Alassane Ouattara rêve de se représenter pour un 3ème mandat en Côte d’Ivoire. Par rapport à « la norme » dans les pays d’obédience francophone, cela n’a rien d’alarmant. Il ne sera pas le premier, malheureusement. Et la France serait très mal placée pour tenter de décourager Alassane Ouattara dans cette aventure, même si celle-ci serait menaçante pour les intérêts français en Côte d’Ivoire.
« Dis-moi qui tu tolères, je te dirai qui tu es ». Cette expression va comme un gant à la France, pays de la démocratie supposée. Avant Alassane Ouattara, il y a eu un certain Faure Gnassingbé qui est à son 4ème mandat. Il arrachera aussi le 5ème, et rien ne garantit qu’il s’en tiendra au 5ème, la boulimie étant devenue la chose la mieux partagée dans les palais présidentiels « francophones ». Et qui dit candidat de l’ancien Président, dit victoire. On n’organise pas une élection pour la perdre, a dit un autre satrape africain. Si la France a imité la carpe par son silence quand il s’est agi du Togo, pourquoi va-t-elle mettre sa bouche en Côte d’Ivoire ? Apparemment, les pays de l’espace UEMOA cheminent ensemble, mais n’ont pas la même valeur. Ni leur président. Même si la candidature de Ouattara pourrait faire basculer la région dans une instabilité dont personne ne pourrait prévoir l’issue, « allons-y seulement », pour emprunter le slogan d’un parti politique !
Faure Gnassingbé a violé les recommandations de la CEDEAO en 2015 en se représentant pour un 3ème mandat, et après avoir fait passer le bistouri dans la constitution du Togo, il s’est ouvert un boulevard pour le moment limité à 2 autres mandats supplémentaires. Et parce que la France a gardé un silence qui vaut adoubement, deux situations pourraient se présenter : Faure Gnassingbé tripatouillera une fois encore la constitution pour prolonger son bail, ou bien un autre Gnassingbé prendra sa place. A moins d’un cas de force majeure. Cette semaine, le gagnant de la présidentielle de février 2020 a été contraint de rentrer dans le maquis et si les informations s’avéraient, un mandat international aurait été lancé contre lui. Comme s’il avait porté atteinte à la sûreté de l’Etat togolais. Les Etats-Unis avaient suggéré le recomptage des bulletins de l’élection, mais le colon français a brillé par un silence assassin.
« Pour que la démocratie progresse en Afrique, il faut nécessairement limiter les mandats à deux ou à trois », déplorait Faure Gnassingbé qui aujourd’hui est à son 4ème mandat.
Dans la lignée du Togo, la Guinée aussi cherche à essayer la passe à trois. Alpha Condé le dit à qui veut l’entendre en prenant le Togo en exemple. Ce qui, somme toute, est de bonne guerre. « Pourquoi la question d’un troisième mandat ne se pose-t-elle que lorsqu’il s’agit de moi ? », avait demandé Alpha Condé. Ni Faure Gnassingbé, ni Emmanuel Macron n’avaient ouvert la bouche pour répondre.
Jamais deux sans trois, dit-on. Si le Togo a pu le faire et si la Guinée nourrit l’ambition, pourquoi la Côte d’Ivoire ne le ferait pas ?
On a appris que Jean-Yves Le Drian a été dépêché auprès de Ouattara après que ce dernier a émis le vœu de candidater pour un troisième mandat. Si Laurent Koudou Gbagbo, Guillaume Soro, Henri Konan Bédié et tous les aspirants peuvent être autorisés à prendre part au scrutin d’octobre prochain, si l’organisation de l’élection présidentielle va être supervisée par l’Union Africaine et l’Union Européenne et les Etats-Unis, alors POURQUOI PAS ? Parce que dans ce cas, Alassane Ouattara saurait peut-être à travers les urnes qu’on a vécu, mais que son temps est passé, et que les Ivoiriens aspirent à autre chose. Il n’aura pas de prétexte pour dire que sa candidature ferait peur. Battu à plate couture, il pourra se faire oublier sans effort.
Mais parce que frileux, il refusera d’ouvrir le jeu électoral ; alors s’amoncelleront des nuages sombres dans les cieux ivoiriens.
Rébellion, terrorisme, djihadisme, des termes que les Ivoiriens risquent de conjuguer dans un futur proche. La multiplication des actes terroristes tire l’une de ses sources dans les injustices, et les pays de l’espace francophone sont en proie à des injustices aux sommets.
Mais le Général de Gaulle l’avait dit : « la France n’a pas d’amis, elle a des intérêts ». Ainsi, par un effet d’induction, c’est par intérêt qu’elle se tait devant la posture de Faure Gnassingbé au Togo et qu’elle souhaite dans le même temps voir Ouattara ne plus se représenter. Parce que la Côte d’Ivoire héberge beaucoup d’intérêts français. C’est aussi par intérêt qu’elle a cru prendre les devants pour voler la monnaie unique Eco à la CEDEAO et l’attribuer à l’UEMOA. C’est toujours par intérêt qu’elle a vendu des armes à des groupes peu recommandables. Et aujourd’hui, ces armes pourraient être retournées contre ses intérêts.
Une déstabilisation en Côte d’Ivoire par ce temps de coronavirus pourrait exacerber les frustrations des populations et faire tache d’huile dans toute la région. Parce qu’au Mali, en Guinée, au Togo et en Côte d’Ivoire, il existe des tensions ouvertes et diffuses, selon les pays. Et une pandémie de la covid19 attisée par des manifestations conduirait assurément à un cocktail détonnant aux conséquences imprévisibles.
Si la France avait pesé de son poids après la frauduleuse de février au Togo, elle aurait fait passer un signal aux autres dirigeants en considérant le 3ème mandat au Togo comme une erreur de parcours. Il est facile de montrer du doigt les effets d’un mal, mais l’idéal serait de toucher la cause véritable de ce mal pour mieux le traiter.
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