèle », la gouvernance Condé est incontestablement celle de la « maninkéisation » du gouvernement et de l’administration. On pourrait rajouter les forces de défense et de sécurité qui sont principalement issues des mêmes ethnies et dont les dirigeants se distinguent par leur appartenance à la même communauté. Dans la stigmatisation et la catégorisation des personnes selon leurs origines et la distribution des postes administratifs et même des institutions selon les régions, les résultats sont au-delà des attentes, car Alpha a parfaitement réussi son exercice de démantèlement de ce qui restait de notre socle. Désormais, ce n’est plus le savoir-faire, les compétences encore moins la probité, il suffit simplement d’être issu de l’ethnie au pouvoir pour bénéficier d’une ascension fulgurante et des marchés de l’Etat. Quand de surcroît, on est issu du RPG, c’est du bonus.

L’ethnie n’a jamais été aussi présente dans le débat qu’avec le RPG -qui n’a d’arc-en-ciel que le jaune dominant. Incapable de fabriquer des Guinéens, la gouvernance Condé a redonné aux Coordinations régionales une place et une importance prédominantes. Depuis 2010, c’est avec elles que se négocient les postes et c’est au nom d’elles que l’adhésion des citoyens est proclamée. Ce pitoyable raccourci donne l’impression est qu’à l’indépendance, ce sont quatre États indépendants qui ont décidé de créer la République de Guinée. Assurément, la stratégie a été simple : diviser pour mieux régner et isoler pour mieux contrôler. Les Guinéens ont excellé dans la partition de ce qui restait du territoire qu’ils ont en commun. La poursuite du règne de Sékou Touré s’est également manifestée par la complotite, les emprisonnements politiques, les arrestations arbitraires, les kidnappings et les nombreuses tentatives de musellement de la presse. La Guinée de Condé est donc une mise à jour de la Guinée postindépendance. Le Mandinka est redevenu la langue nationale, celle qui ouvre les portes des faveurs dans l’administration. La gestion du coup d’Etat manqué de juillet 1985 a permis à une ethnie frustrée et irritée d’avoir perdu le pouvoir 15 mois avant, de se remobiliser et de se mettre à l’écart de la Nation. Il faut dire que le chef des putschistes de 1984 a donné le bâton pour se faire battre et les mots pour se faire haïr. Aux yeux de l’ethnie ressuscitée et ragaillardie par Alpha Condé, son « Wô fatara ! » était tout simplement impardonnable. Dire que les cadres malinkés sont malhonnêtes est bien plus pardonnable. La boutade qui a suivi le putsch de juillet 1985 suivit son auteur jusqu’à sa tombe, preuve d’une haine viscérale contre quelqu’un qui dans un régime militaire, a tout bonnement puni des putschistes ayant échoué dans leur tentative de le renverser. Et pire encore, l’ethnie de Lansana Conté a été rendue responsable des actes du Général. Il est confirmé que l’amalgame et les généralités sont le comble de la détestation.

Cellou Dalein Diallo, le parfait opposant

Pour faire un grand champion, il faut avoir triompher d’un grand challenger. Dans le cas de la Guinée, un opposant peul suffit à rester au pouvoir. N’hésitant pas à le traiter de nain politique, Alpha Condé a très tôt été convaincu que son meilleur allié pour mourir au pouvoir se nomme Diallo. Bien évidemment pas pour des raisons objectives puisqu’il est indiscutable que ce dernier est plus compétent que lui. Le patronyme et l’ethnie de Cellou Dalein Diallo sont, aux yeux de Alpha Condé, de son parti et d’une frange importante de la population guinéenne, des atouts pour être un choix par défaut. L’histoire de la Guinée et malheureusement les événements actuels, militent en faveur de cette croyance : les Peuls sont des victimes idéales de la politique et de la vie sociale guinéenne. C’est donc de bonne guerre qu’il en a fait son « Chef de file de l’opposition », autrement dit, celui qui officiellement et au nom de son ethnie « ne souhaite pas que la Guinée avance », « l’ennemi », « le leader des anti-Guinéens ». Il faut rappeler que dans l’inconscient guinéen, le Foutah d’où est issu Cellou Dalein Diallo, est la région qui le plus voté pour le « Oui » lors du référendum du 28 septembre 1958 sur le projet de Constitution et de Communauté française proposé par le général de Gaulle, alors que le « non » l’avait emporté. Ce qui ne se dit pas, c’est que le « non » était bel et bien majoritaire partout, y compris en moyenne Guinée. Les adversaires politiques de Sékou Touré dans les années 50 étaient des Peuls qui échoueront dans leurs projets de gouverner la Guinée. Le parcours et le charisme de Diallo Telli avaient franchi les frontières et créé une certaine jalousie à Conakry. Le premier secrétaire général de l’Organisation de l’union africaine finira ses jours en prison alors qu’un avenir beaucoup plus radieux l’attendait. A ces faits historiques, il faut ajouter le discours, malheureusement toujours d’actualité, faisant des Peuls, des étrangers, des Somaliens. Inutile de revenir sur l’histoire de l’eau empoisonnée, ou encore sur les propos du candidat Condé disant que trois régions le soutiennent pour sa candidature de 2010. Au lendemain de « l’attaque » de son domicile privée, n’avons-nous pas entendu Alpha Condé dire que c’est « une communauté qui est derrière cette prétendue tentative de déstabilisation ? » Le simulacre de procès qui en suivi a bien montré qu’il fallait faire le ménage chez les peuls de l’armée et les récalcitrants de la classe politique. Quid de sa répartition de la présidence des institutions : la présidence pour la Haute Guinée, la Primature pour la basse-guinée, l’assemblée nationale pour la Forêt. Au Foutah l’institution de la contestation avec le poste-piège de Chef de file de l’opposition. Dix ans après avoir à isoler son challenger, Alpha Condé a encore sorti de sa besace, sa seule potion magique : isoler le Foutah, affaiblir la basse-Guinée, dénigrer la forêt pour renforcer le mandingue. C’est à Amadou Damaro qu’il reviendra l’honneur et l’horreur de rendre publique la stratégie : « seule la moyenne Guinée et ses démembrements de l’axe sont contre la nouvelle constitution ». Les deux ethnos le savent : tant que la contestation se résumera aux Peuls, le vase ne débordera pas, il n’y aucun risque de contagion, voire de révolution. Les condamnations du bout des lèvres montrent bien que vous pouvez tuer, blesser, emprisonner, piller des centaines de Peuls, vous en sortirez toujours intacts au pays de Sékou Touré et de Alpha Condé. Une enquête sera annoncée en cas d’insistance des instances nationales et internationales, et c’est tout. Aux prochaines victimes ! Ainsi donc, la lâcheté, la démagogie, l’hypocrisie et la haine sont à leur sommet au château d’eau d’Afrique de l’ouest. Les scandales liés aux exactions et aux tueries, n’ont rien d’infamant au pays du scandale géologique. Les répressions dans les zones hostiles et récalcitrantes n’ont donc rien d’anormal, elles constituent plutôt le gage de conservation du pouvoir à travers la désignation d’un ennemi présenté comme « commun ». C’est la réponse à double tranchant d’une efficacité jusque-là incontestable : mater les récalcitrants et montrer que les morts ne sont que des « Diallo », « Barry », « Baldé » et « Sow », ces empêcheurs de tourner en rond, ces éternels contestataires et perpétuels insatisfaits. Le cynisme jusqu’au bout.

Avec ce fichier électoral, c’est Kankan la capitale de la Guinée

La bataille l’acquisition d’un fichier électoral taillé sur mesure et pour le contrôle de la CENI a débuté bien avant l’accession d’Alpha Condé au pouvoir. Non content d’avoir porté plainte contre l’ancien président de la CENI Ben Sékou Sylla, le candidat Alpha Condé avait réussi à faire condamner celui à qui il reprochait d’être proche de Sidya Touré. Entre les deux tours des présidentielles de 2010, Alpha Condé avait exigé et obtenu la création de bureaux de vote suffisants dans ses fiefs de la Haute Guinée afin de multiplier ses chances de combler son retard sur Cellou Dalein Diallo. En politicien aguerri, il était conscient que seul un fichier électoral à sa guise peut lui garantir un confortable matelas lors de scrutins nationaux. Les élections locales, ne lui garantissent pas le succès dans ce schéma. C’est pourquoi il a tardé à les organiser, les a perdues avant de refuser d’officialiser les résultats. Lorsque Siguiri et son million d’électeurs ne peuvent pas effacer les électeurs de Ratoma et Matoto réunies, le rusé Alpha Condé sait que son échec est programmé, il ne le proclamera pas. Dès son arrivée à la présidence, il s’est évertué à se doter de « son fichier électoral », en gonflant les chiffres de son fief. Le faux et usage de faux se poursuivra jusqu’au recensement général de la population de 2014, qui viendra institutionnaliser la prise du pouvoir de la haute-Guinée : Kankan qui est plus peuplé que Conakry, devient la capitale de la Guinée. Le RPG Arc-en-ciel venait de réussir son coup de maître : un coup d’État constitutionnel pour confisquer le pouvoir. Désormais, Alpha Condé ou tout autre candidat présenté par le régime régionaliste d’Alpha Condé devra simplement se contenter de gagner en Haute Guinée, les autres Guinées s’aligneront malgré elles. Rien de plus normal que de constater que les présidents de la CENI (tous issus de la haute-Guinée) qui se sont succédé soient très proches du pouvoir et surtout imperméables aux exigences de transparence de l’opposition. La CENI est aussi devenue une autre institution réservée à la Haute Guinée. Réussir à en prendre la tête, c’est la garantie d’avoir des fonds illimités à gérer dans l’opacité la plus totale. Après tout, conserver le pouvoir a un coût qu’Alpha Condé est prêt à payer avec les caisses d’un État pauvre. Adieu les rêves de démocratie et d’alternance, ceux qui avaient cru à ses promesses de démocratie et de bonne gouvernance, peuvent continuer à s’apitoyer sur leurs sorts. Mme Djénabou Touré n’a plus besoin de trouver des explications saugrenues et ubuesques au déséquilibre de « son » fichier électoral, elle est de « la bonne ethnie », elle est une digne fille de sa région ayant réussi à léguer à la postérité parentale, un fichier électoral qui va leur garantir le pouvoir pour les prochaines décennies. A moins que…

Le 3 contre 1 de 2010 est devenu un 1 contre 3 en 2020

La difficulté avec laquelle Alpha Condé et les promoteurs de sa constitution, la clandestinité dans laquelle ils s’y sont pris pour recruter des soutiens, la vacuité des arguments aussi bien juridiques, sociaux qu’économiques pour justifier la nécessité d’adopter la nouvelle loi fondamentale, montrent bien que seules des positions dans l’administration et un accès illimité aux caisses de l’Etat motivent les promoteurs. Les autres acharnés n’ayant pas envisagé de vivre sans les avantages clientélistes. Ils le savent, leurs arguments sont bidons. La parité, la fabrication d’arbres, la promotion des jeunes et des femmes n’ont pas meilleures places que dans le programme de société d’un aspirant à la magistrature suprême, pour un octogénaire qui vient de découvrir l’écologie, ce n’est pas d’une nouvelle constitution qu’il a besoin, mais bien d’un séjour dans une maison de retraites ou dans un centre de désintoxication de boulimiques du pouvoir. Hélas, quand on décroche son premier emploi après l’âge de la retraite, quoi de plus normal que de penser que c’est la mort qui doit mettre fin à la vie active. Dans le débat sur la pertinence d’une nouvelle constitution, les arguments ne doivent pas être dits, ils doivent être montrés, visibles et indiscutables. Dans le cas de la Guinée, c’est à un dialogue de sourds que nous assistons : le comble de la mauvaise foi, c’est de dire le contraire de ce qu’on fait et de faire exactement ce qu’on reprochait à l’autre. C’est de vouloir modifier une constitution alors qu’on s’était opposé à cet exercice il y a quelques années. La conviction vient de l’intérieur, elle ne doit pas changer au gré des opportunités et des oppositions. Les événements que vit la Guinée ces dernières années sont des points d’un plan savamment et longtemps mûri : financer ses propres élections pour éviter toute ingérence de l’Union européenne ou d’une puissance occidentale, faire un nettoyage au sein des forces armées, recruter, équiper et former des forces spéciales, imposer le rapport de force, seul moyen de conserver le pouvoir dans un monde connecté grâce aux autoroutes de l’information et à l’omniprésence et la puissance des réseaux sociaux. Avoir eu à inventer une histoire, à trouver un lieu de naissance, à modifier son patronyme, à désigner une maman d’emprunt en lieu et place d’une vraie maman malienne à Alpha Koné pour le lancer dans la bataille politique guinéenne montrent bien le niveau de désarroi dans lequel se trouvaient (et se trouvent toujours) ceux qui l’ont fabriqué, mais surtout le manque de leadership d’ambassadeurs d’une communauté pourtant très attachée à la gestion clanique. N’avoir pas trouver de dauphin à Alpha Condé en 2020 plaide éloquemment en faveur de la précédente thèse. Plus qu’une grave manœuvre périlleuse pour l’avenir de la Guinée, cette initiative visant à garder Alpha Condé à la tête de la Guinée au-delà de son second mandat, prouve l’échec de la conception de la politique sur la base ethnique. C’est la promesse originelle des « promoteurs » de la démocratie et du multipartisme en Guinée qui vient de fracasser sur le mur du stade de Coléah. La démocratie n’était pas et n’a jamais été le sens de leur combat, c’était juste le prétexte pour accaparer le pouvoir. Croyez-moi, ce sont les 35 dernières années de politique guinéenne qui sont en jeu. Si ce projet abouti, les Guinéens peuvent dire au revoir à leur rêve de démocratie alimentée par l’alternance. Le plan visant à s’appuyer sur les régions et les communautés a lui aussi lamentablement échoué. En 2010, le RPG avait réussi à isoler le candidat peul, cette fois-ci, ses stratèges ethnos et lui-même ont échoué à rassembler les autres coordinations et associations régionales contre la moyenne Guinée. Les tueries et les exactions commises contre leurs compatriotes ont fini par dégouter les Guinéens. La haine et l’inhumanité ont atteint des proportions qui ne laissent indifférents que leurs auteurs et promoteurs. La communauté internationale a vite compris que tuer, tirer sur un cortège funèbre, faire d’une femme un bouclier humain, humilier un vieux, emprisonner, kidnapper, réprimer et saccager les populations, c’est pire que gouverner des cimetières, car les morts ont déjà le Bon Dieu pour les protéger. Les coordinations et associations de la basse, de la moyenne et de la Guinée forestière ont compris : Alpha Condé, même s’il ne tombe pas malade et qu’il est plus fringuant que les jeunes de 20 ans, s’en ira, le plus vite serait le mieux. 

Ibrahima Camara
Sociologue
Ibcamara2000@yahoo.com