Pour peu que l’on observe les événements au Mali, l’on est tenté de croire que ce pays aussi est en passe de s’enraciner dans la dictature à l’instar de la Guinée avec laquelle il a partagé jusque-là les poumons, non le cœur. S’il n’est pas possible de classer les dictatures de façon précise, il est aisé de constater, en revanche, qu’elles ne s’équivalent pas. Si on la comparait à un immeuble, certains pays se retrouveraient au sous-sol pendant que d’autres végèteraient au rez-de-chaussée. La complexité des situations héritées des premiers rayons des Soleils des Indépendances y est pour beaucoup. Les corps frêles des colonisés n’ont pas subi les mêmes rayons.

On a beau dire, les Sénégalais, les Nigériens, les Voltaïques d’alors, les Ivoiriens ont été mieux lotis. Le point de départ n’a pas été uniforme. L’expérience politique de l’intellectuel comme Senghor, Modibo Kéita, voire Houphouët Boigny ou Hamani Diori a dû produire bien plus des résultats positifs que les discours-fleuves, certes bien rédigés, d’un certain Ahmed Sékou Touré. La relève a dû être à l’avenant. Au Sénégal, Senghor a choisi un intellectuel doublé d’un technicien de l’administration pour le remplacer. Après Diouf et Wade, Macky est venu perpétuer la tradition. Les Ivoiriens qui ont connu la guerre civile peuvent toujours nous fournir « des conseillers économiques.» Un regard, même furtif, sur Conakry et ses rues jonchées d’ordures, peut vous convaincre de la persistance de cette nécessité. Albayrac assure à la fois la propreté de notre capitale et le transport de ses habitants. « Au plus fort de la guerre civile en Côte d’Ivoire, regrette l’ancien patron de la Sotra, la société des transports abidjanais ne comptait plus que cinq cents bus. » Albayrac nous en a apporté combien en temps de paix ? Et dans quel état ?

Au Mali, le passé est encore plus révélateur du présent. La Guinée a accédé à l’indépendance dans l’unité et la dignité deux ans avant lui. Les éléments constitutifs de la dictature se sont progressivement, insidieusement, méthodiquement et durablement accaparés de l’Etat au nom du parti pour prendre possession de la vie publique et privé du pays. L’étau aura été tel que la dignité, la liberté et la justice ont plié devant la peur et la pauvreté. Les Guinéens ont fini par faire de leur chef le principal gestionnaire de la vie nationale. L’objectivité a foutu le camp. La retenue, itou !

Le Mali, lui, s’est donné des limites humaines compte tenu de la qualité de ses dirigeants. De Modibo Keita à Amadou Toumani Touré en passant par Moussa Traoré, Alpha Oumar Konaré et autres soudards vite déémasqués et écartés. Arrive la génération des dictateurs masqués : Alpha à Conakry, IBK à Bamako, Faure à Lomé, Talon à Cotonou…Ils trichent avec la démocratie au nom de laquelle ils ont réussi à se faire couronner, une fois calés sur le trône, ils cherchent à s’y cramponner, s’y incruster. S’y éterniser. Par tous les moyens possibles. De l’ethnocentrisme à la corruption. Des achats d’armes à l’achat des consciences. Le programme de société se rétrécit comme une peau de chagrin. Objectif unique et affiché : réduire l’opposition au silence, s’il le faut par la ruse des armes. Les FDS sont acquises au prix fort, au détriment des services sociaux de base. Les relations inter-Etats sont gérées sur cette base funeste. La défunte union Guinée-Ghana-Mali avait pour principe de base le degré de panafricanisme que partageaient Sékou Touré, Modibo Keita et Kuwamé N’Kurumah.

Aujourd’hui, le fondement réel de l’amitié et de la solidarité agissante entre Alpha Condé et Ibrahima Boubacar Keita réside dans leur volonté commune d’émasculer l’opposition. Le meilleur service qu’IBK puisse rendre à Alpha Condé est de résister à tout prix pour continuer à servir de rempart contre les assauts encore timides des opposants peuls : Cellou Dalein ici, Soumaïla Cissé-là. Déjà qu’avec l’impromptu Macky Sall, a été ouverte une brèche au Sénégal. Dans l’exercice, Alpha Condé a pris une avance considérable. Il n’a pas lésiné sur les moyens pour retourner en sa faveur la situation militaire catastrophique qu’il a trouvée en en 2010. L’ethno-stratégie a été déployée à fond, à grands fonds, tant dans l’armée que dans les arcanes de l’Administration « publique.» En toute « sécurité, » il a décidé de répondre par la force à toute revendication politique et sociale. Le pays est quadrillé selon les ethnies. Les PA ont été installés sans coup férir. Les plans d’occupation et les stratégies de défense de l’ordre public sont à géométrie variable.

C’est malheureusement la stratégie qu’essaie Ibrahim Boubacar Keita, avec onze morts et de nombreux blessés déjà. Visiblement, il n’a pas créé au Mali l’état de soumission, de subordination et de démission qu’Alpha Condé a su « si naturellement » imposer aux Guinéens. Le Mali compte encore des imams capables de dire « non » au président de la république. On y trouve des jeunes, des vieux, une des citoyens qui érigent des barrages, non pour saboter une politique ou un président, mais pour changer et assurer l’alternance. Il est fort improbable que la solution à la guinéenne puisse régler définitivement la crise malienne : on n’en est pas prédisposé, on ne s’y est pas préparé. SOn l’a déjà entendu dans la capitale malienne lors des crises d’électricité : « Bamako, ce n’est pas Conakry.» C’est tout dire.

DS