Le projet d’union monétaire au sein de la Cedeao remonte à 1983. Alors réunis dans la capitale guinéenne, Conakry, les chefs d’Etats ont évoqué pour la première fois la nécessité d’une monnaie unique. La monnaie unique était considérée comme une solution aux problèmes de paiement qui touchaient les pays membres. «Le président en exercice est mandaté pour prendre toutes les mesures nécessaires, notamment de prendre contact avec les organisations internationales appropriées qui peuvent aider à conduire les études nécessaires pour la création d’une union monétaire de la Cedeao», peut-on lire dans la déclaration finale publiée à l’époque.
Ce n’est que 16 ans plus tard, en 1999 lors du 22è sommet de la conférence des chefs d’Etats et de gouvernement tenu à Lomé au Togo, que le projet est ressorti des tiroirs sur la base d’une «stratégie d’accélération de l’intégration». Le communiqué publié à l’issue de cette rencontre, mentionne l’adoption de critères de convergence qui fixaient «la limite supérieure du taux d’inflation à 5%».
Le 20 avril 2000 à Accra, il est décidé que les six pays Ouest Africain non membres de la Zone FCFA, à savoir (Gambie, Ghana, Guinée, Liberia, Nigeria, Sierra Leone) vont créer en 2003, une seconde zone monétaire dénommée ZMAO (Zone monétaire de l’Afrique de l’ouest) en vue de fusionner plus tard, cette zone avec l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa) qui a déjà son union monétaire avec comme monnaie Franc CFA.
Le 15 décembre 2000 au cours d’un sommet des chefs d’Etat et de gouvernement, les pays de la ZMAO poursuivent dans leur lancée en adoptant plusieurs documents liés au cadre institutionnel, juridique et administratif. A Bamako, la décision fut prise de lancer la monnaie unique en 2003. Un rendez-vous manqué puisque le projet est reporté à 2005 puis à 2009. Entre temps, l’idée de la création de la ZMAO a été abandonnée parce qu’elle allait «prendre trop de temps».
La nouvelle échéance fixée en 2015 pour enfin mettre en œuvre la monnaie n’allait pas être honoré non plus. Comme explication, la Commission de la Cedeao soulignait le fait qu’aucun des pays membres à l’exception du Ghana, n’a rempli les critères de convergence économiques. Soit la même cause qui a présidé aux reports précédents.
Pour pallier cette difficulté des pays à respecter les critères retenus, la Commission des nations-unies pour l’Afrique (Uneca) dans une étude publiée en 2014 recommandait aux Etats de «recourir aux partenariats public-privé, afin de réduire la charge qui pèse sur les dépenses publiques, et atteindre ainsi les objectifs en matière de dette publique et de déficit budgétaire». En octobre 2017 à Niamey, lors d’une réunion de la «Task force» présidentielle sur la monnaie unique, le Béninois feu Marcel de Souza, alors président de la Commission de la Cedeao avait clairement exprimé son scepticisme quant à la mise en place de la monnaie unique.
De 2012 à 2016, «aucun de nos pays n’a pu respecter de manière continue les critères de premier ordre du programme de convergence macro-économique», avait-il souligné, ajoutant même que la monnaie unique n’est pas réalisable «avant cinq ou dix ans». Toutefois, les dirigeants de la Cedeao, s’en tiennent résolument à l’année 2020 comme date d’entrée de la monnaie unique.
Le défi des critères de convergences
Lors de la 55è conférence des chefs d’Etats et de gouvernements de la Cedeao, tenu fin juin 2019 à Abuja, plusieurs actes «décisifs» vont être posés. Tout d’abord avec l’adoption définitive de l’Eco comme désignation de la monnaie unique et la fixation d’un processus d’adhésion graduelle. Passage obligé vers la mise en œuvre de l’Eco, le respect des critères de convergences demeure aussi le principal obstacle au regard du caractère non homogène des économies de la région. D’après le communiqué final de la conférence d’Abuja, il est retenu une approche graduelle qui privilégie le démarrage de la monnaie unique avec les pays qui respectent les critères de convergences.
D’après les exigences, il faudra que tous les pays affichent entre autres exigences un déficit budgétaire inférieur à 3% du Produit intérieur brut. Une condition que rempliraient cinq pays seulement (Cap-Vert, Togo, Côte d’ivoire, Sénégal, Guinée), selon une analyse du cabinet Renaissance Capital.
«Pour beaucoup, le lancement de l’Eco, prévu en 2020, apparaît comme trop optimiste», souligne l’économiste et universitaire sénégalais, Chérif Salif Sy dans un article parue dans la revue alternative économique. Toutefois estime-t-il, «il reste aux chefs d’Etat de convaincre qu’ils sont capables de prendre le problème de la convergence à bras le corps et d’agir rapidement».
Les leaders anglophones sont-ils prêts ?
La Cedeao offre un tableau économique peu harmonieux avec un leadership du Nigeria qui représente 67% du Pib de la région. Ensuite vient le Ghana, qui avec son cacao, son pétrole et son secteur minier est aujourd’hui considéré comme la seconde économie de la zone.
A l’inverse du bloc composé des huit pays de l’Uemoa qui disposent déjà d’une union monétaire avec le Franc CFA, le reste des pays membres vont perdre avec l’Eco, leur « souveraineté monétaire » au profit de la future banque centrale ouest africaine. Autrement dit, en cas de crise, ils ne pourront plus librement ajuster les taux de changes ou encore procéder à une dévaluation pour soutenir leurs économies.
Cette perte de souveraineté monétaire n’est pas sans dangers à moins qu’il y ait «une synchronisation des cycles économiques (récession, booms)», estime le Ghanéen Dr.Atsu Amegashie. Selon cet économiste, mettre en place une monnaie unique suppose la combinaison de certains facteurs comme des «conditions macro-économiques homogènes et une mobilité de l’emploi».
Avec un produit intérieur brut estimé à 375 milliards de dollars en 2017 par la Banque mondiale, le Nigeria représente à lui tout seul, 67% de la richesse produite dans la Cedeao. Des pays comme le Ghana et la Côte d’Ivoire affichent des Pib respectifs de 47 et 40 milliards de dollars en 2017, selon les données de la Banque mondiale. Toutefois en dépit de leur statut de moteur économique de la région, le Nigeria et le Ghana sont fortement touchés par l’inflation qui tourne autour de 11%, souligne une étude du cabinet SBM Intel (basé à Lagos). Or, parmi les critères de convergence, il est demandé aux pays membres de maintenir l’inflation en dessous de 10% d’ici la fin de l’année en cours.
Dans sa tribune Dr. Atsu Amegashie s’inquiète aussi sur la durabilité des performances demandées aux pays. «Qu’est-ce qui se passera si un pays remplit les critères de convergences en 2020 et les manque l’année suivante ?», se demande-t-il.
Cité par le Deutsche Welle (DW), le directeur de l’ONG nigériane, Center for social justice, (Centre pour la justice sociale, basée à Abuja), Eze Onyekpere est d’avis que beaucoup de questions doivent être réglées avant de parler d’union monétaire au sein de la Cedeao. «Vous ne pouvez pas introduire une monnaie unique sans avoir une politique commune en matière fiscale, industrielle, commerciale et aussi au niveau de l’emploi», souligne-t-il.
La fin du Franc CFA ?
En Afrique de l’ouest francophone, l’annonce de la naissance de l’Eco a remis au goût du jour le lancinant débat sur la question du Franc CFA. Cette monnaie léguée par l’ancien colonisateur, est qualifiée par des critiques acerbes de «relique coloniale» tandis que des économistes de renom le juge responsable du retard économique des huit pays de l’Union économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest.Dans une précédente interview avec Ouestaf News, l’économiste Demba Moussa Dembelé soulignait que l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa) est le principal problème du projet de monnaie unique car ses chefs d’Etats ne veulent pas réellement divorcer d’avec la France.
Le franc CFA, «franc des Colonies Françaises d’Afrique» est né le 26 décembre 1945, placé sous la tutelle du ministère français des Finances. En vertu d’un accord à travers lequel la France prétend «garantir la stabilité» de cette monnaie, les pays de la zone CFA ont l’obligation de déposer la moitié de leurs réserves de change auprès du Trésor français. Une obligation qui, aux yeux de beaucoup d’économistes, est à la base de la faiblesse structurelle des pays africains francophones, contrairement à leurs voisins anglophones.
Considéré comme un grand défenseur du Franc CFA, le président ivoirien a récemment souligné que la parité fixe avec l’Euro dont bénéficie le Franc CFA (1 euro équivalant à 655,99 FCFA) ne «changerait pas dans l’immédiat» avec l’entrée en vigueur de l’Eco. Ce qui a contribué à semer le trouble dans l’esprit de citoyens qui croyaient avoir affaire à une nouvelle monnaie, « libérée du joug et des diktats de la France.»
Toutefois, le communiqué final de la conférence des chefs d’Etats et de gouvernement du 29 juin 2019, sur ce point indique que la conférence adopte «un régime de change flexible». Une décision qui ne cadre pas avec la sortie d’Alassane Ouattara sur la parité de l’Eco avec l’Euro. Même si la création de l’Eco est vue «comme un pari risqué par nombre d’analystes», il peut à terme sonner comme «un symbole politique fort», selon l’économiste Chérif Salif Sy.