Dans l’opposition, on le sait, Alpha Condé a beaucoup fait parler de lui, pour avoir été constant dans sa lutte politique. Ce combat et cette constance ont suscité de l’estime, de la considération et un immense espoir en celui qu’on qualifie «d’opposant historique». Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui ont compris qu’une fois arrivé au pouvoir voici maintenant dix ans, suite aux élections les plus controversées de l’histoire récente de la Guinée, Alpha Condé ne s’est pas du tout battu pour la démocratie et l’Etat de droit, mais plutôt pour accéder au pouvoir. Même Toto le sait, le Général Lansana Conté qui a dirigé la Guinée d’une main de fer durant 24 ans, n’a pas été un modèle en matière de démocratie. Mais la manière dont Alpha a gouverné le pays jusque-là et continue à le faire, laisse apparaître qu’il n’est pas en train de mieux faire que Lansana Conté au point de pousser certains Guinéens à regretter celui qu’on appelait «président paysan». Celui qui dénonçait les modifications de la constitution a, contre la volonté de la majorité des Guinéens, fait pire. Il a remis en cause la Constitution qui l’a fait élire à deux reprises, en 2010 et en 2015 et sur laquelle il a prêté serment à maintes reprises. Pour beaucoup, la Guinée n’a pas seulement reculé en matière de libertés fondamentales et des droits de l’Homme, mais elle a perdu aussi des acquis sous la gouvernance du président Alpha Condé. Dans un pays miné par des clivages, depuis des années, l’ethnocentrisme et le régionalisme n’avaient jamais atteint un tel seuil. Des communautés qui ont longtemps vécu en harmonie ont accepté d’être opposées les unes aux autres, faisant de nombreuses victimes, notamment à l’approche des joutes électorales. Les tensions inter communautaires ont souvent atteint des sommets. Pendant sa traversée du désert, Alpha Condé a bénéficié de l’appui ferme de la presse guinéenne qui s’était fortement mobilisée pour défendre sa cause. Aujourd’hui, c’est cette presse qu’il méprise, qu’il qualifie même de «presse de caniveau». Certains journalistes sont menacés à cause de leur engagement, d’autres, traduits devant les tribunaux et condamnés. Pour ses sorties, le Sorbonnard a toujours jeté son dévolu sur les médias étrangers.
Il est regrettable de constater qu’avec l’arrivée du président Alpha au pouvoir, les départements ministériels et l’administration publique ont été politisés à outrance, bien pire que sous avec le PUP. Aujourd’hui encore, avec l’approche des élections, ministres et hauts cadres abandonnent complètement Conakry pour l’intérieur du pays en vue d’animer des «Mamayas,» s’habiller en jaune, battre campagne dans leurs régions d’origine et bourrer eux-mêmes les urnes, Peu soucieux de développement, ils ne se rendent dans ces localités qu’à de telles occasions. Pendant ce temps, les départements ministériels sont abandonnés à eux-mêmes et les activités tournent au ralenti. La manière de faire la politique politicienne s’est empirée avec l’achat éhonté des consciences, avec son cortège de manipulations et d’intimidations des jeunes, de menaces et de répression d’opposants.
Malgré les trois milliards de dollars américains que le pouvoir du président Alpha Condé dit avoir injectés dans le secteur de l’électricité, le courant reste une denrée rare à Conakry tandis qu’il manque totalement dans plusieurs contrées du pays. Les manifestations contre les délestages ces derniers temps le prouvent à suffisance. Comme au temps de Lansana Conté, le retour du courant après les délestages a toujours fait l’objet d’une explosion de joie, particulièrement chez les tout petits, prompts à scander «tè faa», (entendez le courant est de retour). Concernant l’eau, des quartiers en sont privés depuis des décennies. Raison pour laquelle tous ceux qui ont la volonté et les moyens financiers font recours aux forages qui se multiplient dans de nombreuses villas de la banlieue où le voisinage vient se ravitailler.
Il n’est un secret pour personne qu’en matière d’infrastructures routières, le Président Alpha Condé n’a pas fait mieux que Général Lansana Conté. L’état piteux des routes à Conakry et à l’intérieur du pays n’est plus à démontrer. Dans le secteur des transports, notamment dans celui du chemin de fer, malgré ses multiples promesses de campagne, l’opposant historique n’a pas pu doter la Guinée d’un système cohérent apte à soulager les populations confrontées au casse-tête du transport. Croupis dans la misère, les Guinéens se contentent toujours du train «Conakry-Express» que la junte militaire, sous le controversé Capitaine Moussa Dadis Camara, avait réussi à négocier avec des partenaires chinois et dont l’exploitation se caractérise par des interruptions fréquentes sous Alpha Condé. Dans l’élan d’enthousiasme qui le caractérise, Alpha Condé a toujours parlé de sa préoccupation pour les femmes et les jeunes. Or, en réalité, il n’y a pas de couches plus défavorisées que ces deux-là actuellement en Guinée. Pour les pauvres femmes, il suffit de se lever tôt et jeter un coup d’œil au niveau de certains marchés de la place pour se rendre à l’évidence. Pour les jeunes, le désert et la mer sont les seuls chemins privilégiés pour eux pour atteindre l’Eldorado européen, malgré tous les risques, malgré toutes « les richesses » du sol et du sous-sol guinéens. Tout porter à croire qu’Alpha Condé veut, contre vents et marées, se maintenir au pouvoir. Oubliant que l’histoire retiendra que pendant une décennie de règne sans partage, il n’a pas pu mieux faire que Lansana Conté.

Bah Mamadou